L’exception fiscale des voyages aériens

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Le projet de taxer les tickets d’avion ne passera peut-être pas la rampe. Il rappelle la situation singulière des voyages en avion qui ne sont pas taxés en Belgique, mais bien dans les pays voisins comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France.

La levée de boucliers a été immédiate. Dès que le projet d’une taxe de 3 euros sur chaque billet d’avion est sorti, en Région wallonne, Ryanair et les dirigeants des aéroports concernés (Charleroi et Liège) ont évoqué des conséquences désastreuses. La compagnie irlandaise menace de réduire de 17 % ses activités à Charleroi et annonce un million de passagers et 1.000 emplois en moins en 2014. Autant dire que la discussion de ce projet par le gouvernement wallon, qui aura lieu en septembre, sera tendue. Il n’est pas sûr que l’idée survive à l’été. D’autres projets du même genre avaient été lancés par le fédéral en 2009 et 2012, puis abandonnés, par crainte des conséquences et des réactions des compagnies aériennes.

Pourtant le ticket d’avion est loin d’être désavantagé par la fiscalité. Au contraire. En Belgique, il bénéficie d’un régime enviable de taxe zéro, la taxe d’aéroport — bien réelle — n’étant pas un prélèvement fiscal mais une redevance. Dans l’Union européenne, aucun pays ne fait payer la TVA pour les vols internationaux. Les compagnies bénéficient d’un régime dérogatoire dont ne profitent pas le train et l’autocar. Un ticket Thalys Paris-Amsterdam, par exemple, est taxé selon les taux pratiqués dans les pays traversés : 6 % pour les tronçons néerlandais et belge, 0 % en France.

L’aérien est historiquement favorisé

Cette situation privilégiée est historique et concerne d’autres aspects de l’activité aérienne. “La convention de Chicago de 1944 garantit notamment que le carburant n’est pas taxé pour les vols internationaux, rappelle Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCL. Au niveau des impôts sur les bénéfices et de celui sur le revenu du personnel, les compagnies ont la faculté de n’être taxées que dans le pays du siège de leur direction, et pas partout où elles ont une activité économique stable.” Cela figure dans des modèles de conventions fiscales de l’OCDE qu’utilisent la plupart des Etats. Ces dispositions donnent un avantage aux compagnies situées, comme Ryanair ou British Airways, dans des pays où la fiscalité est plus modérée.

Pourquoi ces conditions exceptionnelles ? “Les Etats voulaient stimuler une nouvelle activité, puis, souvent, il s’agissait d’entreprises publiques. Ces exemptions constituaient un échange de bons procédés”, explique Edoardo Traversa. La situation a fort changé : les transporteurs sont à présent surtout des sociétés privées, dans un contexte libéralisé, et le secteur se situe à un stade de développement très avancé. L’Union européenne aimerait taxer le carburant. Pour les tickets, certains Etats ont imaginé des taxes.

D’autres pays taxent

Il n’est pas simple de remettre à plat le dispositif actuel. La Commission européenne aimerait harmoniser le régime de la TVA pour le transport des personnes, quel que soit le moyen utilisé, mais elle rencontre une forte réticence des transporteurs et de certains pays. La crise financière a pourtant poussé certains pays à créer des taxes. Depuis 2011, l’Allemagne impose une air passenger tax de 7,5 euros, 23,43 euros ou 42,18 euros, selon la longueur du vol. La France facture une civil aviation tax et la Grande-Bretagne une air passenger duty. L’AEA (Association des compagnies aériennes régulières) estime à 5 milliards d’euros les recettes encaissées annuellement par ces diverses taxes. Hors de l’UE, des dispositifs de taxation sont aussi mis en application. Les Etats-Unis font payer 7,5 % sur les vols intérieurs et 17,2 dollars pour chaque passager d’un vol international au départ et à l’arrivée.

Plusieurs pays ont jeté l’éponge

Cet ordre dispersé embarrasse les compagnies mais leur profite aussi. Les Etats qui ne taxent pas sont une concurrence pour les autres. Craignant une fuite du trafic — ou espérant une hausse — plusieurs petits Etats ont renoncé à leur taxe. Les Pays-Bas, l’Irlande et le Danemark ont supprimé leur fiscalité sur les billets, parfois juste un an après leur mise en place (Pays-Bas).

Le secteur aérien est, sans surprise, vent debout contre cette fiscalité. “Nous sommes opposés aux taxes sur les tickets car l’aviation paye déjà beaucoup de charges en comparaison avec les autres moyens de transport, se plaint Geert Sciot, porte-parole de l’AEA. Le contrôle aérien est trop cher car il n’y a pas de gestion commune de l’espace aérien (single European sky). Nous avons aussi les redevances des aéroports, celles pour la sécurité et aussi les redevances pour les émissions de CO2. En comparaison avec les autres transports (train, route, etc.), les compagnies et leurs passagers paient la totalité du coût de l’infrastructure.”

Le risque de la compétitivité Un rapport français, publié en juillet par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, titré “Les compagnies aériennes européennes sont-elles mortelles ?”, donne implicitement raison à l’AEA : “Il ne s’agit ni de rentrer dans un débat sur le bien-fondé de la fiscalité en général, ni de relayer des revendications particulières. Néanmoins, certaines taxes, du fait de leur spécificité française ou européenne, pourraient fragiliser les compagnies européennes dans la concurrence mondiale”, indique le document. Il met en avant la taxe de solidarité pratiquée en France, dont Air France-KLM est de loin la première frappée, bien plus que ses concurrentes. Ou les charges de sécurité dans les aéroports. “Le transport aérien est [… ] le seul mode de transport contraint de payer sa sûreté. D’autres modèles de financement existent : dans de nombreux pays, c’est l’Etat qui prend cette dépense à sa charge”, continue le document.

Le rapport se préoccupe du futur des compagnies nationales traditionnelles face aux low cost. Les premières — comme Brussels Airlines — ont moins le loisir de modifier leur réseau et leurs implantations pour profiter des régimes de taxation les plus favorables. Elles sont pénalisées si elles sont situées dans des pays très taxateurs. Les low cost, en revanche, sont moins liées à un pays et peuvent remodeler leur réseau avec une grande souplesse, au gré des tarifs de redevance des aéroports et des taxes. Ryanair l’a démontré à plusieurs reprises.

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