“C’est aussi dans les périodes de crise que des marques peuvent émerger”

Ces derniers mois, l’ambiance n’est vraiment pas à la fête dans la sphère publicitaire. Budgets rabotés, annonceurs échaudés, crise d’identité… Le secteur est refroidi et se cherche de nouveaux horizons. Rencontre avec Sébastien Desclée, patron de Publicis Belgique, l’agence la plus récompensée en 2012.

C’est bien connu : en période d’austérité, les premiers budgets visés sont toujours ceux de la publicité. Affecté par la crise et la morosité ambiante, le secteur peine à renouer avec la croissance, obligeant les professionnels de la pub à faire preuve d’inventivité pour maintenir le navire à flot. Patron de Publicis Belgique, Sébastien Desclée garde malgré tout espoir, d’autant plus que sa société a été, via son antenne Duval Guillaume Modem, l’agence belge la plus récompensée en 2012 avec une trentaine de trophées récoltés au festival publicitaire de Cannes et à l’événement Eurobest. Une performance enviable qui met en avant la créativité belge sur la scène internationale même si, une fois de plus, l’ambiance générale n’est pas vraiment à la fête…

L’année 2012 a été difficile pour le monde de la pub et les perspectives 2013 ne sont pas réjouissantes. L’agence ZenithOptimedia prévoit d’ailleurs un recul du marché belge de 2% à prix constants…

Il est vrai que 2012 a été une année assez défensive pour le secteur. Les agences ont d’ailleurs dû être très inventives pour réussir à garder plus ou moins leurs objectifs par rapport aux actionnaires. Pour 2013, cela va être d’autant plus compliqué car, même si on a cette perspective chiffrée de -2%, le problème, c’est qu’il y a plutôt une absence totale de perspective tout court. Avant, on avait des prévisions qui étaient faites à plus ou moins longue durée. Aujourd’hui, on doit prévoir sans pouvoir vraiment prévoir. C’est l’absence de prévision qui rend notre métier de plus en plus difficile…

A cause des annonceurs qui réfléchissent de plus en plus à court terme ?

Oui, beaucoup plus qu’avant, mais ce n’est pas une volonté simplement locale. C’est souvent un impératif international. A nous d’enthousiasmer ces annonceurs et de les motiver à continuer à investir. Car c’est aussi dans les périodes de crise que des marques peuvent émerger. L’histoire l’a déjà démontré et donc je pense que 2013 va être une année très intéressante par rapport à ça.

Vous êtes donc malgré tout optimiste ?

A partir du moment où tous les prévisionnistes tablent sur une absence de croissance en Europe, il serait illusoire d’être tout à fait optimiste. Cela dit, ce n’est pas parce que l’on a un marché qui est en crise qu’on ne peut pas trouver des portes de sortie et des opportunités de croissance. Notre métier en tant que responsable d’agence, c’est de voir comment on peut changer l’environnement et d’en tirer le meilleur pour passer à travers cette période.

C’est d’autant plus vrai que la tendance du low-cost gagne le monde de la publicité…

Oui, c’est évidemment une tendance. L’annonceur, à juste titre, essaie d’avoir le meilleur rapport qualité-prix ou, du moins, de nous encourager à faire plus avec moins. Et c’est déjà le cas : par rapport à il y a 10 ans, on fait beaucoup plus avec la même chose ou parfois avec moins. Mais il faut rester vigilant. Car pour créer des bonnes idées, il faut avoir du talent. Et la tentation à laquelle on ne veut pas succomber, c’est de créer des idées faciles, bon marché, avec des gens qui n’ont pas de talent. Même si on essaie de trouver évidemment des solutions low-cost.

On sent, depuis un an ou deux, que les annonceurs changent dans leurs désirs de communication. Ils semblent de plus en plus demandeurs d’interconnexion en “social media”…

Oui, il y a effectivement un bouleversement et tout le monde est un peu perdu avec l’avènement du “social media”. Aujourd’hui, 70% de la conversation sur les marques sont au main des consommateurs. Comment contrôler cela ? Il y a donc beaucoup d’instabilité par rapport à la meilleure façon de s’adapter dans ce nouvel environnement, tant chez les annonceurs, que chez les agences médias et les agences créatives. On est dans une insécurité puisque les modèles du passé sont fortement bouleversés dans cette crise. Les rôles ne sont plus définis : qui fait quoi exactement ? Qu’est-ce que je prends en interne ? Il y a certains annonceurs qui, par exemple, “internalisent” la partie conversationnelle avec les consommateurs sur les réseaux sociaux et d’autres qui préfèrent l'”outsourcer”. Quel est le bon modèle ? Tout le monde se cherche…

Une autre tendance dans le secteur de la pub est le phénomène de concentrations des agences. Selon vous, ce processus va-t-il s’accélérer ?

J’espère que le vivier d’agences en Belgique restera toujours très large parce que ça dynamise le marché. Cela dit, il y aura effectivement des concentrations d’agences pour des raisons logiques d’économies. Cette tendance va avoir lieu. Mais l’autre tendance émergente sera, je pense, des agences internationales qui vont davantage travailler sur des échelles un peu plus grandes au niveau local donc, par exemple plus seulement sur la Belgique, mais sur des territoires élargis comme le Benelux ou le “Benefralux”, à savoir la Belgique, les Pays-Bas, la France et le Luxembourg. Donc, il va y avoir des mouvements, très certainement, mais je ne pense pas qu’il va y avoir une diminution drastique du nombre d’agences en Belgique. C’est plutôt un reprofilage qui s’opère.

Aujourd’hui, peut-on dire que les créatifs belges font encore du “local” dans la mesure où certains spots ou actions belges comme le film réalisé par Duval Guillaume Modem pour Telenet a enregistré le score incroyable de 42 millions de vues sur YouTube ?

Aujourd’hui, tout travail belge a le potentiel de devenir international. Il existe une carte du monde qui a été redessinée en fonction de la créativité par pays. Sur cette carte, la Belgique est immense. Notre pays émerge très fort créativement parce qu’on a la chance, je pense, de vivre dans un environnement multiculturel. Et donc une bonne campagne belge est une campagne à vocation internationale car elle parle initialement à deux cultures totalement différentes : latine et anglo-saxonne. Et à partir du moment où une campagne arrive à parler à ces deux public-là, elle peut dès lors devenir une campagne internationale.

La Belgique est donc un vrai laboratoire publicitaire ?

Oui, nous sommes un vrai laboratoire parce nous sommes culturellement diversifiés. Parmi les 20 campagnes les plus partagées sur les réseaux sociaux en 2012, trois d’entre elles viennent de Belgique. C’est un peu comme si, aux Jeux Olympiques, 15% des médailles nous revenaient ! Et pourquoi, aujourd’hui, cette créativité belge peut-elle s’exporter d’autant mieux qu’avant ? C’est grâce à cet univers digital, justement. Avant, on faisait aussi de très belles choses, mais on n’avait pas toujours la possibilité de les montrer à l’étranger. Aujourd’hui, le meilleur vecteur pour pouvoir les diffuser, c’est le consommateur.

Propos recueillis par Frédéric Brébant

Retrouvez l’intégralité de l’interview de Sébastien Desclée dans le numéro Trends-Tendances du 24 janvier 2013.

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