Gérer la surpopulation africaine, un vrai défi

Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Dans le monde, les régions qui connaissent la plus forte croissance démographique sont également celles qui sont les plus soumises aux effets du réchauffement climatique. Ce choc va décupler les tensions migratoires, essentiellement vers l’Europe.

1. Quelles sont les zones où se situent les risques les plus aigus?

Le risque démographique est double. Dans certaines parties du monde, c’est la croissance de la population qui met la pression sur l’accès aux ressources. C’est le cas sur le continent africain et, dans une moindre mesure, dans le sud de l’Asie. La population africaine devrait bondir de 1,2 milliard aujourd’hui à 4 milliards à l’horizon 2100. “C’est l’enjeu principal, estime Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo. Comme l’Afrique subsaharienne est aussi la zone où les effets du changement climatique se feront le plus douloureusement sentir, cela va générer des flux migratoires qu’il faudra gérer. L’équation est là.”

La croissance de la population va accentuer la pression sur les ressources et cela pourrait mener à plus de pandémies.”

François Gemenne, membre du Giec et professeur de géopolitique de l’Environnement à l’ULiège et à Sciences Po Paris, pointe également l’évolution démographique indienne. “Nous avons une forte natalité dans une zone très exposée aux impacts des changements climatiques et qui connaît une logique de développement assez rapide, dit-il. A quel moment et comment les courbes du développement et de la démographie vont-elles se croiser? Cette question est cruciale pour l’évolution du climat.”

Gérer la surpopulation africaine, un vrai défi

Dans d’autres parties du monde, la démographie est en baisse. Cela se manifeste déjà dans les Balkans, en Chine (la politique de l’enfant unique a totalement déséquilibré la pyramide des âges), au Japon et à terme, elle devrait toucher toute l’Europe occidentale.

On ne réalise pas encore à quel point la démographie chinoise va s’effondrer.

“Faire repartir l’économie d’un pays avec une population vieillissante, c’est beaucoup plus compliqué qu’avec une population jeune, dit Sylviane Delcuve, économiste chez BNPP-Fortis. Ce sont des tendances très difficiles à inverser. Je pense au contraire que le covid a accentué cette tendance fondamentale à avoir moins d’enfants.”

“On ne réalise pas encore à quel point la démographie chinoise va s’effondrer, ajoute François Gemenne. La Chine a vu naître 11 millions d’enfants l’an dernier, c’est le chiffre le plus bas depuis 1978. Cela va sans doute aider à atteindre le pic des émissions de gaz à effet de serre plus vite que prévu, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, mais cela pose plein d’autres problèmes.”

2. A quelles évolutions s’attendre dans les prochaines années?

Nous venons de franchir la barre des huit milliards d’êtres humains. Les Nations unies ont élaboré plusieurs scénarios pour l’horizon 2100. Celui qui est le plus fréquemment retenu prévoit 11 milliards d’habitants à la fin du siècle. “Cela va accentuer la pression sur les ressources et cela pourrait mener à plus de pandémies, prévient Raphaël Cecchi, risk analyst chez Credendo. Nous avons tendance à vouloir un même mode de vie. Si nous avions une approche plus rationnelle des limites des ressources de la planète, nous serions sans doute capables d’assumer cette croissance de la population.”

La population africaine va plus que doubler, ajoute Tanguy Struye, directeur du Centre d’étude des crises et des conflits internationaux (UCLouvain). Nous aurons une population jeune, directement touchée par le changement climatique et vivant dans des Etats souvent faillis. Si nous n’investissons pas massivement pour le développement de l’Afrique, nous le payerons cash dans 10 ou 15 ans. Ce n’est pas un ‘cygne noir’, nous savons très bien que cela va nous tomber dessus et pourtant, l’Afrique a disparu de la plupart de nos radars. Nous avons pu dégager des moyens pour soutenir l’Ukraine, pourquoi ne pouvons-nous pas le faire pour le Pan-Sahel? C’est maintenant qu’il faut s’en préoccuper.”

Tanguy Struye relève aussi le problème inverse pour l’Europe et cite le chiffre alarmant de 10 millions de postes vacants en Europe dans les décennies à venir. “Le débat sur l’immigration devrait dès lors s’intensifier dans les prochaines années”, dit-il.

On notera par ailleurs que le risque démographique, à la hausse comme à la baisse, semble épargner le continent américain ainsi que l’Australie.

3. Quelles actions entreprendre pour éviter que ces risques ne se matérialisent?

Les scénarios pour notre avenir démographique invitent à miser sur les vases communicants et le déplacement de population des zones surpeuplées vers celles qui sont en décroissance. “L’immigration régulée fait partie de la solution au vieillissement de la population dans certaines régions du monde ainsi qu’aux changements climatiques, affirme Nabil Jijakli. C’est clairement positif, à condition qu’il y ait bien une régulation et non cette forme d’improvisation que nous connaissons ces dernières années dans nos politiques migratoires.”

Il y a une ou deux générations, les gens étaient convaincus que leurs enfants connaîtraient une vie meilleure, plus facile que la leur. Ça s’est complètement renversé.”

Là où il faut ralentir la croissance démographique, essentiellement en Afrique et dans une partie de l’Asie, le meilleur levier semble être le développement économique. C’est pour cela que Tanguy Struye plaide pour des investissements massifs en Afrique. L’histoire nous montre en effet qu’une croissance économique facilite l’accès des femmes à l’éducation et des couples à la contraception. Et plus généralement, elle permet aux familles de ne plus devoir utiliser leurs enfants comme outils de production.

Relancer la croissance démographique semble plus compliqué. Les politiques natalistes génèrent rarement les effets escomptés. “Je pense que c’est lié à la conception que les gens ont de l’avenir, analyse François Gemenne. Il y a une ou deux générations, les gens étaient convaincus que leurs enfants connaîtraient une vie meilleure, plus facile que la leur. Ça s’est complètement renversé. On le voit avec tous ces jeunes qui ne veulent pas avoir d’enfants, notamment pour des considérations climatiques.”

Il plaide dès lors pour injecter de l’espoir dans les discours politiques afin de briser “cette forme de désespérance qui gagne la population”. “Arrêtons ces discours défaitistes, ils ne faut pas laisser croire que rien ne se fait, que rien n’avance, insiste-t-il. Des actions sont menées à différents niveaux, il faut les faire connaître et amplifier le mouvement. Les entreprises, notamment, agissent: elles se rendent compte que la transition économique, c’est dans leur intérêt. Elles ont souvent des leviers plus efficaces que les Etats car elles peuvent planifier leurs actions et, pour les grandes entreprises en tout cas, les déployer hors de leurs frontières.”

Voir aussi : Credendo

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