Brexit: comprendre les conséquences du séisme en 4 questions

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L’onde de choc du vote britannique en faveur d’une sortie de l’Union européenne n’est pas encore terminée, mais quatre questions se posent dès maintenant, à chaud, sur ses conséquences.

1. Est-ce reparti pour un krach ?

Pour l’instant, les marchés sont encore en stade de digestion, et cela fait mal. Mais il est encore trop tôt pour parler de risque systémique à l’image de celui qui a surgi après la chute de Lehman Brothers. Car le scénario n’est pas le même: à la chute de Lehman, les banques centrales n’étaient pas préparées et les flux de liquidités entre banques se sont soudainement taris. Ici, les autorités monétaires ont anticipé ce scénario, ont planché sur le moyen de continuer à alimenter les acteurs du système financier. Les marchés risquent cependant d’être très nerveux pendant des mois, comme lors des divers plans de sauvetage de la Grèce, car les procédures de sortie du Royaume-Uni donneront lieu à des négociations difficiles, avec des effets d’annonce grandement perturbateurs.

Reste que dans l’immédiat, les marchés, qui avaient anticipé une victoire du “Stay”, sont dans la tourmente. Les marchés des changes : la livre sterling est tombée à son niveau le plus bas depuis 30 ans (la livre sterling décrochait ce matin de 6% face à l’euro. Il ne fallait plus que 1,23 euro pour une livre alors que la veille, il en fallait encore 1,32). Les marchés obligataires : les investisseurs se sont réfugiés dans les obligations, notamment les obligations allemandes et américaines. Le Bund allemand sur 10 ans a ainsi atteint un plancher historique, avec un taux négatif de -0,17%. Et les marchés des actions, les bourses abandonnant 7,5% à Londres, 6% à Bruxelles, 11% à Madrid. Et ce “bain de sang” fera sans doute pas mal de victimes.

Les valeurs les plus touchées sont les banques, et surtout les grands prêteurs en livre sterling : la sortie du Royaume-Uni risque en effet d’affaiblir l’état de santé des ménages et des sociétés britanniques qui ont emprunté de l’argent, et dès lors, les prêteurs risquent de subir de plus grosses pertes sur leurs portefeuilles de crédit : c’est ce qui explique que les banques britanniques dévissent, avec Barclays et Royal Bank of Scotland en chute de 16%. Mais la vague touche toutes les banques du continent : chez nous, KBC cède 11% et Ageas (qui a une activité d’assurance importante en Angleterre) perd 8%.

2. Quid de Dexia ?

La banque en résolution est particulièrement sensible aux actifs en sterling. Les expositions de Dexia sur le Royaume-Uni s’élèvent à 26 milliards d’euros. “Ces actifs présentent une très bonne qualité de crédit, étant notés dans la catégorie Investment Grade (investissement avec une bonne note financière, NDLR) à 97%, souligne le groupe ce matin. Ce portefeuille comprend notamment 13 milliards sur le secteur public local et 9 milliards sur des contreparties corporates, notamment des utilities, a priori peu sensibles aux conséquences d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et des financements de projets, principalement liés au secteur public.” Dexia ajoute qu’ayant anticipé le risque d’un Brexit, il s’est “prémuni contre ce scénario et a pris des mesures lui permettant de couvrir ses besoins dans cette devise sur plusieurs mois. Le groupe dispose par ailleurs d’une réserve de liquidité constituée de cash et de réserves éligibles à un refinancement auprès des banques centrales”, ajoute-t-il.

3. Qui va tirer les marrons du feu ? Luxembourg ? La City ?

Certains pays ont rêvé de pouvoir profiter d’un Brexit, en attirant chez eux des activités financières qui quitteraient Londres si jamais le Royaume-Uni quittait l’Union européenne. Maintenant que cette hypothèse se réalise, est-ce qu’elle signifie vraiment la mort de la City ? Non.

D’abord pour une raison technique. Comme nous le soulignait récemment Geert Gielens, le chief economist de Belfius, voici quelques jours, “il ne fait pas oublier que beaucoup d’opérations financières sont réalisées sous le régime de la “british law””. La loi britannique est depuis des décennies taillées pour accueillir des opérations financières internationales. Les financiers ne vont pas facilement en changer. Et s’ils voulaient le faire, la loi française ou allemande n’est pas assez internationale pour servir de substitut global, même si Paris, Berlin ou Amsterdam devraient accueillir certaines activités exilées. Seules les lois luxembourgeoise et irlandaise, dans certains domaines comme celui des fonds de placement, peuvent remplacer la british law. Ce n’est d’ailleurs pas un secret : le Luxembourg, éternel rival de Londres, travaille depuis un certain temps sur la meilleure manière de rapatrier chez lui les activités qui ont besoin d’un “passeport européen” qui vont être obligées de quitter la City.

Par ailleurs, la City, toujours très réactive, pourrait profiter du départ de l’Union européenne pour abroger certaines directives jugées restrictives, sur le plan fiscal notamment (celles qui concernent les trusts, les obligations de transparence, les échanges d’informations). Attention cependant, il ne sera pas facile de faire de Londres un nouveau paradis fiscal. Car si l’Europe se veut en pointe dans certains domaines, la lutte pour une plus grande transparence fiscale est menée au sein de l’OCDE, en dehors donc du cadre européen… Le Royaume-Uni ne pourra pas faire n’importe quoi, et les échanges d’informations sous le standard de l’OCDE se poursuivront.

4. Quid du Royaume-Uni ? Et de l’Europe ?

Le vote de ce jeudi est catastrophique sur un plan politique parce qu’il souligne les clivages de la société britannique. Clivages régionaux (Écosse et Irlande du Nord ont voté pour rester dans l’Union, l’Angleterre a voté pour la quitter). Du coup, les Écossais réclament leur indépendance et certains Irlandais militent à nouveau pour la réunification des deux Irlande. Clivage social (ce sont les classes ouvrières et les petites classes moyennes, fatiguées de perdre du pouvoir d’achat, qui ont voté pour l’exit afin de sanctionner des élites qui ne les représentent plus). Et clivage générationnel : alors que trois jeunes Britanniques sur 4 ont voté pour l’Europe, une majorité de 50 ans et plus a voté contre.

Cette situation est évidemment du pain béni pour les partis populistes européens. Et elle laisse craindre que, dans quelques jours, les Espagnols en votant pour une coalition menée par Podemos, ne donnent également mandat à leur élite politique pour négocier de nouvelles conditions d’appartenance à l’Union européenne, allumant une mèche difficile à éteindre : Pologne, Hongrie, Grèce, Chypre… voudront également assouplir certaines clauses, au point que le projet européen ne se délite complètement. Certains disent donc que finalement, ce Brexit est une catastrophe bienvenue, car ce vote britannique oblige désormais à un sérieux remodelage du modèle européen. Deux questions subsistent cependant. Quels leaders politiques auront le courage de remettre l’ouvrage sur le métier ? Et comment convaincre les électeurs européens que l’Europe est la solution, et non le problème ?

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