Métaux rares: l’Europe veut en trouver chez elle, même aux dépens de la nature

Le commissaire à l'Industrie et au Numérique Thierry Breton © belgaimage

L’Europe va avoir un besoin vital de métaux rares tels que le lithium et le cobalt pour assurer sa transition énergique. Problème: elle n’en a pas beaucoup et la Chine a des décennies d’avance. Si elle ne veut pas être totalement dépendante, elle va devoir rapidement trouver des solutions.

L’Union européenne estime que sa demande en lithium sera 57 fois supérieure à celle d’aujourd’hui en 2050. D’ici 25 ans, les métaux rares risquent d’être aussi précieux que le pétrole ou le gaz. Aujourd’hui déjà, la dépendance de l’UE à l’égard de la Chine pour ces matières est plus élevée que celle à l’égard de la région du Golfe pour le pétrole et le gaz.

Or la guerre en Ukraine a montré dans la douleur qu’une dépendance envers des matières premières pouvait avoir des conséquences désastreuses. “Nous devons commencer à agir immédiatement pour éviter de remplacer une dépendance par une autre”, a ainsi déclaré le commissaire à l’industrie Thierry Breton à POLITICO. Avec un certain sentiment d’urgence, il finalise actuellement un plan d’action autour des métaux et terres rares. Ce mois-ci, l’Europe devrait donc définir une stratégie visant à sécuriser ses lignes d’approvisionnement en lithium, terres rares et autres minéraux clés. Elle devrait mieux armer les pays face à la nouvelle lutte géostratégique pour une énergie propre qui s’annonce. Il y a une course mondiale à l’approvisionnement et au recyclage des terres rares. Tous nos écosystèmes industriels sont concernés”, a ainsi déclaré Thierry Breton à De Standaard.

La Chine au centre de tout

Au cœur des attentions, on retrouve ainsi le Chili et l’Australie qui sont des acteurs majeurs dans le domaine du lithium et la République démocratique du Congo ou l’on produit 70 % du cobalt mondial. Mais le grand acteur de ce secteur est la Chine. À toutes les étapes, il est impossible d’échapper à Pékin. Elle domine les chaînes d’approvisionnement (elle contrôle 60% de la production mondiale) autant que leur transformation en un produit fini comme des batteries ou des panneaux solaires. En outre, elle détient 90 % de la capacité mondiale de traitement des terres rares et produit 98 % des aimants permanents de l’UE précise encore Politico. Il faut dire que le pays a plusieurs coups d’avance sur le reste du monde puisqu’il s’est intéressé dès les années 1980 à l’importance stratégique des métaux rares. Cela lui permet aujourd’hui d’avoir un poids inquiétant sur la chaîne d’approvisionnement du reste du monde sur les développements des énergies propres. Il a, avec les métaux rares, une arme géopolitique ultra-puissante.

Si le pays bloque tout approvisionnement en métaux rares, cela pourrait sérieusement mettre à mal les énergies vertes et donc la sécurité énergétique de l’Europe. Comme le précise encore Atlantico, ce n’est pas de la science-fiction puisque la Chine a déjà brièvement suspendu ses exportations de métaux rares vers le Japon en 2010. Et puis, ces dernières années ont déjà vu les tensions sur les chaînes d’approvisionnement tirer les prix de nombreuses technologies. En 2022, le renchérissement du cobalt, du lithium et du nickel a entraîné, pour la première fois, une hausse des prix des batteries des véhicules électriques (+10%). Le coût des turbines éoliennes hors de Chine et des panneaux photovoltaïques a également crû, après des années de baisse.

Dans les couloirs de l’Union européenne, on craint donc que la Chine compte user et abuser de sa position dominante dans l’approvisionnement de ces métaux rares. Rattraper son retard ne sera pourtant pas simple.

Des projets qui ont un impact négatif pourraient être autorisés

Le plan contiendrait plusieurs pistes telles que la création de stock, un meilleur suivi de ces derniers pour éviter toute situation de pénuries ou la création ou consolidation de “partenariats stratégiques” avec des pays tiers riches en ressources.

Une autre des pistes évoquées dans le plan serait l’augmentation des extractions et du raffinage au sein de l’UE. Si le Portugal possède d’importantes réserves de lithium et que la Suède a récemment annoncé le potentiel d’un vaste gisement de métaux de terres rares. L’Espagne, l’Autriche, la Pologne ou encore la Finlande disposent d’une bonne quantité de lithium dans le sol, mais les projets se heurtent souvent à des résistances en raison de leur impact environnemental.

Comme l’Europe ne dispose pas de suffisamment de métaux rares à l’intérieur de ses propres frontières, l’empreinte environnementale devra être déterminée au cas par cas. Concrètement, il se peut que certains « projets stratégiques qui ont un impact négatif sur l’environnement puissent être autorisés si le gouvernement considère que l’intérêt public du projet l’emporte sur cet impact ». M. Breton souligne ainsi qu’il est plus judicieux “d’investir dans l’extraction et le traitement intelligents sur notre territoire que d’extraire du lithium au Chili, de le faire traiter en Chine et de l’expédier ensuite en Europe”. Les permis seront délivrés plus rapidement. Pour les projets stratégiques, les autorisations devraient être délivrées pour une durée maximale de 24 mois et d’un an en cas de recyclage et de traitement.

Le nouveau plan devrait permettre qu’au moins 30% de la demande européenne de lithium raffiné provienne de l’UE d’ici à 2030, et à ce que le traitement des déchets dans l’UE permette de récupérer au moins 20% des éléments de terres rares qu’ils contiennent. Toujours d’ici 2030, l’UE devrait également être en mesure d’extraire suffisamment de minerai de fer et de minéraux pour produire au moins 10 % de sa consommation annuelle de matières rares stratégiques. « Chaque État membre devra mettre en place un programme d’exploration des mines possibles sur son territoire. La capacité de recyclage devrait permettre de produire au moins 15 % de cette utilisation annuelle. La capacité de traitement doit atteindre au moins 40 %. Enfin, toujours d’ici à 2030, l’UE ne devrait pas dépendre d’un pays extérieur à l’UE pour plus de 70 % de l’utilisation annuelle de l’une quelconque des terres rares stratégiques.

Et ce n’est pas tout. Il faut en moyenne entre 10 à 15 ans entre la découverte d’un gisement et son exploitation effective. Autant dire que 2030, c’est demain. N’étant franchement pas en avance, le plan risque bien de ne pas suffire. L’Europe ne va avoir d’autre choix que conclure des partenariats si elle veut diminuer sa dépendance envers la Chine. Ainsi, la Commission rêve de créer un “club occidental des matières rares” et s’entretiendrait régulièrement avec les États-Unis et le Canada à ce sujet. Pas le choix. Aucun pays n’est une île en matière d’énergie.

Un marché dont la valeur devrait tripler d’ici 2030

Le monde de l’énergie est “à l’aube d’une ère industrielle nouvelle”. Et cet essor devrait s’accélérer au fur et à mesure que la transition avance, juge un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui analyse marchés et chaînes d’approvisionnement et la manière dont ils risquent d’évoluer.

La transition énergétique est une opportunité industrielle et un marché dont la valeur devrait tripler d’ici 2030, selon l’AIE. Le marché mondial des grandes technologies liées aux énergies bas-carbone (panneaux solaires, éoliennes, batteries, électrolyseurs pour produire de l’hydrogène, pompes à chaleur…) devrait représenter environ 650 milliards de dollars annuels d’ici 2030, soit plus de trois fois son montant actuel, si les pays respectent leurs engagements, estime l’AIE. Les emplois industriels du secteur devraient passer de 6 millions aujourd’hui à près de 14 millions.

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