Le Belge qui met un million de personnes au travail

Alain Dehaze © Isopix

Son nom reste assez peu connu en Belgique, même dans les milieux d’affaires, aussi vrai que sa carrière s’inscrit depuis longtemps à l’étranger. A 52 ans, Alain Dehaze figure pourtant parmi la poignée de Belges arrivés à la tête d’un groupe figurant dans le top 500 mondial du magazine “Fortune”.

Entré en fonction le 1er septembre dernier, Alain Dehaze dirige Adecco, numéro un mondial des “solutions en ressources humaines”, autrement dit du recrutement, de l’intérim et activités connexes. Il emploie 32.000 personnes et en met chaque jour près d’un million au travail, dont un tiers en Chine. Trends-Tendances a rencontré le Tournaisien lors d’un passage à Bruxelles, dans le cadre de la coupe Davis dont le groupe est sponsor, et avant qu’il ne s’envole pour le Mexique.

Le diplomate de la propreté

Ingénieur commercial diplômé de l’Ichec en 1986, Alain Dehaze avait deux options pour débuter sa carrière, au sortir du service militaire : une grande banque américaine où il aurait été trader et Henkel, le groupe allemand de détergents. Pourquoi a-t-il choisi le second ? “Je penchais pour une entreprise ayant la réputation de bien former les jeunes, surtout dans la vente et le marketing. Or, on considère généralement qu’il existe en ce domaine trois bonnes écoles : Procter & Gamble, Unilever et Henkel. J’y suis resté 10 ans, de 1987 à 1997, en changeant de job après deux ans et demi au maximum. Et souvent de pays : Belgique, France, de nouveau Belgique, puis Suisse et Allemagne.” A Düsseldorf, il devient directeur marketing et directeur corporate accounts au niveau européen, lançant la première gamme de produits à l’échelle du continent. “J’y ai fait plus de diplomatie que de marketing, car il fallait d’abord mettre tout le monde d’accord sur les marques, les couleurs et même les parfums. En France, propreté est synonyme de couleur verte et d’odeur de pin. En Scandinavie, elle est transparente et inodore”, observe Alain Dehaze avec amusement.

Souhaitant alors occuper une fonction de direction générale, l’intéressé passe ensuite chez son plus gros client : le groupe de nettoyage ISS. Après s’être occupé du développement européen, il y devient patron du marché allemand. Retour à Düsseldorf ! Il y aura au total passé cinq ans, après deux ans en Suisse alémanique. Pas étonnant qu’Alain Dehaze parle couramment allemand.

Changement de cap trois ans plus tard, en direction du travail temporaire : en octobre 2002, à 39 ans, Alain Dehaze prend la direction de Solvus, devenant le deuxième plus jeune CEO d’une entreprise membre de l’indice Bel 20. Après un certain Marc Coucke. Quand Solvus est racheté par USG People, il devient COO du nouvel ensemble et s’attelle à l’intégration des deux entités.

Adecco se profile par la bande…

La fibre entrepreneuriale taraude toutefois l’Ichéquien et, un an plus tard, Alain Dehaze devient actionnaire et dirigeant d’Humares, société néerlandaise basée à Vlissingen, en bordure de l’Escaut. Elle est active dans le staffing de personnel maritime. “Elle avait 3.500 capitaines, matelots et autre personnel de maintenance sous contrat, à destination notamment des plateformes pétrolières”, explique Alain Dehaze. Entre alors en scène Mark De Smedt, qui quitte ses fonctions de patron d’Adecco pour le Benelux. “Lui et moi avons, au sein d’Humares, créé une activité totalement différente : celle d’écrivain scientifique spécialisé pour l’industrie pharmaceutique. Ils étaient une centaine.”

“Je lis alors dans la presse que Patrick De Maeseneire est nommé patron du groupe Adecco au niveau mondial, se souvient Alain Dehaze. Je le rencontre et il me signale vouloir engager des managers expérimentés dans le travail temporaire. Mark et moi avons alors revendu une partie d’Humares à Adecco et j’y suis entré, tandis que Mark y retournait.” Le groupe suisse Adecco attire clairement les talents belges !

Entré au comité exécutif, Alain Dehaze est nommé directeur pour l’Europe du Nord en cette même année 2009. De partenaire, il devient patron de Mark De Smedt. “Alain est quelqu’un de déterminé et d’exigeant, juge ce dernier. Mais en plus, et c’est plus rare chez les grands CEO, il est très authentiquement humain. Il ne se force pas pour être charmant avec les gens : c’est sa nature. C’est aussi quelqu’un de très resilient : il résiste fort bien à la pression”.

En 2011, cap sur Paris. Alain Dehaze y dirige Adecco France. L’entreprise y met au travail 130.000 personnes par semaine, au travers de 15 sociétés et une dizaine de marques spécialisées. Un fameux défi l’y attend : gérer la fusion entre Adecco France et Adia. L’occasion idéale, non de faire ses preuves, mais de les confirmer et d’atterrir à la tête du groupe le 1er septembre 2015. En devenant à nouveau le patron de Mark De Smedt, à présent DRH du groupe. Avoir dirigé la France et opéré cette fusion, est-ce un bon tremplin pour le sommet ? “Dans le cadre d’un développement personnel dans un grand groupe international, il faut apprendre à gérer un grand pays, observe le nouveau CEO du groupe suisse. Gérer un petit pays, ce n’est pas le même métier.”

Le patron le plus bosseur !

C’est Christophe Catoir qui a succédé au Belge à la tête d’Adecco France. Le souvenir qu’il en a ? “Un patron à la fois exigeant et bienveillant, paisible et facile d’accès, mais très professionnel : il sait vous pousser à aller plus loin.” Il a beaucoup contribué à la communication du groupe, estime-t-il. Et il ne se contente pas de lancer les dossiers : il les suit. “En fait, conclut Christophe Catoir, je n’ai jamais connu un patron aussi bosseur !”

Adecco, ce n’est pas que de l’intérim classique. En France, la filiale Modis met 1.600 informaticiens à la disposition des entreprises, tandis que 800 ingénieurs le sont au travers de la société euro engineering. Adecco est numéro 1 mondial dans l’outplacement. Des activités réalisées avec des salariés maison, non des intérimaires. Aux Etats-Unis, second marché, l’intérim ne représente plus que la moitié du chiffre d’affaires, précise Alain Dehaze.

Belle diversification, mais avec la montée en puissance du statut d’indépendant, les métiers d’Adecco ne sont-ils pas en danger ? “La tendance est claire : aux Etats-Unis, 30 % des travailleurs sont indépendants et ce chiffre n’arrête pas de croître, observe le CEO. L’Europe va dans la même direction. La fonction d’intermédiation d’Adecco ne va pas disparaître pour autant, pas plus que les autres prestations réalisées pour les clients. Par contre, nous devons de plus en plus gérer les relations individuelles avec ces auto-entrepreneurs et autres free-lances. C’est pourquoi nous avons, au début de l’année, racheté une société américaine dont la plateforme informatique nous permet précisément de mieux gérer tous ces indépendants. Face à l’Internet en général et, par exemple, LinkedIn en particulier, nous apportons notre connaissance à la fois de l’entreprise et du candidat, pour faire en sorte que la rencontre soit optimale.”

Et en dehors du boulot ? Lecture, marche, un peu de sport… et la famille. “Avec un métier aussi prenant, ponctué de voyages incessants (ils devraient occuper deux tiers de son temps à l’avenir, Ndlr), il faut vraiment se ménager des moments de retrouvailles avec ses proches, au calme.” Et comme beaucoup de cadres expatriés qui ont vécu des déménagements à répétition, Alain Dehaze dispose d’un point de chute : à Biarritz, ville dont est originaire la famille de sa femme Gaëlle. Loin de la traumatiser, cette transhumance familiale a donné le virus à la génération suivante : les quatre enfants du couple suivent des études dans quatre pays différents.

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