Crise de l’énergie : la faute à l’Europe ?

Le président du Conseil européen Charles Michel salue la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d'une session plénière au Parlement européen à Bruxelles, Belgique, le 29 mars 2023.

Des difficultés d’approvisionnement, une hausse fulgurante des prix: la crise de l’énergie est-elle de la faute de l’Europe ? C’est ce que semblent penser les parlementaires français, sans pour autant convaincre, notamment en Belgique.

La fin des années 2000 et le début des années 2010 resteront irrémédiablement les années de la conception d’un cadre européen néfaste pour le modèle français.” Voilà l’une des principales conclusions du rapport rendu la semaine passée par les parlementaires français de la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique. De vives critiques, formulées côté français, mais pas forcément partagées par leurs voisins européens, et notamment côté belge.

La souveraineté énergétique cristallise toujours les tensions entre les Européennes alors que nous avons dépassé les un an de conflit en Ukraine. Nous avons discuté de ce rapport français et de ses échos en Belgique avec Mathieu Van Vyve, professeur de recherche opérationnelle à la Louvain School of Management de l’UCLouvain, et spécialiste des marchés européens d’électricité.

Dans leur rapport, les parlementaires français citent, parmi les six erreurs commises dans la politique énergétique de leur pays, le marché européen et sa politique menée ces vingt dernières années. Si on résume, il y a eu trois paquets énergie: le premier a créé les bases d’un marché intérieur de l’énergie ; le second, la libéralisation des secteurs comme ceux du gaz et de l’électricité ; et le troisième, l’ouverture à la concurrence. Pouvez-vous revenir rapidement sur ces trois paquets et l’impact qu’ils ont eu sur les marchés nationaux et spécifiquement en Belgique ?

Mathieu Van Vyve: la libéralisation a complètement changé la manière dont l’électricité est achetée et vendue dans l’Union européenne. Mais il y a une très grande différence entre le marché français et belge. La France n’a en réalité pas joué le jeu de la libéralisation car EDF a gardé le monopole [ndlr: entreprise publique française de production et de fourniture d’électricité, détenue à 90% par l’État français]. En Belgique, c’est clair qu’Electrabel, passé sous le label d’Engie, est un opérateur dominant mais il est davantage interconnecté. C’est-à-dire que l’entreprise échange beaucoup, soit la moitié de son activité, avec les Pays-Bas, l’Allemagne et la France notamment. La dominance en Belgique est donc moins problématique car davantage interconnectée. La libéralisation a donc été un succès du point de vue belge puisqu’on a bénéficié de l’augmentation de la concurrence.

Le rapport va jusqu’à dire “qu’une réforme majeure est donc nécessaire et urgente”. Mais donc pour vous, le marché fonctionne, et n’a donc pas besoin de réforme ? Tout cela est exagéré ?

MV: Il y a eu des critiques récemment, des demandes de réforme, mais la plupart des gens disent que le marché fonctionne bien. C’est simplement que certains marchés nationaux ne sont pas assez concurrentiels car avec un seul acteur. Nous avons eu une grosse crise de l’énergie cet hiver, et pour autant le marché a assez bien fonctionné. Les prix ont été certes élevés pendant quelques mois mais au final, cela a été. Aujourd’hui, le prix du gaz a baissé, le problème a été plutôt bien géré. Pour l’électricité, les prix restent en revanche élevés, mais à cause de décisions qui n’ont pas grand chose à voir avec le marché européen. Par exemple, la France a connu des problèmes de production avec son parc nucléaire [ndlr: un certain nombre de réacteurs nucléaires à l’arrêt] ; et la sécheresse a eu un impact négatif sur la production d’énergie hydraulique. En Allemagne, des centrales nucléaires ont été fermées en pleine crise de l’énergie, ce qui a entrainé la montée des prix. C’est donc davantage un problème d’approvisionnement que de marché.

Le rapport précise que la politique énergétique européenne repose sur trois piliers : la sécurité d’approvisionnement, la préservation de l’environnement et la mise en œuvre de la concurrence – mais “sans toujours s’assurer de la compatibilité entre ces trois objectifs”. “Ainsi, la concurrence ne garantit pas nécessairement la sécurité d’approvisionnement. Au lieu de chercher à diversifier leurs sources, les différents acteurs ont eu tendance à se précipiter ensemble sur les pays d’origine les moins onéreux à un moment donné, quitte à se retrouver confrontés à une remontée unilatérale des prix ou un arrêt brutal de la fourniture.” Que pensez-vous de l’articulation entre ces trois piliers et de la conclusion apportée par le rapport ?

MV: je suis vraiment dubitatif, le système a bien fonctionné alors je suis étonné de ces critiques. Cependant, je n’ai pas la même appréciation avec la sécurité d’approvisionnement. Il est vrai qu’un marché du futur qui fonctionne, c’est savoir aujourd’hui où faire les investissements. Le problème est davantage d’ordre politique. Ce sont les États qui doivent faire en sorte qu’il y ait des opportunités d’investissement. C’est-à-dire des terrains pour construire des infrastructures, nucléaires, éoliennes … Cela repose également sur le choix d’un modèle : soit on a un système concurrentiel libéralisé où les prix reflètent le manque mais suscitent l’investissement dans de nouvelles technologies ; soit on a un système avec un État qui pilote complètement le secteur. Mais l’entre-deux n’est pas possible, et c’est sans doute le problème qu’a la France aujourd’hui. EDF n’a également pas su profiter de la conjoncture actuelle et aurait pu faire du profit. L’entreprise n’est aujourd’hui pas dans une bonne situation financière et donc manque de capacité d’investissement. C’est un acteur devenu fragile. Ce sont donc au final des choix politiques à faire pour chaque État membre plutôt qu’un dysfonctionnement du marché européen.

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