Crime d’état aux Antilles

Avec ” Tropiques toxiques “, la journaliste Jessica Oublié signe le scénario d’une enquête graphique qui revient sur le scandale du chlordécone, pesticide qui a pollué à jamais les Antilles françaises. Trash.

La banane, fleuron de l’économie des Antilles françaises, emploie durant la seconde moitié du 20e siècle un tiers des actifs en Martinique et en Guadeloupe. Mais, dès les années 1960, c’est un fleuron sous perfusion qui ne peut résister à la concurrence des multinationales américaines. Les accords protectionnistes combinés à l’utilisation du chlordécone comme pesticide (pour améliorer le rendement en luttant contre les ravageurs) font l’affaire pendant plusieurs décennies. Jusqu’à l’instauration du marché unique en 1993 qui fait chuter les prix. C’est aussi dans les années 1990 que le chlordécone est définitivement interdit, même si dès les années 1970, plusieurs études mettent en lumière sa dangerosité.

Lorsqu’elle se réinstalle sur son île natale en 2018, la journaliste française Jessica Oublié comprend l’ampleur des dégâts: personne dans la population n’est épargné, on trouve des traces du pesticide dans l’eau, dans le sang, les cas de cancer explosent, le développement neurologique des enfants est impacté. Elle se lance dans une longue enquête admirablement contée dans cette bande dessinée, parsemée de quelques photographies des principaux témoins (ce qui donne encore plus de force à la réalité du drame). Jessica Oublié croise les regards de victimes, journalistes, chercheurs, médecins dans un récit fouillé qui révèle non un scandale, mais carrément un crime d’Etat.

Que feront les générations futures de ce patrimoine mortel? Selon les philosophes Cynthia Fleury et Tanella Boni, nous sommes entrés dans une ère de catastrophes visibles à l’échelle mondiale, mais la crise écologique nous permettra peut-être d’édifier un monde “d’après” construit sur de nouvelles valeurs. Un livre choc mais qui ne tombe pas dans le fatalisme.