Blended whisky dans les Highlands

C’est en compagnie de David Stewart en personne et sous un soleil radieux que nous avons sillonné le Speyside, dans les Highlands écossais. Les fins connaisseurs de whisky se prosternent devant David Stewart, le doyen des Maîtres de Chais de l’industrie du whisky. Il travaille depuis 53 ans pour William Grant & Sons, l’entreprise familiale à qui l’on doit notamment Glenfiddich et The Balvenie. Bref, un véritable puits de connaissances.

Tout au long de sa carrière, David Stewart a ” flairé ” près de 400 000 fûts. Au cours d’une journée normale, Stewart en hume une trentaine, en plus du jeune whisky, le ” new spirit ” qui s’écoule des alambics en cuivre. Son influence sur l’industrie du whisky est phénoménale. Il siège notamment dans le jury de l’International Wine & Spirit Competition (IWSC) et de l’International Spirits Challenge. En 2005, il a personnellement reçu le Grand Prix of Gastronomy de la British Academy of Gastronomes et le Lifetime Achievement Award de l’IWSC. Un titre que lui a également décerné The Malt Advocate en 2007. S’ensuivra, deux ans plus tard, le prix Icon of Whisky du Whisky Magazine. Le whisky lui a-t-il apporté autre chose que ces récompenses ? ” Oh dear. Un rôle unique. Parmi les dizaines de milliers de gens qui travaillent dans l’industrie écossaise du whisky, nous ne sommes qu’une quinzaine à avoir cet honneur. “

Ce n’est qu’en 1963 que nous avons lancé, en exclusivité, un “Straight Malt

” À mes débuts, le secteur était plus simple et moins étendu. Il y avait beaucoup plus de distilleries indépendantes. Aujourd’hui, les deux grands acteurs sont Diageo et Pernod Ricard : leur portefeuille compte quelque quarante distilleries. Le single malt n’existait même pas encore sur le marché à l’époque ; il n’y avait que du blended whisky ! “

UN MALT SPÉCIAL

” Ce n’est qu’en 1963 que nous avons lancé, en exclusivité, un “Straight Malt” – c’était son nom à l’époque – chez Glenfiddich. The Balvenie a suivi. Une distillerie fabriquait déjà des whiskys pour la consommation locale, mais aux yeux de beaucoup, ils étaient trop chers et trop spéciaux pour convenir à la palette gustative d’un large public non écossais. Les single malts varient beaucoup en termes de caractère – c’est ça qui les rend si exceptionnels, mais les autres distilleries n’avaient pas conscience de ce potentiel. “

La distillerie de Glenfiddich.
La distillerie de Glenfiddich.

C’est l’équipe marketing de William Grant & Sons qui a malgré tout suggéré de commercialiser les whiskys single malt, d’abord au Royaume-Uni, puis en Europe, et enfin dans le monde entier. ” À l’époque, l’entreprise était dirigée par David Grant, les frères Sandy et Charles Grand Gordon et Janet Sheed Roberts “, explique Stewart. ” Il s’agissait d’une décision familiale importante, qui fut dans un premier temps accueillie avec scepticisme. Il n’y eut pas la moindre concurrence pendant dix ans. Nous avons eu le temps de conquérir le marché et d’exporter progressivement. Ce n’est qu’alors que d’autres acteurs, notamment The Macallan et Glenmorangie, ont perçu les bénéfices potentiels. Ils ont donc suivi le mouvement. Aujourd’hui, les gammes sont énormes. Rien que ces quatre dernières années, une dizaine de whiskys Glenfiddich ont fait leur apparition – j’ai moi-même perdu le fil. Les breuvages Balvenie sont quant à eux au nombre de douze. “

Avec une part de marché d’environ 30 %, Glenfiddich arrive en tête.

Malgré l’essor qu’il a connu ces dernières années, le marché du single malt reste limité à environ 15 %, tout au plus, des ventes totales de whisky écossais. Avec une part de marché d’environ 30 %, Glenfiddich arrive en tête. C’est peut-être la raison pour laquelle les apparences jouent contre l’emblématique bouteille triangulaire. À tort. Certes, la distillation met en oeuvre des hydromètres commandés par ordinateur. Certes, la production annuelle s’élève à 13 millions de litres d’alcool. Et oui, il existe un stock de 900 000 fûts répartis dans 47 entrepôts. Cela étant, Glenfiddich est tout sauf une usine industrielle.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

En 1886, William Grant abandonne sa fonction de manager de la distillerie Mortlach pour bâtir la sienne pierre par pierre avec ses neuf enfants. Cinq générations plus tard, la distillerie est toujours aux mains de la même famille : c’est du jamais vu ! Bon nombre de collaborateurs y travaillent depuis des décennies. La distillerie se sert toujours de l’orge écossaise locale et utilise uniquement l’eau de la source Robbie Dhu. Et bien que, selon la loi, on puisse parler de whisky après trois ans, le Glenfiddich le plus jeune a vieilli pas moins de douze ans en fûts de chêne – il s’agit essentiellement d’anciens fûts de bourbon, qui confèrent au nectar les arômes de miel et de vanille qui le caractérisent, et de fûts de sherry espagnols, qui apportent les touches fruitées. Ces whiskys passent ensuite dans un merrying tun. C’est là que la véritable maestria entre en jeu. Résultat : le 18 ans d’âge que nous goûtons est tout simplementdivin.

Blended whisky dans les Highlands

Stewart nous emmène ensuite à la distillerie voisine, The Balvenie, que William Grant a créée six ans après Glenfiddich. Elle abrite l’une des rares malteries encore en service en Écosse – les distilleries achètent aujourd’hui presque toutes de l’orge prémaltée. La distillerie dispose aussi de sa propre tonnellerie. La Cooperage est, à juste titre, une véritable attraction touristique. ” C’est ici que nous régénérons les fûts de Glenfiddich, The Balvenie et Kininvie, notre troisième distillerie, après trois ou quatre remplissages “, précise Stewart. ” Il en passe environ 600 par semaine. Il faut compter quatre ans avant que les tonneaux atteignent le rythme de travail requis. “

C’est ici, à la distillerie The Balvenie, que Stewart a sans doute réalisé sa plus belle prouesse. The Balvenie Classic lui a valu de jouer, au début des années 1980, un rôle clé dans l’apparition des finishings (finitions). ” Nous cherchions une nouvelle gamme et notre whisky ne vieillissait que dans des fûts de sherry et des fûts de bourbon américains “, explique-t-il. ” Je me suis demandé ce qu’il adviendrait si nous transvasions le whisky des fûts américains dans des fûts de sherry. L’essai a donné un excellent résultat : notes épicées, touches de fruits mûrs, robe plus intense. The Balvenie Classic s’est donc vu doté d’une sherry-finish, même si on n’employait pas encore ce terme à l’époque. Il faudra attendre 1993 pour que l’équipe marketing lui attribue le nom de DoubleWood. ” Le succès fut au rendez-vous et la technique fut également appliquée au 21 Year Old PortWood – un whisky 21 ans d’âge qui bénéficie d’une finition en fûts de porto.

L’idée était plus géniale qu’elle en avait l’air. Le recasking (remise en fût) compte parmi les principales innovations qu’a connues le secteur du whisky ces cinquante dernières années. ” Je suis particulièrement fier du DoubleWood et du PortWood “, avoue Stewart. ” Avant, la distillerie The Balvenie était inconnue. Nous avons acquis, depuis lors, une solide position. Et ces bouteilles existent toujours, plus de vingt ans après. Tout le monde pratique aujourd’hui le finishing et le recasking, en utilisant même des fûts de vin rouge et blanc, de cognac, de rhum, etc. “

Blended whisky dans les Highlands

Comment Stewart choisit-il la finition d’un whisky ? Est-ce une évolution planifiée ou le fruit du hasard ? ” Nous prenons quelques fûts qui renfermaient autrefois du cognac, du rhum, du vin, du madère, du marsala ou du brandy, nous y versons du Balvenie et nous voyons ce que cela donne. Nous réalisons donc des tests au préalable. Mais quand nous essayons quelque chose de nouveau, il faut compter plusieurs années avant de savoir si l’essai est concluant. “

Âge et générations

L’âge mentionné sur une bouteille renvoie toujours au plus jeune whisky utilisé. Ces dernières années, le contenu des très vieux fûts a souvent été simplement mélangé à celui de fûts plus récents pour répondre à l’énorme demande. Stewart acquiesce : ” Certaines distilleries n’ont plus de très vieux fûts ; elles n’ont plus qu’à attendre. Nous, il nous en reste. Encore plus chez Glenfiddich que chez The Balvenie. Nous essayons, en outre, de remplir plus de fûts que nécessaire. “

On a toutefois récemment constaté un tassement des ventes. ” Grâce aux pays en développement, nos résultats restent excellents. Le problème de notre métier vient du fait que nous devons regarder douze, quinze ou dix-huit ans en avant. Nous accroissons notre capacité, mais il est difficile de prévoir la demande dans ces régions. Il y a des hauts et des bas. ” D’aucuns pensent que le penchant pour les boissons fortes varie considérablement d’une génération à l’autre : vous ne buvez jamais ce que vos parents buvaient. Et après plusieurs décennies d’essor ininterrompu, le moment est peut-être venu pour les single malts de céder leur place. Certains signes laissent présager un retour du cognac. Stewart ne croit pas à cette théorie des générations. ” Selon moi, c’est plutôt une question de prospérité et de cycles économiques. Dans les pays comme la Russie, l’Inde et la Chine, il y a un groupe de consommateurs qui ne veulent boire que le meilleur. Peu importe qu’il s’agisse de whisky écossais ou de cognac, tant que ces nectars s’appuient sur une tradition. Les Russes nantis ne veulent plus de vodka. Et en Extrême-Orient, le whisky 12 ans d’âge n’a généralement pas la cote : il doit avoir 20 ou 30 ans. “

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