Wally Struys : « Sans les Etats-Unis, nous ne pourrions pas arrêter Poutine »

Le président russe Vladimir Poutine, le 1er juin 2023.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le professeur de l’Ecole royale militaire répond à son collègue Bruno Colmant. « Je réfute son reproche du somnambulisme, dit-il. Il convient plutôt de crier haro sur notre léthargie née des “dividendes” de la “paix”. »

Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire, spécialiste en économie de la défense, réagit à l’interview que son collègue Bruno Colmant avait accordée à Trends Tendances et qui a provoqué bien des remous. Il argumente pour prendre le contrepied.

« J’ai le sentiment que nous avançons comme des somnambules vers la guerre. » Ces propos de Bruno Colmant vous ont fait sursauter ? 

Sursauter, non ; je suis souvent d’accord avec mon excellent confrère Bruno Colmant. Mais dans son interview, une partie de son argumentation ne laisse pas de m’étonner. 

Je réfute son reproche du somnambulisme. Il convient plutôt de crier haro sur notre léthargie née des “dividendes” de la “paix” (il n’y eut ni paix, ni dividendes après la Guerre froide !). 

Aujourd’hui, la fourniture d’armements et de matériel militaire à l’Ukraine en soutien à sa défense contre l’opération militaire spéciale terrifiante de Poutine me semble indispensable. La sécurité de l’UE doit être garantie à ses frontières ; notamment à Kiev ! Il s’agit d’une contribution à la restauration et au maintien des valeurs que je ne suis pas seul à chérir : la paix, la démocratie, les libertés collectives et individuelles. 

L’escalade militaire, l’élargissement du conflit sur le territoire russe et l’armement de plus en plus offensif, cela ne vous inquiète-t-il pas ? 

Oui, bien entendu. Mais quelle est alternative ? Le choix pour l’Europe était simple en première approche : laisser faire ou intervenir. L’échec des efforts diplomatiques et l’impossibilité d’une intervention boots on the ground ne laissaient que la solution d’un appui logistique. 

La différence entre moyens offensifs et défensifs me semble par ailleurs peu évidente : sauf pour les équipements de protection individuelle, c’est l’utilisation même d’un matériel ou d’une fourniture qui lui confère un aspect offensif ou non. Le diesel utilisé dans un char de combat à l’assaut d’une position ennemie est offensif ! 

De surcroît, est-il illégitime d’effectuer des frappes les munitions et armes que les unités russes mettent en place au-delà de la frontière avant de les utiliser pour bombarder l’Ukraine ? 

Bruno Colmant parle d’une Europe entraînée par la stratégie américaine, avec le risque d’un affrontement russo-américain sur le territoire européen. Ce n’est pas votre avis ? 

Il faut relativiser ! En 2013, le président Obama a décidé de se désengager de l’Europe au profit du Moyen-Orient et de l’Asie ; il est revenu en arrière en 2014 après les attentats terroristes et l’annexion de la Crimée. Ses successeurs – l’un de façon plus véhémente que l’autre – adoptaient la même attitude. 

L’agression russe a bien entendu revigoré l’intérêt américain en Europe, mais ce n’est pas définitif ! Les Etats-Unis exigent que l’Europe puisse assumer ses propres besoins de sécurité et constituer un véritable pilier de l’OTAN. 

Que l’on apprécie ou non l’influence politique américaine en Europe, il est clair que sans ses moyens et sa puissance militaire, nous ne serions pas capables de dissuader seuls Poutine d’assouvir son désir d’extension vers l’Ouest. 

Ce qui m’inquiète, ce sont les élections américaines. En cas de victoire des Républicains, l’UE risque de se trouver davantage orpheline encore dans le domaine sécuritaire. 

Faut-il soutenir l’Ukraine à tout prix ? Jusqu’à une « victoire » ? Qu’est-ce que cela signifie ? 

L’humaniste que je suis estime qu’il n’y a pas de victoire après une guerre ! Il faudra des décennies, voire des générations pour reconstruire le pays. 

Nous faisons ce qu’il faut parce que, comme Albert Einstein le soulignait déjà : Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.  

Pensez-vous qu’une chute de Vladimir Poutine soit possible ? Souhaitable ? 

Possible oui, vraisemblable même à moyen terme. Souhaitable ? La réponse est positive dans un premier temps. 

Il ne faut en effet pas sous-estimer les velléités hégémonistes et bellicistes d’un dictateur nostalgique de l’URSS, rêvant d’une Grande Russie. Souvenons-nous notamment de la Tchétchénie (1999) et de l’extermination partielle de son peuple, des guerres en Géorgie (2008) et en Ukraine (débutée avec l’annexion russe de la Crimée en 2014), sans oublier ses attaques cybernétiques et les crises répétées des gazoducs. Poutine garde dans son collimateur les anciennes républiques soviétiques de Moldavie et de Géorgie, et même celles devenues membres de l’OTAN et de l’UE, les pays baltes. La Pologne, en première ligne, la Roumanie et la Bulgarie sont loin de se sentir à l’abri. 

Mais n’y a-t-il pas d’autres adeptes prêts à prendre la relève ? Difficile à dire, même si d’aucuns pensent qu’on ne peut avoir pire. 

Bruno Colmant regrette qu’il n’y ait aucune initiative de paix émanant des Nations unies. Qu’en pensez-vous ? 

Les Nations Unies, paralysées par les vétos russe et chinois au Conseil de Sécurité, n’ont aucune chance d’arrêter Poutine.  

Dès le début de la guerre en Ukraine en 2014, il y a eu de nombreux dialogues avec Poutine, tout comme depuis le déclenchement de l’opération militaire spéciale. C’est le président russe lui-même qui a refusé un cessez-le-feu sur les positions acquises après deux mois d’hostilités. Ce n’est pas en autorisant Hitler à annexer la Région tchèque des Sudètes que l’on a empêché la Seconde guerre mondiale, ce qui a fait dire à Martin Niemöller que Le silence des pantoufles est plus dangereux que le bruit des bottes. De même, ce n’est pas en laissant faire Poutine que la paix nous sera offerte en cadeau ! 

Conclusion 

Je ne veux pas faire de la surenchère entre le mal et le pire : la poursuite des libertés et de la démocratie ne peut nous exonérer de notre responsabilité indirecte dans le déclenchement de l’opération militaire spéciale. En effet, notre dormance nous a rendus complices des actions de Poutine et du cauchemar ukrainien. 

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