Hortaculture

HÔTEL SOLVAY 2.500 m2, 22 types de marbre, 13 essences de bois mais des visites limitées à 20 personnes à la fois. © PHILIPPE CORNET

Edifié par Victor Horta, le vaisseau de l’avenue Louise demeure un brillant témoin d’une période où l’audace le disputait à une certaine conscience sociale.

On a enveloppé nos chaussures avec des protections plastiques, et les lumières se sont doucement allumées dans cet impressionnant cargo urbain, dévoilant la splendeur d’un escalier central qui n’aurait pas dépareillé le chic affiné du Titanic. Sauf que cet immeuble d’environ 2.500 m2 installé avenue Louise, à Bruxelles, n’a jamais connu la noyade du temps, même si certains épisodes ont été venteux. “Les tapis sont d’époque, vieux de plus d’un siècle, ils sont donc fragiles. Nous sommes obligés de prendre certaines précautions, de limiter les visites à 20 personnes, quelques jours par semaine, et de ne pas autoriser la déambulation dans certaines pièces.” Dominique de Thibault est la conservatrice de ce bâtiment commandé en 1894 par la famille Solvay à un architecte jeune et frondeur, Victor Horta (1861-1947). Le budget? Illimité. La latitude? Complète, depuis la construction novatrice d’une structure en fer sans murs porteurs, mais poutrelles apparentes, aux détails les plus soignés. “Horta prenait soin de ne jamais se répéter. Des murs aux poignées de portes en passant par les meubles, il ne déclinait jamais rien deux fois. Vous ne verrez pas un fauteuil semblable signé de sa main dans une autre de ses maisons.”

Au départ, cette maison n’est pas jugée de bon aloi: les visiteurs sont surpris par la nouveauté, l’audace.” Dominique de Thibault, conservatrice

Une certaine idée de la société

A l’époque, le (futur) baron Horta est déjà perçu comme un talent majeur de ce que l’on appellera bientôt l’Art nouveau , terme emprunté à un magasin parisien qui vend entre autres des vases Gallé. Et s’il se met durant près de huit années au service d’Armand Solvay pour l’hôtel en question, c’est parallèlement à huit autres projet. Fils d’Ernest Solvay, le riche industriel célébre pour son procédé de fabrication de la soude caustique, Armand n’est pas non plus n’importe qui. “L’ Art nouveau est typique d’une certaine bourgeoisie anticléricale, témoigne Dominique de Thibault. Au départ, d’ailleurs, cette maison n’est pas jugée de bon aloi: les visiteurs sont surpris par la nouveauté, l’audace. Et puis, il y a la place de la domesticité. A l’époque, elle a généralement ses quartiers au sous-sol. Or ici, elle prend ses repas dans la cuisine du rez-de-chaussée. Les Solvay portaient une certaine idée de la société.”

Si l’Hôtel Solvay est ouvert au public depuis 1990 (sur rendez- vous), il est longtemps resté sous le radar, au fil des vicissitudes liées à l’appréciation de L’Art nouveau. On y retrouve pourtant toute l’esthétique Horta, grandement basée sur la ligne courbe, en référence à la vitalité de la nature, jusqu’à construire des tiges métalliques qui donnent l’impression d’enserrer les escaliers dans leurs griffes. Ou comme les meubles, traités avec grandeur végétale. Ceux de l’Hôtel Solvay sont fabriqués à partir de 13 essences différentes de bois. Sans parler des 22 types de marbre, des meilleures provenances. “Cela peut sembler paradoxal mais l’Art nouveau est né par peur de l’industrialisation, explique Dominique de Thibault. Ces maisons sont des fenêtres sur la nature. Elles laissent entrer la lumière comme l’air de l’extérieur, récupéré par ce qui était à l’époque des radiateurs à vapeur, aujourd’hui reconvertis à l’eau chaude, le tout donnant une certaine fraîcheur en été, comme en hiver d’ailleurs.”

HÔTEL SOLVAY 2.500 m2, 22 types de marbre, 13 essences de bois mais des visites limitées à 20 personnes à la fois.
HÔTEL SOLVAY 2.500 m2, 22 types de marbre, 13 essences de bois mais des visites limitées à 20 personnes à la fois.© PHILIPPE CORNET

A chaque niveau sa fonction

L’Hôtel Solvay est de cette trempe, édifié sur une avenue Louise qui, à la fin 19e début 20e, est à la fois une allée urbaine et une voie de promenade pour piétons et chevaux. Les Solvay y achètent deux parcelles contiguës, permettant une exceptionnelle façade de 15 mètres de large. Les niveaux ont dès le départ une fonction préétablie: le rez-de-chaussée est public, avec vestiaire et salle de réception, puis vient le bel étage avec ses salons mirifiques. Le second est le domaine des parents. On entre dans le bureau de monsieur”où trône encore près de la fenêtre un cu- rieux instrument: ce qui ressemble à un synthétiseur primitif n’est de fait qu’une machine à calculer, l’un des rares objets à ne pas être signés de la main d’Horta, comme les quelques combinés téléphoniques muraux (de la marque Ericsson) permettant de communiquer vers l’extérieur – il existe aussi un système de communication intérieure. Plus haut, s’étendent les quartiers des enfants, sorte de labyrinthique sophistiqué. Ainsi lorsqu’on entre dans la salle de bains, on s’étonne de l’absence de baignoire, en fait placée ailleurs. Et on note que le WC est dissimulé derrière une prude et splendide armoire boisée.

Il y a d’autres détails tout aussi épatants. Par exemple, ces peintures murales qui mixent l’orangé aux teintes vertes en parcourant des dizaines de dégradés. Horta, c’est la recherche de l’audace et de l’excellence”, conclut la conservatrice de ce lieu racheté par la famille Wittamer. Celle-ci n’a jamais modifié la maison, classée en 1977, demeurant un témoin exceptionnel qui séduit plus que jamais les visiteurs. L’Hôtel fait en effet toujours le plein plusieurs semaines à l’avance… Et ce sera sans doute aussi le cas pour le Banad Festival, du 22 mai au 6 juin prochain, qui organise des visites guidées d’intérieurs Art nouveau et Art déco le plus souvent fermés au public.

Infos sur www.hotelsolvay.be. www.banad.brussels/fr/

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© BELGAIMAGE

“C’est une affaire de famille”

“Mes grands-parents ont acheté l’Hôtel Solvay en 1957, le sauvant d’une démolition certaine, parce qu’il était convoité par des promoteurs. Je suis né 20 ans plus tard, et on peut dire aujourd’hui que cette maison est devenue mon virus. C’est une affaire de famille: ma tante en a fait l’objet de sa thèse de doctorat et mon père s’est occupé des restaurations et des visites. Même si mes grands-parents n’avaient pas l’intention d’utiliser le bâtiment, ils se sont organisés pour y installer des ateliers de couture, aux étages supérieurs. Au départ, les visites ne se faisaient qu’en groupes, auxquels nous fournissions un guide… Mais depuis janvier 2021, on autorise aussi les visites individuelles et à un tarif très démocratique, à partir de 12 euros. Cela a été possible parce que l’on a un site de réservation et, depuis cette année, un petit subside de fonctionnement de la Région. On n’a plus de guide, mais les visiteurs peuvent scanner un QR Code à l’entrée, et recevoir des explications. L’avantage d’une maison sans murs porteurs est d’être très ouverte, très aérée, ce qui permet, tout en restant dans la partie centrale du bâtiment, de voir les pièces dignes d’intérêt. Nous participons aussi au festival Banad (Brussels Art Nouveau & Art Deco) et aux visites d’hôtels de maître avec Explore.Brussels, tout en organisant de temps à autre des petits événements avec La Monnaie. Tout cela incarne d’abord une passion, pas un modèle économique: quand on aime, on ne compte pas…

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