” INCAPABLE DE S’ADAPTER, L’ÉTAT PROVIDENCE S’EST EFFONDRÉ “

Erwan Le Noan © PG

Cette désaffection du politique, des institutions et de l’Etat est également décrite par Erwan Le Noan dans un récent ouvrage, La France des opportunités. Avocat, consultant, enseignant à Sciences Po Paris, Erwan Le Noan observe que le vide laissé par l’effondrement de l’Etat providence crée certes davantage d’incertitudes, mais permet aussi l’émergence de nouvelles opportunités.

ERWAN LE NOAN. Pendant les Trente glorieuses, nous avons eu de la croissance, de la stabilité sociale et un certain sentiment de la grandeur du pays. Puis l’Etat s’est effondré principalement en raison de son incapacité à s’adapter aux mutations économiques. Dans la ville dans laquelle j’habite, on comprend que l’Etat a décidé probablement à terme de fermer le collège et l’hôpital. Mais il ne le dit pas. Il se contente de fermer les vannes, les unes après les autres. Nous sommes donc confrontés au vide sans que l’on nous propose la moindre perspective. Cela suscite une colère et une angoisse légitimes.

Cette angoisse est aussi alimentée par une certaine vision de l’économie.

Souvent, les gens considèrent l’économie comme un jeu à somme nulle : lorsque les immigrés arrivent, lorsque les riches deviennent plus riches, ils pensent qu’ils prennent nécessairement une part de richesse qui leur était destinée… C’est une erreur. La croissance est comme un gâteau. Soit nous décidons de l’agrandir. Nous pouvons alors mieux répartir les parts et accueillir davantage de convives. Soit comme dans beaucoup de pays occidentaux, nous renonçons à le faire grandir. Ce renoncement s’exprime de deux manières. Ceux de gauche font des parts plus petites, ceux de droite limitent le nombre des convives : on s’attaque à l’immigration, on repousse l’entrée des jeunes dans le monde du travail.

Est-ce la gestion de l’Etat qui pose problème ?

Oui, mais également le fait que l’Etat est intervenu massivement dans tellement de domaines, depuis si longtemps, qu’il n’y a plus de vision du service public. Mes convictions sont libérales. Je ne suis pas en faveur d’une intervention de l’Etat dans l’ensemble des domaines de la société ou de l’économie. Mais là où il intervient, il doit le faire de manière cohérente et avec une vision. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Il y a aussi de nombreuses prises d’initiatives individuelles. Cela vous rend-il optimiste ?

La mondialisation et l’apport d’Internet permettent de ” fluidifier ” une société qui est encore trop rigide. Il y a en effet comme un bouillonnement. Des gens estiment par exemple que l’enseignement classique ne fonctionne plus, et qu’ils ne peuvent pas baisser les bras. On voit apparaître d’autres types d’écoles. Aujourd’hui, nous pouvons également avoir accès au meilleur enseignement mondial grâce aux MOOCs (massive open online course, cours gratuits en ligne) et à l’enseignement en ligne. Un enfant qui ne pourrait pas se payer un cours particulier peut, grâce à un site comme la Khan Academy, comprendre des équations que l’enseignement classique ne prend pas le temps de lui expliquer. Le numérique n’est pas LA solution. C’est cependant un moyen pour introduire de la facilité, de la fluidité et égaliser les accès.

C’est un monde qui est à la fois plus individualiste et présente une autre cohésion sociale ?

Exactement. Nous avons eu pendant les Trente glorieuses une cohésion sociale verticale, du citoyen vers l’Etat. Aujourd’hui la société s’est ” horizontalisée “. Grâce notamment à Internet. Des gens créent de nouvelles solidarités, mais de manière volontaire. Cela se voit dans les villages, les quartiers, ou dans la vitalité des associations. Certains se plaignent : nous ne devrions pas nous réjouir du succès des Restos du Coeur. Mais je me réjouis que la société ait inventé une solution face à un problème réel ! De même, je me réjouis de l’investissement des entreprises privées dans la culture : l’exemple de la Fondation Vuitton est extraordinaire. Dans l’entrepreneuriat, grâce au numérique, on observe une incroyable évolution des start-up. Il existe une énergie très forte dans une multitude de domaines.

Et même dans le domaine politique ?

Oui. Les citoyens deviennent parfois co-législateurs. La ville de Paris permet par exemple aux Parisiens d’élire des projets auxquels la Ville va attribuer une partie (5%) de son budget. New York vient d’adopter un système similaire. L’initiative est encore marginale, mais elle révèle une tendance du citoyen qui demande à être acteur, à participer directement au choix collectif. Dans mon livre, je propose un impôt volontaire. Nous pourrions décider d’affecter par exemple 10 % de nos impôts à des politiques publiques qui nous plaisent… Cela permettrait de montrer aux citoyens qu’il est possible de se réapproprier la gestion des dépenses publiques.

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