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Crise et gouvernance d’entreprises cotées

La crise financière va probablement accentuer le rapport de force d’une gouvernance d’entreprise actionnariale sous tutelle publique, à tout le moins pour les entreprises cotées.

Adoptée en français du 13e siècle comme un équivalent au terme “gouvernement”, la gouvernance correspond à un ensemble de comportements au travers desquels des règles sont élaborées, légitimées, mises en oeuvre et contrôlées. Appliqué au monde des entreprises cotées, ce concept concerne la façon dont le pouvoir des actionnaires et l’espace discrétionnaire des dirigeants sont balisés. La gouvernance d’entreprise ne concerne dès lors pas la manière selon laquelle l’entreprise est dirigée, mais plutôt selon laquelle sa structure de pouvoirs de direction est bâtie.

Même s’il n’a pris d’importance que récemment, le champ de la gouvernance est né des analyses de Berle et Means (1932), situées dans le contexte de la crise de 1929. Dans les sociétés cotées, ces auteurs concluaient à une gestion défavorable aux actionnaires en raison de l’imperméabilité existant entre ces derniers, qui assument le risque, et les dirigeants, qui prennent les décisions. A 80 années d’intervalle, les crises boursières alimentent des débats comparables.

Vigilance actionnariale

Depuis quelques années, la gouvernance corporative a été appréhendée de manière partenariale, en prenant en considération non seulement les actionnaires, mais aussi l’ensemble des protagonistes de la vie de l’entreprise. C’est une approche qui, partant des shareholders, concerne également les stakeholders.

A l’intuition, la crise actuelle va modifier cette perception partenariale de la gouvernance. Un fait sous-tend cette évolution : les actionnaires ont été appauvris. Cet appauvrissement va immanquablement renforcer la surveillance des conseils d’administration, dont la première mission sera de restaurer capacité bénéficiaire et patrimoine des propriétaires. Cette vigilance actionnariale sera renforcée par l’immersion totale dans une économie de marché aux contours très volatils.

Pourtant, l’équation sera complexe, car l’immersion dans une économie marchande très exigeante va paradoxalement s’accompagner d’une tutelle forte des autorités publiques, caractéristique des sorties de crise.

La responsabilité civile et pénale des administrateurs sera alourdie, au détriment de la protection solidaire qui a longtemps prévalu. Cette prospective d’une responsabilisation accrue des administrateurs est aussi inspirée par les exigences d’information renforcées qui seront imposées aux entreprises. Il s’agira de rendre le système plus efficace et fluide afin de diminuer l’opacité du circuit entre l’épargne des actionnaires et le capital des entreprises.

Cette optique s’inscrit dans la vision contractuelle de l’entreprise, selon laquelle il n’y a pas lieu d’opposer entreprise et marché : l’entreprise est un marché privé qui a réduit ses coûts de transaction. D’une manière ou l’autre, l’imperméabilité économique de l’entreprise va se corroder. La confusion économique des patrimoines de l’entreprise et des actionnaires s’effectuera justement par la responsabilisation individuelle patrimoniale des administrateurs. Ceux-ci constituent, en effet, le point de rencontre des actionnaires et des dirigeants, c’est-à-dire des pourvoyeurs et des exploitants des capitaux.

Responsabilité accrue

Ce recours sur le patrimoine personnel des administrateurs n’est pas une futurologie. Il suffit, pour s’en convaincre, de feuilleter la presse anglo-saxonne : c’est déjà une réalité américaine. Dans ce pays, il est convenu que la responsabilité civile des administrateurs discipline la fonction.

Cela conduit d’ailleurs à une situation singulière : un administrateur attend d’abord d’être protégé, par les actionnaires eux-mêmes, des risques qu’il encourt, avant de formuler la stratégie de l’entreprise. Cette orientation signifie que l’entreprise, c’est-à-dire indirectement ses actionnaires, doit assurer la responsabilité de ses administrateurs, eux-mêmes chargés de diriger l’entreprise. Cette étrange circonvolution tend à confondre les risques de l’entreprise et de l’actionnaire ou, plus conceptuellement, de diluer l’indépendance économique de l’entreprise. Cette évolution est-elle souhaitable ? Probablement pas, mais nos économies n’auront pas d’autre choix que d’y être confrontées.

En résumé, la crise financière va probablement accentuer le rapport de force d’une gouvernance d’entreprise actionnariale sous tutelle publique, à tout le moins pour les entreprises cotées. La sociologie bienveillante des conseils appartient sans doute au passé car l’économie de marché, conjuguée à des exigences publiques alourdies, va responsabiliser la fonction de l’administrateur. Incidemment, la notion d’indépendance d’administrateur sera, plus que jamais, promue. Elle sera fondée sur la discipline, l’expertise et la rigueur.

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