Max Jadot (BNP Paribas Fortis): “Je suis un homme positif”

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Arrivé début 2011, en pleine tempête de la zone euro, aux commandes de l’ex-Fortis, Max Jadot tire sa révérence en tant que CEO. Désormais président du conseil d’administration, il revient en exclusivité pour Trends-Tendances sur ces 12 années qui l’ont vu redresser la première banque du pays.

C’est la dernière interview officielle de Max Jadot en tant que CEO de BNP Paribas Fortis. Un entretien exclusif que le patron de l’ex-Fortis nous a accordé quelques jours avant de passer le relais. Depuis le 1er janvier, c’est en effet Michael Anseeuw, responsable jusqu’ici de tout le département retail de BNPP Fortis, qui occupe désormais le fauteuil de CEO du premier groupe bancaire de Belgique. Pour sa part, Max Jadot remplace Hermans Daems en tant que président du conseil d’administration. L’occasion pour l’ancien patron de faire le point sur ces années qui l’ont vu diriger avec succès la filiale belge du groupe bancaire français.

TRENDS-TENDANCES. Douze ans après avoir pris les rênes de la banque en tant que CEO, vous voilà désormais président du CA. Une page importante se tourne à la tête de BNPP Fortis?

MAX JADOT. Douze ans, c’est une longue période. Mais je n’ai pas l’impression d’une rupture. C’est simplement une autre fonction. Un changement dans la continuité. En tant que président, vous n’êtes plus dans l’opérationnel au day to day. Vous êtes plus dans le stratégique, le contrôle. Mais c’est toujours travailler pour la banque, penser aux clients, aux collègues, etc.

Certainement, mais ce n’est pas non plus un job à temps plein.

C’est tout de même plus qu’un mi-temps (sourire). J’estime que cela va me prendre environ trois jours par semaine. Je resterai très impliqué.

Il est loin le temps de l’agence de la place Madou à Saint-Josse et de votre premier jour dans une banque?

En effet, j’ai commencé ma carrière au guichet en entrant à la Générale de Banque. C’était en 1983. Cela fait maintenant 40 ans.

Comme tout le monde, je peux me fâcher, être mécontent ou frustré, mais cela passe.

En regardant dans le rétroviseur, comment voyez-vous votre carrière, notamment comme CEO?

Je ne pensais pas que le job de CEO serait aussi prenant. C’est une implication permanente. Les choses que vous dites, les choses que vous faites, ont un impact fort. On réfléchit donc tout le temps à ce que l’on peut faire de mieux et aussi à ce que l’on a fait de moins bien.

Il y a eu des moments difficiles?

Bien sûr, mais je ne suis pas du genre à ruminer. Comme tout le monde, je peux me fâcher, être mécontent ou frustré, mais cela passe. Je suis un homme positif qui a plutôt tendance à oublier rapidement les mauvais moments. Vous connaissez mon passé dans le corporate finance. Eh bien, il y a un dicton: there is no last train in investment banking. Vous perdez une mission ou un mandat, puis vous pensez à gagner le suivant.

Un bon CEO doit-il faire abstraction de ses émotions?

Je n’ai pas dit que j’étais un CEO sans émotions. Se séparer d’un collègue que vous appréciez n’est jamais gai. Certains collaborateurs au sein de la banque vivent aussi des drames familiaux. Ce ne sont pas tant les événements liés au business qui me touchent, mais tout ce qui a une dimension sociale et humaine.

Quel conseil donneriez-vous à votre successeur?

Je n’ai pas de conseil à lui donner. Il développera lui-même sa propre stratégie, avec sa propre vision, ses propres capacités et son propre caractère. Comme président, je serai là pour le soutenir et le challenger. Mais par définition, il ne sera pas un clone de Max Jadot. Et c’est bien ainsi. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a été choisi et pas pour imiter ce que son prédécesseur a fait.

D’aucuns s’étonnent de voir un CEO devenir président dans la mesure où vous allez devoir évaluer la stratégie que vous avez vous-même mise en place.

Je comprends que des questions puissent se poser en matière de surveillance. Mais je connais la banque, son histoire, les gens, les clients, sa stratégie. C’est un plus. Après, il faut connaître les règles de gouvernance et les appliquer. Mais j’ai bien réfléchi et je suis arrivé à la conclusion que mes années chez Bekaert, où j’ai longtemps été administrateur et également président de l’association familiale des actionnaires, m’ont apporté l’attitude et l’expérience nécessaires pour pouvoir faire les choses correctement. Par ailleurs, Michael et moi, nous nous connaissons très bien, nous sommes très complémentaires et on se parle très facilement. Cela étant, je ne serai ni son mentor ni sa belle-mère.

Auriez-vous voulu rester plus longtemps CEO?

La longévité moyenne d’un CEO est inférieure à 10 ans, alors que j’ai effectué trois mandats de quatre ans. Avec Michael, il y a aussi un successeur qui est prêt. Par ailleurs, le nouveau siège est terminé. L’acquisition de bpost banque est bouclée. La banque vient de fêter ses 200 ans. Et moi-même, j’ai 65 ans. C’était le bon moment pour passer le flambeau.

Vous êtes arrivé à la tête de Fortis après la débâcle de 2008, à un moment où celle-ci, rachetée par les Français, restait marquée par la crise bancaire. Comment analysez-vous le chemin parcouru depuis?

L’avantage d’une si longue période en tant que CEO, c’est que vous pouvez déployer une stratégie consistante. Il a d’abord fallu rapidement reconstruire la banque dans un contexte de crises avec un “s”: la crise financière mais aussi tout de suite, dans la foulée, la crise de l’euro. Après ce back to basics, nous sommes passés à une phase de développement assez forte. Et le résultat est là. Nous avons réussi à renforcer la banque dans tous ses domaines d’activité. Le rachat de bpost banque par exemple, c’est 600.000 clients en plus et 12 milliards de dépôt en plus. Le rachat d’Arval, c’est aujourd’hui 100.000 véhicules en leasing en Belgique. Autrement dit, la banque a beaucoup grandi depuis 2014. C’est désormais un avion qui dispose de plusieurs puissants moteurs. Et si un moteur a un problème, les autres peuvent maintenir l’avion en l’air. De plus, les activités se renforcent mutuellement. Bref, BNP Paribas Fortis a incontestablement repris sa place dans la société belge localement tout en étant dans le groupe BNP Paribas. Ce qui n’était pas gagné en 2008.

La banque a beaucoup grandi, c’est-à-dire?

En 10 ans, les crédits hypothécaires ont augmenté de 60%. Ils s’élèvent aujourd’hui à environ 66 milliards, contre à peu près 35 milliards à l’époque. Les dépôts aussi ont augmenté, quasiment dans la même proportion. Le retail, malgré les difficultés liées aux taux d’intérêt négatifs, a beaucoup évolué également. Il y a la digitalisation mais aussi le durable: la moitié de notre portefeuille est aujourd’hui investie en placements durables.

Les métiers sont aussi mieux positionnés. Pourquoi une segmentation plus pointue est-elle aujourd’hui si importante?

Vous connaissez certainement le dicton grec qui dit que tout change et rien ne change. Eh bien, en 40 ans, depuis mon arrivée à la banque en 1983, tout a changé et rien n’a changé. A l’époque, il fallait servir le client au guichet sans savoir pourquoi il venait. Il était possible de répondre à des questions simples. Mais pour des questions plus complexes, il fallait qu’il revienne. La solution à cela, c’est la segmentation. Cela vous permet de mieux anticiper et donc de mieux répondre aux besoins du client. Surtout que l’offre de produits financiers est devenue très complexe, que le papier et les bics ont disparu, qu’on parle de beyond banking, etc. D’un autre côté, rien n’a changé. Face au client, c’est toujours une question de confiance et de compétences. Ce qui fait la différence, c’est la qualité et la rapidité du service. Et le prix, bien sûr. Ici aussi, une segmentation plus pointue vous aide à mieux répondre aux attentes du client.

La banque a beaucoup grandi depuis 2014. C’est désormais un avion qui dispose de plusieurs puissants moteurs. Et si un moteur a un problème, les autres peuvent maintenir l’avion en l’air.

Peut-être, mais les agences ferment, certains services deviennent payants. Il y a les clients qui peuvent s’offrir un conseil et les autres.

La réalité est là. Les clients viennent de moins en moins en agence. Le plus important, c’est que la banque continue de jouer son rôle. Grâce à l’intégration de bpost banque dans nos canaux de distribution, nous avons une offre adaptée à tous les clients en fonction de leurs besoins et de leurs moyens financiers. Pour ceux qui sont à la recherche d’un service de base, il y a Nickel ou bpost banque, dont le succès auprès de certains groupes cibles réside précisément dans les contacts physiques. A côté de cela, vous avez Hello bank! ou BNP Paribas Fortis, avec ou sans rendez-vous. Tous les clients sont bienvenus mais les produits et les services diffèrent selon leur profil.

Le nouveau siège, c’est quelque chose dont vous êtes particulièrement fier?

Démolir l’ancien bâtiment pour en reconstruire un nouveau au centre de Bruxelles a été l’une des toutes premières décisions que nous avons prises quand je suis devenu CEO. C’était en février 2011. Mais aussi beau et durable soit-il, le nouveau siège reste un outil pour réaliser les objectifs de la banque dans la société. Non, ma plus grande satisfaction, c’est d’avoir fait le pont entre la banque belge et le groupe BNP Paribas. J’ai participé à plus de 500 réunions du comité exécutif du groupe, ce qui fait que j’ai pris le Thalys au moins mille fois. C’est comme cela que vous créez un lien. Si vous voulez que Paris comprenne ce qui se passe en Belgique et que nous, en Belgique, comprenions comment l’actionnaire pense et évolue, c’est indispensable. Une forte expertise locale alliée à un ancrage au sein de BNP Paribas, voilà notre modèle de réussite.

En tant que leader du secteur en Belgique, BNPP Fortis peut-elle encore croître sur un marché mature?

Beaucoup d’évolutions sont possibles. La rénovation du parc immobilier résidentiel via les prêts “verts” est un énorme défi. L’électrification du parc de voitures ouvre un énorme champ d’opportunités. L’inclusion sociale est aussi une thématique très importante: financer les entreprises, c’est créer de l’emploi, donc de la solidarité et de la cohésion sociale. Nous devons aussi accompagner les clients et les citoyens dans la digitalisation. Les enjeux sociétaux constituent de formidables leviers de croissance pour le secteur bancaire.

On l’a dit, président du conseil d’administration, ce n’est pas un job à temps plein. Qu’allez- vous faire de vos journées?

Des mandats d’administrateur se présenteront peut-être. Nous verrons, je ne vais pas me précipiter. Pour le reste, ma passion, c’est l’histoire. Je vais pouvoir lire et relire. Ma liste de livres est connue: De Bourgondiërs de Bart Van Loo, la série de Johan Op de Beeck sur la révolution belge et Napoléon. Pour mieux comprendre les origines du conflit ukrainien, j’ai aussi commencé à regarder les exposés sur YouTube de Timothy Snyder, professeur à l’université de Yale.

Et un match dans les tribunes d’Anderlecht?

Cela fait longtemps que je ne suis plus allé voir un match, je l’avoue. La période covid a été une césure à cet égard. BNP Paribas Fortis a également mis un terme à son contrat de sponsoring. Cela a dû jouer. Mais soyons clairs: je reste supporter. Et peut-être que j’irai davantage au stade à l’avenir. Quant à un éventuel mandat d’administrateur, la question ne s’est pas posée jusqu’ici, donc je ne peux pas y répondre (sourire)…

Profil

· Né en 1957

· 1980: Master en droit (KU Leuven)

· 1983: débute à la Générale de Banque

· 1984 à2007: directeur d’agence puis directeur marketing puis managing director du département corporate finance de Fortis Banque

· 2007: country manager de Fortis Banque France

· 2009: membre du comité exécutif de BNP Paribas Fortis en charge du corporate & public banking

· 2011: CEO de BNPP Fortis, membre du comité exécutif du groupe BNP Paribas

· 2023: président du conseil d’administration de BNPP Fortis

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