Ces banquiers auxiliaires des fiscs étrangers

© ThinkStock

Fini le secret bancaire pour les avoirs dissimulés chez nous par les étrangers ! Le fisc emboîte le pas de la transparence sur ces comptes détenus par les épargnants non-résidents en Belgique. Avec la complicité de nos banquiers.

C’est un inédit dans la collaboration entre le fisc belge et ses homologues européens ! Depuis le 1er juillet, le ministère des Finances aura remis à ses partenaires de l’Union des informations sur 250.000 comptes ouverts par des épargnants étrangers en Belgique. Du jamais vu effectivement dans la mesure où c’est la première fois que nos banquiers fournissent ainsi des informations nominatives sur leurs clients off-shore. En cause, la fameuse directive européenne qui les oblige depuis cette année à lever le secret bancaire “externe” et à échanger leurs informations par-delà les frontières. Un échange qui, rappelons-le, concerne le domaine très limité des intérêts (perçus sur un compte, une obligation, une sicav obligataire…).

Du côté du SPF Finances, on se dit satisfait de cette grande opération de transparence, qualifiée de “belle réussite”. “Cela prouve que l’échange de renseignement fonctionne, avance Louis Collet, le patron de l’informatique des Finances. Le rouleau compresseur est en marche.” De fait, “l’administration est à la pointe en matière d’échange de données, juge un banquier. Elle joue les bons élèves de la classe européenne. Les outils fournis aux banques sont de bonne qualité.”

Côté chiffres, 27 pays sont concernés par ce premier transfert automatique de données (voir tableau). La palme revient à la France avec des informations concernant près de 100.000 bénéficiaires, qui disposent donc d’un ou plusieurs comptes d’épargne en Belgique, sans y vivre. Nos plus proches voisins complètent le top 5. Arrivent ainsi en deuxième position, les Néerlandais avec 50.000 comptes, suivis par les Allemands (22.500), les Britanniques (15.500) et les Espagnols (14.500). Détail piquant : le Luxembourg totalise 10.676 informations. Des Luxembourgeois avaient ont donc jusqu’il y a peu de l’argent “planqué” en Belgique. C’est bien connu, on est toujours plus à l’abri chez le voisin que chez soi…

A la manière d’un facteur

Plus surprenant encore est le cas de la Suisse : l’administration ayant aussi envoyé des informations sur quelques 200 comptes détenus par des Suisses en Belgique. “Probablement des diplomates ou des cadres internationaux qui ont conservé leur résidence fiscale en Suisse”, lâche Louis Collet. Peut-être, mais la Suisse n’a pas demandé de réciprocité dans le cadre des mesures équivalentes à la directive épargne. Curieux. L’excès de zèle de la part d’un banquier ou d’un agent de change paraît peu probable. Doit-on dès lors parler d’erreur ? De mauvaise interprétation des textes ? Quoi qu’il en soit, on peut s’étonner du laissez-passer délivré par l’administration à ce genre d’informations, peut-être superflues. “Nous ne manipulons pas les données transmises par les banques, assure Louis Collet. Nous nous contentons de les trier par pays. A la manière d’un postier qui dispatche le courrier à ses destinataires.”

Quels renseignements sont-ils ainsi transmis par le fisc ? Très concrètement, sont communiqués le nom du contribuable non-résident, son prénom, sa date et son lieu de naissance, son adresse complète, le ou les numéros de compte dont il est titulaire en Belgique ainsi que bien entendu la date de paiement et le montant des intérêts perçus durant l’année écoulée, en l’occurrence 2010. Autant d’informations qui vont permettre l’imposition des intérêts dans le pays d’origine des bénéficiaires puisque la Belgique ne prélève plus de précompte à la source depuis l’abandon, en 2009, de son secret bancaire pour les étrangers. L’impôt va donc devoir être intégralement payé dans le pays de résidence de l’épargnant. D’où une perte de recette pour le Trésor : 25 % de ce précompte mobilier européen ne tombant plus dans l’escarcelle de l’Etat belge.

Dexia, banque pilote

Ces dizaines de milliers de renseignements, ce sont nos chers banquiers qui les ont fournis à l’administration fiscale. La méthode de travail et les modalités pratiques ont, certes, été définies par le ministère des Finances, en étroite collaboration avec la fédération du secteur financier (Febelfin), tandis que Dexia a joué le rôle de banque pilote pour mettre en route ce projet baptisée JMonnet voici un an et demi. “Cette collaboration au préalable avec Dexia nous a permis de tester toutes les procédures informatiques nécessaires à ce transfert de données entre les banques et l’administration, situe Louis Collet. A commencer par le processus d’identification des personnes dûment habilitées au sein de chaque banque à faire cette déclaration.”

Mais les fiscards ne sont donc pas allés à la pêche aux renseignements. Suite à la signature d’un protocole entre l’administration et Febelfin le 21 décembre 2010, ce sont les banques elles-mêmes qui ont pour mission de détecter parmi leurs comptes ceux visés par la directive avant ensuite de dévoiler l’identité de leurs titulaires. Résultat, 61 banques et institutions financières du royaume (sur la centaine présentes en Belgique, soit 60 %) ont, pour la première fois, levé ce secret bancaire “externe” en rentrant une déclaration auprès du SPF Finances par voie électronique sécurisée. A la manière de Tax-on-web pour les particuliers. Des informations qui ont ensuite été traitées de façon entièrement automatisée par les services de l’administration avant d’être envoyée aux pays concernés.

Une question taraude bien évidemment les esprits : qui parmi nos banquiers sont les plus gros “délateurs” ? Difficile à dire, tant le ministère des Finances se garde bien de communiquer sur ce type d’information, pas forcément bonne pour l’image d’une banque. Tout au plus sait-on que les quatre principales banques du pays (BNP Paribas Fortis, ING, KBC et Dexia) s’adjugent la plus grosse part de ces échanges avec l’envoi d’informations concernant au total 183.000 bénéficiaires. C’est du reste moins important que leurs 80 % de parts de marché en matière d’épargne. Ce qui montre bien que les non-résidents possédant un compte en Belgique se retrouvent proportionnellement plus dans les petites banques spécialisées en gestion de patrimoine que dans les principales enseignes du pays. Logique dans la mesure où ces contribuables fortunés ne sont pas à la recherche de services classiques d’une banque de détail. Mais bien ceux d’une banque haut de gamme, où ils sont d’ailleurs courtisés.

Donnant-donnant

Si le fisc belge communique à ses homologues étrangers de tels renseignements sur des non-résidents, c’est bien évidemment dans l’espoir dans recevoir sur ses propres contribuables. C’est ainsi que huit pays ont déjà envoyé leurs fichiers à la Belgique, dont l’Espagne qui vient de livrer plus de 16.000 comptes détenus par des Belges dans ses banques. Tout n’est donc pas encore arrivé. Mais la nouvelle livraison devrait être comparable à celle concernant les revenus de 2009. En tout, le fisc avait alors reçu les données de 234.000 comptes de Belges à l’étranger, dont près de 94.000 aux Pays-Bas, 51.200 en France, 3.600 au Luxembourg… ainsi que 687 en Suisse ! Morale de l’histoire ? “Pour recevoir, il faut savoir donner”, conclut Louis Collet.

Sébastien Buron

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content