Trends Tendances

Un mal nécessaire

On le pressentait, mais on préférait ne pas (trop) y penser. Pourtant, le verdict est tombé jeudi dernier : l’Europe condamne le régime belge d’exonération fiscale des comptes d’épargne.

Discrimination, entrave à la libre circulation des capitaux, disent-ils : il n’y a aucune raison que les premiers 1.880 euros d’intérêts perçus sur un livret d’épargne détenu dans une banque résidente belge soient exemptés du précompte mobilier de 15 %.

Le ministre des Finances Koen Geens avait-il eu vent des intentions de la Cour européenne de justice lorsqu’il a évoqué dans la presse, le 11 mai dernier, une réforme du livret visant justement à supprimer ladite exonération ? Sortie qui avait d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre, socialistes et libéraux du Nord comme du Sud s’opposant farouchement (et comme un seul homme, une fois n’est pas coutume) à une telle mesure, jugée évidemment préjudiciable pour l’épargnant… électeur.

Une vaine volte-face, puisqu’il va maintenant falloir se plier aux exigences européennes. Soit en étendant l’exonération à tous les comptes d’épargne détenus par les résidents fiscaux belges dans des banques de l’Union, résidentes belges ou non ; soit en supprimant purement et simplement l’exonération ; soit en appliquant, comme en Allemagne, un taux de précompte unique sur tous les revenus mobiliers, quitte à imaginer une exonération que l’épargnant pourrait ventiler comme il le souhaite sur ses différents produits d’épargne.

Et c’est sans doute cette dernière idée qui a la faveur de notre ministre des Finances. Il l’avait d’ailleurs précisé lors d’une interview accordée fin mai à Trends-Tendances : “L’objectif n’est pas de supprimer l’avantage fiscal du livret. Un bon de caisse avec un précompte mobilier qui ne dépasserait pas 15 % est une autre piste.” Car l’objectif est bel et bien de réorienter l’épargne “dormant” sur les livrets vers des produits à plus long terme, en leur accordant les mêmes privilèges. Ce qui inciterait l’épargnant à capitaliser pour sa retraite (et pas seulement pour son prochain achat) et permettrait aux banques d’injecter des fonds dans l’économie réelle, plus précisément, dans des projets de financement à moyen et long terme. Cela dit, le qualificatif “dormant” semble ces derniers temps être utilisé un peu abusivement. Les banques ne feraient rien des 240 milliards d’euros déposés sur les comptes d’épargne belges ? Ttttt. Febelfin annonce tout juste que l’encours des crédits aux entreprises a progressé et dépasse les 130 milliards d’euros. D’accord, ce sont sans doute des crédits de (relativement) court terme, et la proportion des fonds utilisés n’est probablement pas suffisante pour relancer l’économie. La faute aux normes de Bâle III… et à la demande de crédits en baisse.

Quoi qu’il en soit, la décision européenne devrait inciter l’Etat belge à accélérer sa réforme bancaire, et éventuellement fiscale par la même occasion, dans une direction prônée par beaucoup : la suppression des niches. Car reconnaissons-le : un livret d’épargne favorisé fiscalement, c’est une aberration, ou presque. Le produit a déjà le mérite d’être hyper sûr (le capital déposé est garanti, en tout cas en dessous de 100.000 euros), hyper liquide (on peut retirer son argent à tout moment), et hyper défensif (le taux n’est pas fixé, il suit le marché). Et il faudrait encore qu’on exonère d’impôt le revenu qu’il génère, alors que le risque pris par l’épargnant est nul ? C’est un peu fort, vous en conviendrez. Mais vous auriez bien tort de ne pas profiter du système, tant qu’il est en vigueur.

CAMILLE VAN VYVE, RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE

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