Philippe Ledent

A la Banque centrale, les colombes se cachent pour mourir

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Peut-être la Banque centrale européenne (BCE) n’a-t-elle jamais été aussi faucon de toute son histoire.

La politique monétaire est une science, mais ce n’est pas une science exacte. Certes, après des décennies de recherches dans ce domaine, les connaissances en matière de lutte contre l’inflation par la politique monétaire sont très approfondies. Mais cela n’a pas empêché le président de la Réserve fédérale américaine de déclarer cette année que “nous comprenons à présent mieux à quel point nous ne comprenons que peu de choses au sujet de l’inflation”. Il faut reconnaître que la politique monétaire relève tout autant de l’art que de la science. D’ailleurs, les banquiers centraux les plus emblématiques ont davantage marqué l’histoire par leur façon de communiquer leurs décisions aux marchés, leur capacité à surprendre ou à utiliser l’incertitude à leur avantage que par une application stricte des résultats académiques.

La politique monétaire a aussi un aspect… politique. Ainsi, on fait souvent la distinction, s’agissant de banquiers centraux, entre les colombes (qui ont une approche plus accommodante de la politique monétaire) et les faucons (plus enclins à l’application stricte de la théorique quantitative de la monnaie pour laquelle seule compte l’inflation). Derrière cette métaphore, il y a bien deux approches de la politique monétaire: doit-elle se limiter à la question des prix ou peut-elle aussi se préoccuper de l’activité économique?

Face à l’énorme vague d’inflation, on se doutait que les faucons se feraient entendre. Mais on ne se doutait peut-être pas qu’ils étoufferaient à ce point les colombes. C’est en particulier le cas au niveau de la zone euro. A ce jour, il est en effet paradoxal d’observer qu’alors que cette zone euro présente le plus de faiblesses économiques en raison de l’importante hausse des coûts de l’énergie, la Banque centrale européenne (BCE) apparaît la plus déterminée à poursuivre ses hausses de taux pour faire face à l’inflation.

Ainsi, durant la dernière réunion de politique monétaire, on imagine les colombes préoccupées par le ralentissement de la consommation des ménages ou encore par la perte de compétitivité de l’industrie européenne. Ne faudrait-il pas montrer des premiers signes d’une prochaine pause en la matière, afin d’évaluer l’état de l’économie avec un peu de recul?

Et puis, on imagine les faucons prendre le dessus, martelant qu’avec un tel niveau d’inflation, il n’est pas question de tergiverser. L’impact des prix de l’énergie n’est pas de nature à faire dérailler l’économie, les anticipations de taux sont trop basses, les anticipations d’inflation sont trop hautes. On imagine les colombes entendre ces arguments et capituler.

Et Mme Christine Lagarde, qui lors de sa prise de fonction se qualifiait elle-même de chouette (subtil mariage du faucon et de la colombe, j’imagine…), enfila son costume de faucon pour conclure: “Le Conseil des gouverneurs (…) estime en particulier que les taux d’intérêt doivent encore être augmentés sensiblement à un rythme régulier (…). A terme, le maintien des taux d’intérêt à des niveaux restrictifs permettra de réduire l’inflation en freinant la demande et d’éviter le risque d’un glissement à la hausse persistante des anticipations d’inflation.” Freiner la demande, voilà le mal nécessaire pour atteindre l’objectif d’inflation.

Si l’on prend la communication de la BCE au pied de la lettre, les hausses de ses taux n’ont pas encore de limite claire. Peut-être la BCE n’a-t-elle jamais été aussi faucon de toute son histoire. A-t-elle raison? Rappelons ici qu’on n’a même pas encore vu tous les effets macroéconomiques des hausses de taux passées. Les colombes auront-elles leur revanche? Voilà une des questions qui alimentera, à n’en pas douter, le débat économique de 2023. Rendez-vous l’année prochaine.

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