Coronavirus/La question du jour: Pourquoi la Réserve fédérale américaine ferme les yeux sur la situation des banques?

Une des conséquences du coronavirus sur l’économie américaine est qu’elle accentue encore la fragilité de débiteurs (les étudiants, les petites entreprises…) qui étaient déjà fragiles avant la crise.

Et cela oblige déjà les institutions bancaires à augmenter substantiellement leurs provisions pour risques crédits. Les provisions prises au premier trimestre de cette année par les six grandes banques américaines (Bank of America, Citigroup, JPMorgan Chase, Wells Fargo, Goldman Sachs et Morgan Stanley) ont quadruplé et dépassent les 25 milliards de dollars. Mais on peut penser que si les règles avaient été respectées, ces provisions auraient dû être plus élevées encore.

Le Congrès américain dans sa loi CARES (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security) a donné aux banques la possibilité d’ignorer l’obligation qu’ont normalement les banques de faire des provisions sur les “pertes de crédit attendues”, rappelle Nicolas Veron, chercheur au Peterson Institute et au Think Tank Bruegel. “La plupart des banques ont commencé à mettre en oeuvre cette disposition en janvier. Les banques peuvent donc désormais éviter de comptabiliser les pertes attendues en raison de la détérioration spectaculaire des perspectives économiques due à la pandémie et peuvent donc faire paraître leurs positions en capital plus flatteuses”, dit-il.

Soyons de bon compte en Europe aussi, une discussion similaire sur un allègement des obligations comptables relatives aux pertes de crédit est en cours. Et certains, tel l’ancien patron de l’EBA, l’autorité bancaire européenne, Andrea Enria, proposent même de créer une bad bank, un véhicule spécial pour loger ces mauvais crédits et donner de l’air aux institutions bancaires, surtout dans le Sud de l’Europe.

Un ratio allégé

Mais il y a plus. Non seulement les banques américaines ne sont plus obligées d’effectuer ces provisions, mais le gendarme bancaire US allège en outre leurs obligations en matière de fonds propres. Le 1er avril, la Réserve fédérale américaine (la Fed) a en effet modifié le calcul du “ratio de levier”, c’est-à-dire de la somme que les banques doivent mettre de côté en proportion des crédits qu’elles octroient. Ce ratio de levier est calculé comme le capital réglementaire (ou fonds propres) divisé par les actifs “non pondérés” (c’est-à-dire que l’on ne tient pas compte dans ce ratio, contrairement à d’autres ratio prudentiels, du niveau de risque des engagements pris par les banques. Une banque devra ainsi mettre en réserve par exemple 4% du montant qu’elle prête, qu’il s’agisse d’un prêt à l’état ou à une PME).

Désormais, dans ce calcul, la Fed exempte les avoirs des banques en dette souveraine américaine ainsi que les dépôts à la Fed du total des actifs dans le calcul du ratio, jusqu’à fin mars 2021. Cette exemption, explique Nicolas Veron, “réduit le dénominateur, ce qui permet aux banques de respecter plus facilement leurs exigences en matière de ratio minimum pendant cette période. En exemptant les expositions souveraines, la règle s’écarte de la définition internationalement reconnue du ratio de levier financier qui fait partie de l’accord de Bâle III”, qui est l’accord international chargé d’assurer la stabilité financière après la crise de 2008.

On peut deviner que ces allègements de la législation ont été demandés par le lobby bancaire américain. Mais sont-ils dans l’intérêt du pays ?

“L’expérience de la crise COVID-19 montre précisément que des normes de fonds propres strictes (…) constituent une protection utile contre les événements imprévus”, rappelle Nicolas Veron. Car ces normes renforcent la stabilité financière et mettent les banques sur un pied d’égalité.

On peut s’interroger en effet. Est-ce une bonne idée que les États-Unis affaiblissent leur secteur bancaire au moment où ils en ont le plus besoin ?

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