Compétences numériques : un chantier en effervescence

Jean-Michel Vanderhofstadt (Technocampus), Gisèle Lamboray (Technicity.brussels), Thierry Castagne (Technifutur) et Yvan Huque (Technofutur TIC) © Studio Dann

Les centres de compétences bruxellois et wallons de l’industrie technologique forment environ 38 000 personnes chaque année. L’objectif est de reconvertir du personnel ou des demandeurs d’emploi aux nouvelles exigences du marché du travail. Un marché dont les besoins évoluent très rapidement sous l’effet de la transformation digitale des entreprises.

Mais dans quel sens évoluent les demandes des entreprises ? Quels sont les difficultés rencontrées ? En quoi les centres de compétences peuvent-ils, dans ce contexte, être des partenaires des entreprises ? Pour le savoir, nous avons réuni autour de la table les CEO des centres de compétences wallons et bruxellois : Thierry Castagne (Technifutur, Liège), Yvan Huque (Technofutur TIC, Charleroi), Gisèle Lamboray (Technicity.brussels) et Jean-Michel Vanderhofstadt (Technocampus, Charleroi, Mons, Strepy). Ils s’accordent sur cinq constats (et autant de défis) et annoncent des initiatives concrètes.

Cette interview fait partie d’une série de cinq articles sur l’impact de la digitalisation sur le marché du travail. Les défis sont énormes, mais, heureusement, les opportunités sont nombreuses pour ceux qui s’y préparent. Agoria, l’organisation qui relie les entreprises inspirées par la technologie en Belgique, a donné le coup d’envoi des actions avec son programme Be the Change. Mais Be the Change est l’affaire de tous. Dans cette série d’articles, vous découvrirez des témoignages inspirants issus de la pratique.

Cinq constats

La demande évolue du go to job au job to job

Pour Yvan Huque, ” depuis un an environ, on assiste à un véritable tournant dans la demande des entreprises : le concept de ‘talent’ s’impose. Les entreprises qui ont une nouvelle stratégie industrielle, qui savent où elles veulent aller, se retrouvent bloquées par le manque de talents disponibles. Elles viennent chez nous pour faire évoluer les compétences non pas de telle personne, de telle équipe, mais bien au niveau global de l’entreprise. Pour résumer, alors que notre core-business était jusqu’à présent d’aider à la remise au travail, ou de mettre les compétences à niveau, nous devons désormais soutenir des opérations ‘job to job’. Avec la transformation digitale, les profils demandés évoluent radicalement et il faut accompagner le personnel dans cette évolution. “

Ce que confirme Thierry Castagne. ” Notre nom le dit bien : nous sommes des centres de compétences, pas seulement de formation. Et notre mission est de former/fournir des talents technologiques tout au long de la vie. Un exemple de demande que nous recevons : comment réorienter, avec ou sans formation, 40 personnes d’une activité d’usinage en forte baisse suite à la clôture d’un contrat ? “

La formation de base ne suit pas

Gisèle Lamboray constate l’énorme défi que représente le niveau des compétences de base (mathématiques, langues,…), le plus souvent insuffisant chez les demandeurs d’emploi qui se présentent à Technicity. ” Il faut maintes fois partir d’une base quasi nulle – ce qui pose le problème de la qualité de l’enseignement, beaucoup trop éloigné des besoins : il est proprement affolant de constater l’écart entre ce que l’on va exiger d’un travailleur et la qualification de base des jeunes qui commencent dans notre centre. Outre le défi de la numérisation, il en est donc un autre, de base : celui de la qualité de l’enseignement technique et professionnel. “

Les formations IT explosent, l’industriel à la traîne

Alors que Gisèle Lamboray et Jean-Michel Vanderhofstadt pointent la difficulté de former des groupes pour les formations industrielles ‘classiques’ (” il faut voir une centaine de candidats pour former un groupe de huit personnes “), les centres de compétences plus orientés TIC se frottent les mains.

Si Yvan Huque reconnait des difficultés grandissantes à trouver de bons candidats, le ratio n’est chez lui que de 20 candidats vus pour constituer un groupe de 12 personnes. Thierry Castagne confirme la difficulté à attirer des candidats dans les formations ‘industrielles’, alors que dans le numérique, on n’est pas loin de refuser du monde… ” Les formations en cybersécurité, en développement Java par exemple sont prises d’assaut “. Encore faut-il bien entendu trouver les bons candidats.

La maturité numérique des entreprises est encore insuffisante

Tant Yvan Huque que Jean-Michel Vanderhofstadt soulignent que les entreprises wallonnes ne sont en général pas assez avancées dans leur transformation numérique, notamment les PME. Mais des initiatives se mettent en place pour stimuler la transition numérique. Ainsi, chez Technifutur, plusieurs recommandations de Be the change – notamment concernant les compétences du futur – ont été intégrées au projet ‘Digitizing Technifutur‘, un des axes du plan stratégique 2019-24.

” Un démonstrateur sur l’industrie 4.0 va aussi être déployé avec les trois centres de compétences wallons. Développé en concertation avec des entreprises membres d’Agoria via le pôle de compétitivité Mecatech, ainsi que de nombreux partenaires (Sirris, Digital Wallonia made different, …), ce démonstrateur sera une vitrine de l’industrie numérisée accessible pour l’entreprise mais aussi pour les demandeurs d’emploi et le monde de l’enseignement. “

Le défi, c’est l’humain, pas la technologie

Les centres de compétences sont conscients que, pour être crédibles, il doivent se transformer eux-mêmes. Un chemin que tous empruntent, d’un tout nouveau bâtiment hyper-équipé (Technicity) au lancement d’un ERP pour la gestion des centaines de modules de formation, en passant par de nouvelles méthodes de formation (massification, réalité virtuelle,…).

” Mais, en réalité, le défi n’est pas tant technologique qu’humain, lancent Thierry Castagne et Yvan Huque. Les formateurs doivent intégrer ces nouvelles formes de travail, et cela demande du temps. Au risque de rater le coche. ” Et Gisèle Lamboray de se souvenir de ce simulateur de soudage qui prend la poussière depuis des années, faute d’implication suffisante des formateurs… ” Avant d’enseigner l’excellence, on doit être soi-même au top “, conclut Jean-Michel Vanderhofstadt.

Des engagements

Ces constats posés, les centres de compétences veulent se positionner comme des fers de lance de la transformation digitale des entreprises. Il est vrai que leur force frappe est impressionnante, avec des milliers de personnes formées ou sensibilisées chaque année : des demandeurs d’emploi, des travailleurs, mais aussi un nombre important d’enseignants, d’étudiants, d’enfants,… Ils pointent quelques-unes de leurs initiatives prioritaires pour les prochains mois.

· Chez Technicity, on insiste sur le volet activation des demandeurs d’emploi, qui forment le gros des troupes. Les enfants ne sont pas oubliés, avec une initiative visant à les sensibiliser à la technologie le mercredi après-midi.

· Chez Technifutur, on pointe également des actions destinées aux jeunes : Technikids,Technoteens et Code for kids. ” De manière ludique et pédagogique, quelque 112 écoles par an et 5.700 enfants peuvent ainsi mettre les mains dans le cambouis et s’essayer à la programmation. “

· Du côté de Technocampus, le volet étudiants est particulièrement développé (5000 personnes/an), ainsi que les formations dans les métiers industriels (1000 personnes par an).

Pour Technofutur TIC, c’est le ‘Job IT Day’ qui est mis en avant soit le plus grand salon de l’emploi des métiers de l’informatique et du digital en Wallonie. Ce salon est co-organisé avec les centres de compétence TIC wallons et rassemble plus de 600 candidats et 100 recruteurs. En 2018, ce sont plus de 130 contrats qui ont pu y être signés pour des postes de développeurs applicatifs, de gestionnaires de projet, de business ou data analysts, de data marketers ou encore de system engineers.

Dans son étude ‘Shaping the future of work’ Agoria a développé quatre stratégies pour un marché du travail durable. Téléchargez l’étude ici.

Compétences numériques : un chantier en effervescence

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