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Trop (comme ci), pas assez (comme ça)…

C’est incontestablement le sujet à la mode. Alors que l’Allemagne s’apprête à introduire, sous la pression du parti social-démocrate (SPD), un salaire minimum, les Suisses ont massivement (à 65,3 %) voté “non” à la proposition “1 : 12”, visant à limiter l’écart entre plus haut et plus bas salaires d’une entreprise dans une fourchette de un à 12. Pendant que chez nous le débat autour du plafonnement du salaire des dirigeants d’entreprises publiques à 290.000 euros continue de faire rage, suite notamment au licenciement de Didier Bellens et à la difficulté de lui trouver un remplaçant dans ce cadre…

On le sent, la question est sensible. Partout en Europe, et même outre-Atlantique où une proposition d’encadrement des rémunérations des dirigeants d’entreprise a finalement été abandonnée mi-octobre. Un effet collatéral de la crise ? Sans doute. Face aux inégalités qui ne font que se creuser et au chômage qui s’envole, on assiste à une sorte de psychose liée à la réussite et à l’argent. Une psychose amplifiée par les partis de gauche (et par les médias qui semblent subitement préférer les chiffres aux lettres), surtout en période pré- ou postélectorale, comme c’est le cas en Belgique et en Allemagne. Mais plutôt que de s’exciter sur des montants, plusieurs questions fondamentales se posent : 1. Est-ce le rôle de l’Etat de fixer ou à tout le moins d’encadrer les salaires, du public mais aussi du privé, salaires qui sont par définition au coeur de l’économie de marché (c’est-à-dire résultant d’un équilibre entre offre et demande de travail) ? 2. Si oui, faut-il imposer un salaire minimum, un salaire maximum ou les deux ? 3. Faut-il légiférer sur la hauteur ou sur la structure du salaire ?

L’exemple helvète a cela d’intéressant qu’il répond, en tout cas pour ce qui est de ce pays en particulier, à la question 1. Les Suisses refusent l’intervention de l’Etat dans la fixation des salaires (alors qu’ils l’ont plébiscitée l’an dernier en ce qui concerne les parachutes dorés), ce qui témoigne de leur vision très libérale de l’économie. Mais les Suisses sont vraisemblablement aussi moins exposés que d’autres pays d’Europe à la crise et au chômage, qui induisent un excès de demande de travail par rapport à l’offre, et donc une baisse des salaires. Les inégalités sont dès lors probablement moins palpables chez eux, et la crainte de voir d’importantes multinationales quitter le sol suisse – phénomène qui ferait basculer l’équilibre actuel – aura donc fortement conditionné le vote.

Le cas allemand est moins évident, mais donne toutefois un élément de réponse en ce qui concerne la question 2. Si même dans une économie hyper libérale, qui semble traverser la crise mieux que toutes les autres (européennes en tout cas), les pressions pour l’instauration d’un salaire minimum sont à ce point fortes qu’elles font céder le premier parti du pays que cette idée pourtant horripile, c’est que, d’une certaine manière, l’absence de salaire minimum nuit au bien-être global de la population. Une conclusion que l’on peut valider de façon intuitive — salaire minimum signifiant pouvoir d’achat minimum et donc accès minimum à la consommation et au logement — contrairement à celle qui lierait directement le salaire maximum au bien-être.

Enfin, le cas belge est sans doute le plus éloquent en ce qui concerne la question 3. L’instauration des 290.000 euros fatidiques n’a pas clos le débat, que du contraire ! Depuis lors, on ne fait que soulever les problèmes liés à cette mesure : le recrutement de managers compétents dans des secteurs concurrentiels, le fait que la limite doit aussi logiquement s’appliquer aux couches inférieures du management, la part variable admissible sur ce montant… En plus de le comparer à tort et à travers à toute une série d’autres montants, pas forcément comparables d’ailleurs.

Comme toujours dans ce genre de débat, les vues macro- et microéconomiques s’opposent, les salaires étant généralement déterminés dans le microcosme de l’entreprise plutôt que par le “marché” dans son ensemble (même si celui-ci influence notoirement les entreprises). A cette difficulté s’ajoute un paramètre subjectif, mais ô combien nécessaire dans nos sociétés : la morale selon laquelle il existe un salaire “juste” vers lequel il faudrait tendre. Que celui qui trouve la formule magique pour le définir n’hésite pas à faire son entrée en politique…

CAMILLE VAN VYVE, Rédactrice en chef adjointe

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