Des concepts d’habitat voués à se réinventer

Sébastien Ladouce et Joël Collard © Frédéric Raevens

Du fait de sa proximité avec le grand-duché de Luxembourg, Arlon attire les projets immobiliers. Le nombre de ceux-ci et l’absence d’une vision communale écrite noire sur blanc font grincer des dents.

Ce qui n’empêche pas la vente des logements produits, insistent Joël Collard, cofondateur du bureau A3 Architecture, et Sébastien Ladouce, directeur Prospection & Développement immobilier chez Thomas & Piron. Les terrains se faisant plus rares, il faut cependant envisager petit à petit de nouvelles façons de construire et d’habiter.

TRENDS-TENDANCES. On entend souvent qu’il y a beaucoup de projets immobiliers à Arlon. Est-ce le cas ?

JOËL COLLARD. Si on prend les cinq dernières années, selon les permis d’urbanisme délivrés, il y a eu 187 nouveaux appartements en moyenne par an. Le volume de ce qui se bâtit est important, rien que sur la commune. Le prix de vente n’est pas extrêmement élevé mais néanmoins soutenu par rapport au volume produit. Et à ma connaissance, il ne reste pas des dizaines de logements invendus…

SÉBASTIEN LADOUCE. En province de Luxembourg, quelques bourgades comme Marche-en-Famenne, Libramont ou Bastogne sortent un peu du lot, sinon l’essentiel du marché intéressant est sur Arlon, du fait de la proximité du Grand-Duché. Ces dernières années, il y a eu les effets de la crise immobilière comme partout, mais ça s’est prolongé un peu plus longtemps ici. Résultat : on a arrêté des opérations pour faire le gros dos avant de réintroduire des permis plus tard.

Aujourd’hui, la situation s’est améliorée. On voit qu’il y a pas mal de projets qui sortent, parfois au même moment. Cela fait polémique mais est-ce exagéré au vu de la qualité de la ville, de son intérêt et de la proximité du Grand-Duché ? On ne le pense pas. Les appartements se vendent vite, donc c’est que la demande est là.

Est-ce qu’on peut dire que ce développement est maîtrisé ? La commune n’a pas de schéma de développement communal mais a-t-elle une vision, met-elle des balises ?

J.C. Il y a à boire et à manger dans les deux attitudes, dans la mesure où si l’on se retrouve avec des éléments trop directifs, on va rater des choses et une certaine évolution. On le voit au Grand-Duché : chaque commune ou village a son plan qui détermine le gabarit, etc., et on arrive à une architecture qui est uniforme. Je pense qu’il faut garder une ouverture d’esprit en fonction du site et des besoins.

L’attitude actuelle à Arlon n’est pas optimale mais elle reste ouverte dans la mesure où on arrive à discuter. Et ce duo que l’on a en Belgique avec la Région wallonne et l’administration communale est intéressant. A partir du moment où un dialogue s’installe, on parvient quand même à répondre à des spécificités du site, de l’architecture, des besoins, etc.

S.L. Dernièrement, on a eu pas mal de contacts avec l’administration d’Arlon et on a ressenti une facilité de dialogue – de même qu’avec la Région wallonne. Comme il n’y a pas de schéma, les habitants d’Arlon ont peut-être l’impression que les projets sont validés un à un, sans avoir de vision générale. Mais il est clair que les autorités ne disent pas oui à tout. Il y a beaucoup de discussions -à propos des matériaux notamment- et on n’obtient pas toujours ce qu’on veut. Après, l’opportunité d’urbaniser ou pas est balisée par d’autres outils comme le plan de secteur.

Quelles seraient les bonnes pratiques aujourd’hui pour densifier ce tissu urbain ?

J.C. On peut densifier en termes de plans, mais aussi en hauteur. On le voit sur Arlon : alors qu’on dépassait rarement les rez +2, on arrive maintenant à avoir des constructions qui grimpent à cinq ou six étages. Plus globalement, il y a une vision de l’urbanisme au niveau de la Région wallonne, et puis il y a la vision locale. Parfois elles sont convergentes, parfois elles ne le sont pas. En termes de parkings par exemple, on sait que la Région aurait plus tendance à vouloir réduire le nombre de places car à partir du moment où on offre deux parkings par appartement comme le demande la ville d’Arlon, cela veut dire qu’il y a généralement deux voitures. S’il n’y a plus qu’un parking, voire moins, il n’y aura plus de voiture.

Les autorités ne disent pas oui à tout. Il y a beaucoup de discussions – à propos des matériaux notamment – et on n’obtient pas toujours ce qu’on veut. ” Sébastien Ladouce (Thomas & Piron)

S.L. Il faut amener un contexte qui favorise effectivement moins de parkings, en proposant notamment des box vélos dans les projets. C’est vrai qu’au départ, ce sont des contraintes pour nous, architectes comme promoteurs, mais il y a une logique d’ensemble. Et si tout est cohérent, on donne des chances pour que cette philosophie fonctionne. Une voiture en moins, cela aura des effets positifs sur l’écologie en général mais aussi sur la mobilité. A côté de la vision de la Région wallonne qui prône la densification, il y a en effet l’aspect local avec les riverains et leurs craintes par rapport à ces développements qui sont proches de chez eux et qui, inévitablement, vont engendrer des nuisances – principalement en termes de mobilité.

Quelles autres solutions peut-on mettre en place pour limiter les contraintes liées à la densification de l’habitat ?

S.L. On développe par exemple un projet d’écoquartier à Schoppach avec une manière d’habiter un peu différente, où il y a beaucoup de densité et notamment de la promiscuité. Il faut donc porter une grande attention aux espaces publics et à la qualité de ceux-ci, ainsi qu’aux différents services qu’on peut proposer dans ce genre de quartier. A Schoppach, il y aura une maison de quartier avec une salle polyvalente qui pourra, par exemple, être occupée par du coworking en journée et des distributions de paniers bios en fin de journée. On va également développer une application qui permettra aux gens du quartier de communiquer entre eux et de se rendre des services. L’idée est d’amener une âme dans ces nouveaux quartiers où il y a effectivement une plus grande promiscuité que dans des projets traditionnels avec des maisons quatre façades comme on le faisait ces 20 dernières années.

J.C. Il clair que le concept d’habitation évolue : on peut dire que celui des quatre façades et mort et enterré, celui des trois façades survit mais on sait que ce sera à court terme. Maintenant, on est sur de l’habitat groupé, mais je suis convaincu qu’on va arriver à une autre vision de celui-ci. Un appartement de 100 m2 devient en effet quelque chose de rare et surtout de cher compte tenu des exigences urbanistiques, énergétiques, du coût du terrain, de la construction, etc. Notre habitat a donc tendance à se réduire et le concept de l’immeuble à appartements tel qu’on le voit aujourd’hui va sans doute arriver au bout de sa vision et il faudra trouver autre chose.

Le concept de l’immeuble à appartements tel qu’on le voit aujourd’hui va sans doute arriver au bout de sa vision et il faudra trouver autre chose. ” Joël Collard (A3 Architecture)

Quelle genre de concept d’habitat imaginez-vous pour l’avenir ?

J.C. Plutôt que d’avoir un grand appartement à moitié occupé, on va mutualiser un certain nombre de choses pour limiter la surface de vie à l’essentiel. On va retrouver des pièces communes pour pouvoir organiser une soirée, un anniversaire ou autre. Il y aura la chambre pour les parents, celle pour les enfants et peut-être dans une partie du bâtiment la possibilité d’occuper une chambre d’amis. Cela change évidemment la manière dont on aborde l’occupation de l’espace, la conception et la construction.

Ce sont des tendances que vous pouvez imposer comme promoteur ou architecte, mais comment sont-elles accueillies par les acheteurs et occupants ?

J.C. On le voit, les acquéreurs ne sont a priori pas demandeurs. Il y a quelques initiatives individuelles privées pour des habitats différents mais pour la majorité des clients et des promoteurs, ce n’est pas encore quelque chose de spontané même si on y arrivera.

S.L. Si on fait un parallèle avec les terrains, on peut voir une évolution claire des mentalités. On le sait, le Wallon était attaché à la maison quatre façades avec 10 ares mais il y a eu un certain changement initié par la Région et le marché a suivi. Les gens ont tendance à avoir moins envie d’un grand terrain, notamment pour l’entretien que ça génère et pour faire baisser les coûts.

J.C. Dans certains villages proches d’Arlon, on a à présent des terrains de 4 à 6 ares qui coûtent le prix de la maison que l’on va construire dessus. C’est cette pression qui pousse les habitants à aller en appartement ou attendre de vivre en famille pour s’orienter vers de l’habitat individuel. S’il n’y avait pas cette sorte d’imposition et qu’on laissait faire les gens, on serait sans doute toujours à la quatre façades.

Comment faire en sorte que les projets s’intègrent dans leur environnement ?

J.C. La question qui se pose dans notre province porte surtout sur ce que l’on fait avec les villages. A un moment, la démarche était d’y refuser toute construction d’habitats groupés ou d’immeubles à appartements. Je ne trouve pas ça correct car il y a par exemple des gens âgés qui se retrouvent dans des fermes énormes qui se délabrent et qu’ils n’arrivent plus à entretenir. Ils voudraient partir mais tout en restant dans leur village et près de leur famille. Il y a aussi des veufs ou veuves, des divorcés, des jeunes couples. Si l’on est dans le schéma d’habitation d’une ou deux chambres, on se retrouve obligé d’aller en ville, alors qu’un immeuble de six ou huit appartements peut tout à fait s’intégrer dans un village et y laisser ou ramener une certaine population. Il faut juste travailler sur des volumétries et une architecture qui respectent le gabarit.

Y a-t-il des villages luxembourgeois dans lesquels vous avez pu développer des projets d’appartements ?

S.L. Oui, dans le village de Bellefontaine, nous avons un projet de lotissement avec quelques immeubles à appartements de petite taille. Sur une première phase de 30 maisons, on retrouve deux bâtiments de quatre appartements. Nous avions quelques craintes par rapport à la vente car on se trouve dans un village sans services tout proches mais cela s’est commercialisé très rapidement.

L’avenir sur Arlon, comment l’imaginez-vous ? Y aura-t-il encore autant de projets qui se développeront ? Ne va-t-on pas arriver à saturation ? Où trouver les solutions à ce moment-là ?

S.L. C’est clair que les zones vierges disponibles pour l’urbanisation vont se réduire de plus en plus. Il y en a cependant encore et la manière de développer ces endroits va continuer à évoluer. Les villages autour vont certainement eux aussi poursuivre leur développement, parce que la demande est là et n’est pas près de s’arrêter. Il ne faut pas non plus nier qu’à moyen terme, il faudra tenir compte des impulsions régionales visant à limiter l’artificialisation des sols. Ça nous freinera peut-être ou nous orientera vers des projets plus opportuns à développer que d’autres. Mais ce n’est pas pour tout de suite : avant, il y a encore des projets dans les cartons qui doivent sortir et se finaliser.

J.C. Sur Arlon, cela commence à bien se densifier. Il y a encore un certain nombre de choses disponibles mais comme on dit souvent aux clients, tous les bons terrains sont construits. Il en reste d’assez mauvaise qualité, plus ou moins inondables, avec plus ou moins de nuisances ou de pollutions, plus ou moins d’oppositions des riverains, etc. Bref, il reste surtout des zones compliquées.

A côté de ça, il y a de vieux immeubles des années 1960, 1970 ou même 1980 qui sont de véritables passoires énergétiques et coûtent très cher à entretenir. Soit on arrive à les rénover, soit il faut un accord pour les démolir et les reconstruire avec plus de logements, car ces bâtiments contiennent souvent de grands appartements de 120 m2 ou plus. La démolition/reconstruction est très compliquée à mettre en place car l’accord ne peut être pris qu’à la majorité des propriétaires, mais c’est le genre de chose qui sera inéluctable à un moment donné.

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