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Pour un nouveau Bretton Woods

Le 22 juillet 1944, voici tout juste 70 ans, 44 pays signaient à Bretton Woods, petite ville du New Hampshire, un accord qui devait assurer paix et prospérité au monde pour le siècle à venir.

Bretton Woods crée le FMI et la Banque mondiale et organise l’économie du “monde libre” autour du dollar, seule devise convertible en or. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, plus rien ne dispute en effet leur suprématie aux Etats-Unis. L’Oncle Sam produit à lui seul les deux tiers du pétrole et Fort Knox abrite les deux tiers des réserves d’or du globe… Toutefois, dans les années 1960, les Etats-Unis font tourner la planche à billets pour financer la conquête spatiale et la guerre du Vietnam et, acculés, abandonnent la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971. Bientôt, c’est tout le système de taux de change fixes qui explose.

Bretton Woods appartient donc au passé. Nous vivons cependant toujours sur ses débris. Le dollar a conservé son double statut de devise de réserve et de monnaie d’échanges internationaux : près de deux tiers des réserves des banques centrales dans le monde sont actuellement constituées de bons du Trésor américains et le dollar apparaît dans neuf transactions internationales sur 10. Grâce à ce statut, l’économie américaine bénéficie d’un privilège exorbitant, mais basé sur un équilibre subtil. Le dollar doit être assez faible pour permettre aux Etats-Unis de soutenir leurs exportations. Et pourtant continuer à attirer les investisseurs étrangers, surtout depuis les années 1990, à partir desquelles les Etats-Unis souffrent d’un déficit chronique de leur balance commerciale. Heureusement pour eux, cette équation est rendue possible par l’absence de concurrence. Ni le marché du franc suisse, ni même celui trop dispersé de l’euro n’ont en effet une taille suffisante pour contenter les investisseurs.

La crise de 2008 a même renforcé la royauté du dollar. Elle a montré qu’un pays qui n’a plus accès à la devise US risque simplement l’implosion. On s’en est rendu compte en Europe lorsque la BCE a été obligée de conclure avec la Fed en urgence en 2009 un accord de swaps euro-dollar afin de pouvoir abreuver en dollars des banques européennes qui ne pouvaient plus se fournir auprès de leurs contreparties américaines.

Les Etats-Unis usent de cette hégémonie avec adresse. Cependant, on le voit dans les commentaires récents suscités par l’affaire BNP Paribas ou la condamnation de l’Argentine face aux fonds “vautours”, cette position ultra dominante irrite de plus en plus. Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud viennent de créer ces jours-ci leur propre FMI. Certains pays asiatiques (en ce compris la Chine, la Corée du Sud et le Japon) ont mis en commun une partie de leurs réserves de change afin d’alimenter un pays qui serait subitement privé de billets verts. La force de frappe de ce système a été portée à 240 milliards de dollars voici un peu plus d’un an. La Chine et la Russie planchent sur la possibilité de négocier des matières premières dans une autre devise que le dollar. Idée reprise voici quelques jours par Christophe de Margerie, le patron de Total.

Ces initiatives sont éparses, toutefois. Elles risquent, sans coordination, de mettre à mal le fragile équilibre actuel : il n’est dans l’intérêt de personne de voir s’effondrer le dollar. Il est en revanche souhaitable de mettre en place des systèmes alternatifs, qu’ils soient basés sur des devises existantes (euro, renminbi, etc.) ou sur une devise internationale à créer (tel le bancor de Keynes…). Dans un monde qui a besoin de stabilité comme de pain, il est temps de discuter d’une transition douce vers un système où le dollar resterait une grande (sans doute encore la principale) devise de réserve et de négoce, mais ferait aussi de la place aux autres. Eh bien oui : il est temps de mettre en place un nouveau Bretton Woods.

PIERRE-HENRI THOMAS

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