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Un capitalisme coopératif

Depuis l’explosion de la crise de 2008, des questions fondamentales sont posées sur les modes d’organisation du capitalisme. La crise n’a, bien sûr, aucunement signifié la fin de l’économie marchande, mais plutôt une immersion profonde dans un capitalisme plus exigeant.

Deux phénomènes se télescopent d’ailleurs pour confirmer cette tendance. Il y a la mondialisation et la mobilité croissante des capitaux, des travailleurs et de l’information. Mais il y a aussi – et c’est un phénomène fondamental – la subordination des Etats par rapport aux marchés financiers. Aujourd’hui, les Etats sont considérés comme des emprunteurs ordinaires. Ils ne constituent plus le rempart contre les mutations de l’économie, d’autant que leurs endettements sont devenus excessifs.

Si le capitalisme ne meurt pas, une forme de capitalisme est en train de muter. Il s’agit d’une transmutation du capitalisme des années 1970, souvent qualifié de modèle partenarial ou de capitalisme rhénan.

La genèse du modèle rhénan remonte à Bismarck et à la première unité allemande en 1871. A l’époque, il s’agissait de forger une identité nationale au sein d’un Etat naissant très disparate. Ce modèle visait à préserver un équilibre consensuel au sein de la collectivité grâce à un Etat régulateur et protecteur qui favorisait le dialogue social collectif. Ce modèle conduisit au concept de cogestion dans les entreprises, c’est-à-dire à une recherche du consensus dans l’intérêt général des actionnaires et travailleurs. Cette typologie se reflète toujours dans la composition duale des conseils d’administration allemands, où les actionnaires et syndicats partagent les décisions stratégiques.

Son fondement diffère de l’entreprise américaine, pour laquelle les tiers à l’entreprise sont des externalités, dont le coût doit être mis en rapport avec la valeur ajoutée (travailleurs et créanciers) ou avec la contrainte (autorités publiques, environnement, etc.). Dans le modèle rhénan, la concertation sociale est collective, tandis qu’elle est contractuelle et individualisée dans les pays anglo-saxons. Le modèle anglo-saxon est plus versatile et empirique, avec une moindre homogénéité sociale.

Interpeller les responsables d’entreprises européens

La déliquescence du modèle rhénan interpelle les responsables d’entreprises européens. Ces derniers sont confrontés à une réalité culturelle inconnue car l’environnement anglo-saxon et asiatique est beaucoup plus concurrentiel. Dans ces modèles, l’entreprise n’existe donc pas pour elle-même. Elle n’existe que par et pour ses actionnaires. La crise augure donc la fin d’une époque transitoire. L’Europe doit réaliser que sa croissance n’est pas acquise et que la conjoncture heureuse des 20 dernières années a été un effet d’aubaine, fondé sur l’endettement croissant.

Mais existe-t-il un meilleur modèle ? C’est là que les masques des idéologies tombent. La réalité marchande du monde s’intensifie et la concurrence continentale va devenir acharnée. Cela exigera un gigantesque effort d’adaptation et d’employabilité en Europe. Cela supposera aussi une mise à plat de nos modèles sociaux, qui deviennent impayables et conduisent à un endettement public insupportable. En même temps, à un niveau individuel, nombreux sont ceux qui recherchent des modes de commerce plus empathiques et fondés sur la collaboration plutôt que la compétition.

Il faut donc évoluer vers un capitalisme de coordination qui se situe entre le modèle rhénan et le capitalisme anglo-saxon. Cela entraînera trois contraintes. Tout d’abord, il faudra que l’Etat reformule son rôle. L’Etat doit être allégé et désengagé de la plupart des secteurs productifs et se limiter à ses fonctions régaliennes, avec l’objectif prioritaire de déployer le partage des connaissances. Ensuite, il faudra individualiser progressivement la protection sociale, devenue anachronique dans une économie où le recyclage des connaissances devient la contrainte absolue. Cette étape sera douloureuse et exigera des efforts budgétaires et monétaires (par l’absorption d’une prévisible inflation). Enfin, il faudra progressivement adopter une mentalité personnelle d’entreprenariat, dissociée du concept de l’Etat-providence.

La lutte entre les exigences concurrentielles et le rôle de l’Etat en termes de promotion, d’assistance et de mixité sociale créera de fortes tensions idéologiques. Nos communautés continueront à traverser un profond changement de modèle, touchant à la trame de nos valeurs collectives. Car, au-delà de l’adoption du modèle, un fait s’impose, au même rythme que la disparition des référentiels supérieurs : ce sera la confiance en l’individu, et donc sa responsabilisation au titre d’acteur de l’économie de marché, qui prévaudra. Ceci ramène à un des grands défis de nos communautés occidentales : la répartition des richesses, c’est-à-dire l’alignement des intérêts privés et des bénéfices sociaux.

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