Toujours plus de dénonciations bancaires

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Les banques ont dénoncé l’an dernier un nombre record de clients auprès de la cellule anti-blanchiment. Mais la justice peine à suivre.

Jamais les banquiers n’ont autant joué aux délateurs en Belgique. C’est ce qui ressort du nouveau rapport de la Cellule de traitement des informations financières (la CTIF). L’an dernier, la cellule qui traque l’argent sale en Belgique a reçu un total de 28.379 déclarations de soupçon en provenance du secteur bancaire. Soit un tiers de plus qu’en 2021 et même cinq fois plus en 10 ans.

Ces chiffres en nette augmentation n’étonnent guère les spécialistes tels que l’avocat Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law). “On assiste à un véritable changement de mentalités dans les rangs des banquiers, qui ne veulent prendre aucun risque. Cela s’explique par de nombreux facteurs, notamment les récents scandales financiers, le renforcement des obligations de vigilance, les lourdes sanctions administratives et pénales, le risque réputationnel, etc.”

Circulaire de la BNB

A cette tendance qui voit les banquiers de plus en plus frileux face aux transactions trop peu transparentes, s’ajoute la fameuse circulaire de la Banque nationale du 8 juin 2021 qui exhorte les institutions financières à retracer l’origine des capitaux rapatriés sous les précédentes procédures de régularisation (le fameux “look back”).

“Cette circulaire contribue aussi très certainement à cette hausse des dénonciations de soupçon, prolonge Denis-Emmanuel Philippe. Les banquiers doivent vérifier que les capitaux fiscalement prescrits ont été soumis régulièrement à l’impôt. Cela concerne des milliers d’opérations de rapatriement pour lesquelles les banquiers sont susceptibles d’adresser des déclarations de soupçon. L’exercice de look back auquel se livrent une cinquantaine d’institutions financières n’est d’ailleurs pas terminé. Je suis prêt à parier que le nombre de dénonciations sera bien plus élevé encore pour l’année 2023! Chez certaines banques, le nombre de dossiers de régularisation ‘à risque’ est en effet fort élevé.” Selon Denis-Emmanuel Philippe, on dépasse parfois la barre des 50%.

La CTIF noyée

La CTIF, qui doit épurer des milliers de dénonciations, est noyée. Quant au parquet, il manque cruellement de moyens humains pour traiter les dossiers transmis. Résultat des courses? Un classement vertical, et peu de poursuites. “Il faut bien se rendre compte que les services compliance des banques ne décident d’avertir la CITF qu’à l’issue d’un long processus décisionnel, poursuit Denis-Emmanuel Philippe. Tout ceci a un coût considérable. Mais quand on voit le nombre de dossiers qui débouchent sur une enquête par le parquet, on peut parfois se demander si tout ce travail en vaut la peine.”

Rappelons que le client n’est, en principe, pas au courant de la procédure dont il fait l’objet. Les institutions financières n’ont pas le droit de révéler que des informations ou renseignements sont, seront ou ont été transmis à la CTIF, ou qu’une analyse pour blanchiment de capitaux est en cours ou susceptible de l’être. C’est ce qu’on appelle l’obligation de non-divulgation, connue également par l’expression anglaise no tipping off. D’où des dénonciations intempestives? “Lorsque la banque fait une déclaration de soupçon sans fondement, elle s’expose à un recours de son client. Certaines banques ont ainsi été condamnées pour cette pratique en justice. Mais ce cas est relativement rare”, précise Denis-Emmanuel Philippe.

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