“Herrhausen The Lord of Money”: mini-série financière retraçant la vie d’Alfred Herrhausen, grand patron de la Deutsche Bank

© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Une mini-série financière se tourne à Bruxelles. “Herrhausen The Lord of Money” fait revivre un grand patron de la Deutsche Bank, avant son assassinat sauvage en 1989. Visite, en exclusivité, d’un tournage à la Banque nationale de Belgique, avec le succès du “tax shelter” en toile de fond.

C’est un voyage dans l’espace-temps qui enrobe aujourd’hui le siège de la Banque nationale de Belgique (BNB). Magie du cinéma oblige, nous ne sommes pas à Bruxelles en 2022, mais bien à Francfort à la fin des années 1980. Tant les vieux modèles Mercedes garés le long du bâtiment que les décors construits à l’intérieur de la BNB en témoignent: ce flash-back dans la grande histoire de la finance allemande est tout simplement bluffant.

Sur le plateau de tournage, les techniciens s’affairent entre les meubles vintage: Alfred Herrhausen, grand patron de la Deutsche Bank (interprété par le comédien Olivier Masucci), s’apprête à rencontrer malgré lui un émissaire de Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de l’URSS avant la dislocation de celle-ci. La tension est palpable: c’est en effet l’avenir des relations Est-Ouest qui se joue dans cette scène censée se dérouler au coeur de la capitale financière allemande.

Un destin méconnu

Portée par un budget de 12 millions d’euros, Herrhausen The Lord of Money est une grosse production germano-belge dont le planning affiche près de 70 jours de tournage. Il ne s’agit pas d’un film pour le cinéma, mais bien d’une série de quatre épisodes (d’une heure chacun) qui sera diffusée en primeur sur la chaîne allemande ARD dans un an, avant d’être relayée sur d’autres chaînes publiques d’Europe et probablement sur l’une ou l’autre plateforme de streaming.

Les locaux et abords de la BNB à Bruxelles servent actuellement de décor à la mini-série financière
Les locaux et abords de la BNB à Bruxelles servent actuellement de décor à la mini-série financière “Herrhausen The Lord of Money”. Ces scènes sont censées se dérouler au siège de la Deutsche Bank à Francfort, fin des années 1980.© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

Mixant géopolitique et enjeux économiques, l’histoire retrace la montée en puissance d’Alfred Herrhausen et surtout son rêve de donner à la Deutsche Bank une dimension véritablement mondiale, avant sa fin tragique le 30 novembre 1989. Ce jour-là, soit exactement trois semaines après la chute du mur de Berlin, le banquier allemand sera en effet sauvagement assassiné par la Rote Armee Fraktion (la Fraction Armée Rouge): sa Mercedes blindée ne résistera pas à l’explosion d’une bombe posée sur son passage par l’organisation terroriste allemande d’extrême gauche. Entre Moscou, Washington, New York et Francfort, la mini- série Herrhausen The Lord of Money décrit les jeux d’influence qui se trament entre institutions bancaires et résidences de pouvoir, sur fond de glasnost et de perestroïka. Etonnamment, ces quatre métropoles ont Bruxelles pour toile de fond, grâce à la majesté de quelques lieux surannés, mais aussi aux miracles de l’informatique qui permettent d’effacer ou d’ajouter certains éléments de décor. Sur la grosse soixantaine de jours de tournage, près de la moitié a été programmée en Belgique dans des édifices de prestige comme la BNB, le Cercle Gaulois, le Casino d’Ostende ou encore la Collégiale Sainte-Gertrude à Nivelles.

Olivier Masucci interprète Alfred Herrhausen, le grand patron de la Deutsche Bank.
Olivier Masucci interprète Alfred Herrhausen, le grand patron de la Deutsche Bank. © CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

“Au départ, la Belgique n’était absolument pas favorite pour accueillir ce tournage, raconte Fabrice Delville, fondateur et directeur de Beside Group (lire l’encadré “Monsieur Tax shelter”). Outre l’Allemagne, une grande partie des scènes devait être tournée en Afrique du Sud. Les repérages avaient déjà été effectués, mais les choses se sont compliquées là-bas au niveau du financement. Les producteurs allemands se sont donc tournés vers nous pour réaliser cette partie du tournage en Belgique. En quelques semaines, nous avons dû faire les repérages, trouver les techniciens, constituer les équipes et négocier les décors. C’était intense, mais nous avons relevé le défi!”

Une affaire qui marche

Spécialisé dans le financement tax shelter et les coproductions internationales, Beside Group s’est imposé au fil des ans comme une référence belge sur le marché des levées de fonds auprès des entreprises, grâce à cet incitant fiscal initialement conçu pour soutenir l’industrie cinématographique.

Pour cette mini-série, Beside Group a amené 2 millions d’euros en “tax shelter” sur un budget total de production de 12 millions.

L’année dernière, la société a ainsi récolté pas moins de 30 millions d’euros pour différents projets scéniques et surtout audiovisuels comme des films, des téléfilms et des séries partiellement tournés sur notre territoire. Alléchant, le système du tax shelter permet aux entreprises (non actives dans le secteur) d’investir de l’argent dans des productions audiovisuelles en échange d’un réel avantage fiscal: un taux d’exonération de 421% sur le montant de l’investissement, avec un rendement net de 10% garanti pour ces entreprises. Si ce mécanisme a connu diverses adaptations depuis son lancement en 2003, il n’a jamais cessé de séduire les investisseurs, qu’il s’agisse de PME familiales ou de grands groupes industriels du Bel20. Avec un certain succès: ces dernières années, les levées de fonds via le tax shelter se situent en effet entre 160 et 200 millions par an pour l’industrie audiovisuelle et les arts de la scène, dans une proportion moyenne de 80%-20% pour ces deux secteurs (voir graphique).

© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

Doublement du plafond

Seul bémol: la crise sanitaire a ralenti l’activité cinématographique, mais elle a eu malgré tout un effet bénéfique pour le tax shelter. “C’est vrai que les tournages se sont arrêtés durant quatre mois, de mars à juin 2020, mais ils ont repris dès le 1er juillet et je salue l’intervention des autorités qui se sont substituées aux assureurs privés en mettant en place un mécanisme de garantie durant cette crise, explique Fabrice Delville. Mais surtout, elles ont pris cette mesure covid qui consiste en un doublement du plafond d’investissement qui est passé de 238.000 euros à 475.000 euros par entreprise. Cela a vraiment permis de limiter la casse.”

Rendant le système du tax shelter plus attractif encore, cette mesure du double plafond devrait cesser en 2023, mais aujourd’hui, Fabrice Delville espère un prolongement de cette disposition en raison du contexte économique. L’augmentation des coûts de l’énergie et l’indexation automatique des salaires vont en effet impacter les finances des entreprises qui risquent de freiner leurs investissements dans les mois à venir. “Je pense qu’il y aura une baisse importante des levées de fonds l’année prochaine et c’est pourquoi je plaide pour un prolongement de ce double plafond en 2023, surtout si un troisième secteur comme le jeu vidéo se voit aussi ouvrir les portes du tax shelter, argumente le directeur de Beside Group. Il y a un vrai risque de cannibalisation pour le monde du cinéma et il vaut mieux, dès lors, maintenir les mesures en vigueur.”

Retombées économiques

En attendant cette hypothétique bonne nouvelle, Fabrice Delville se concentre sur le tournage en cours de Herrhausen The Lord of Money pour lequel Beside Group a amené deux millions d’euros en tax shelter sur un budget total de production de 12 millions (l’essentiel étant financé par le producteur allemand Sperl Film).

Avec 31 jours de tournage prévus en Belgique, ce ne sont pas moins de 50 à 80 prestataires locaux (techniciens, décorateurs, figurants, etc.) qui travaillent quotidiennement sur le plateau de cette mini-série, en plus des 20 techniciens allemands qui ont fait spécialement le voyage vers Bruxelles. Globalement, trois millions d’euros auront ainsi été dépensés chez nous grâce à cette coproduction germano- belge qui rappelle, au final, que le tax shelter est aussi bénéfique pour l’Etat: le “cadeau fiscal” fait en amont aux entreprises qui investissent dans l’industrie audiovisuelle rejaillit en effet sous la forme d’autres recettes fiscales dues à l’activité économique ainsi générée sur les tournages.

Monsieur “Tax shelter”

© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

En 2015, Fabrice Delville décide de quitter son poste de directeur de Scope Invest, l’un des premiers opérateurs du tax shelter en Belgique, pour rejoindre le groupe Belga Films, acteur historique de l’industrie du cinéma depuis les années 1930. A l’époque, leur association fait sens: Fabrice Delville est un expert reconnu dans les levées de fonds auprès des entreprises pour le secteur audiovisuel et Belga Films, spécialisé dans la distribution de longs métrages, cherche à se diversifier. Ensemble, ils lancent deux nouvelles activités au sein du groupe belge: Belga Films Fund pour lever de nouveaux fonds tax shelter et Belga Productions pour l’accueil de coproductions internationales en Belgique. Fabrice Delville et le groupe Belga Films sont alors respectivement actionnaires de ces deux sociétés à hauteur de 30% et 70%.

Ces dernières années, la production a fortement migré vers les séries et les téléfilms.” Fabrice Delville (Beside Group)

Après sept années de collaboration, les deux partenaires ont choisi de rebattre les cartes de leur actionnariat, étant donné l’évolution du paysage médiatique. “Ces dernières années, la production a fortement migré vers les séries et les téléfilms, détaille Fabrice Delville. Nous l’avons nous-mêmes constaté puisque sur les 13 derniers projets que nous avons coproduits en deux ans, il y a eu deux films, deux téléfilms et surtout neuf séries pour les plateformes de streaming. Il n’y avait plus beaucoup de synergies entre les différentes entités du groupe et nous avons donc décidé de mettre de la cohérence actionnariale dans ce paysage audiovisuel qui a fort évolué.”

Concrètement, Fabrice Delville a repris les parts détenues par Belga Films dans les deux sociétés Belga Films Fund et Belga Productions dont il devient actionnaire à 100% et qu’il a renommées Beside Tax Shelter et Beside Production sous la même bannière Beside Group. De son côté, l’entité Belga Films reprend les parts que possédait feu Belga Films Fund dans le studio d’animation bruxellois nWave (elle en possède aujourd’hui 50%) et se reconcentrera désormais sur son métier historique (la distribution de films) et sur l’exploitation en salles puisque le groupe possède également le complexe White Cinema dans le centre commercial Docks Bruxsel.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content