‘Voir posée la voiture sur la route, faire rugir le lion qui est en elle, tout cela me procure de l’émotion.’

© bernhardhuber.com

Dessiner une voiture demeure un exercice d’équilibre périlleux dans lequel le Québécois Dany Garand, Exterior Designer chez Audi AG, est passé maître, surfant allègrement entre les fantaisies de l’inspiration et les irréductibles contraintes techniques. Rencontre avec un homme qui aime chanter au volant.

Il roule en Audi TT RS, son épouse en A3 cabriolet dernière génération. Depuis une quinzaine d’années, Dany Garand (54 ans) vit et travaille sous le signe d’Audi dont il a dessiné plusieurs modèles – S8, A1, A3 et TT Facelift. Ce qui ne l’empêche pas de posséder une Aston Martin V8 Vantage et une Lotus Esprit. Car ce Québécois natif de Sherbrooke, adepte de science-fiction – ” elle nous emmène dans l’impossible, l’inédit ” – et qui travailla précédemment pour Bombardier et Honda, est avant tout un passionné d’automobile.

Automobile à la plastique de laquelle il se montre particulièrement sensible, glissant volontiers dans l’anthropomorphisme lorsqu’il en parle : ” Voir posée la voiture sur la route, y prendre place, faire rugir le lion qui est en elle, tout cela me procure de l’émotion. Pour moi, sentir ses galbes lorsque je la lave, s’apparente à caresser une personne, cela me touche. ” Doutera-t-on encore que, pour Dany Garand, designer automobile ait été une véritable vocation ?

L’adolescent qui rêvait d’être designer pensait-il aux galbes des voitures ou à ceux des femmes ?

” Aux deux. La beauté des femmes est très inspirante pour un homme. “

L’émotion dans le design revêt toujours un petit côté magique.

Vous arrive-t-il d’échanger avec votre femme sur vos professions respectives ?

” Nous parlons peu de mon job car mes projets pour Audi sont confidentiels. Mais il nous arrive de débattre sur le design de manière générale. “

Comment faites-vous passer l’émotion dans votre travail de création ?

” L’émotion dans le design revêt toujours un petit côté magique. On réalise de nombreux croquis, on élimine ce qui ne convient pas. A un moment donné, le dessin devient “parlant”, sans que l’on sache très bien se l’expliquer. Le volume finit aussi par y transparaître. Pour moi, c’est une aubaine car j’ai besoin des perspectives. Je me sens particulièrement à l’aise dans la 3D, dans la sculpture. Ensuite, il faut parvenir à expliquer ce résultat, à le partager, à le vendre. “

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

” Elles sont nombreuses. Des textures, entre autres, dont les formes ne relèvent pas forcément de la géométrie mais ont un côté aléatoire – des roches, des érosions, des arrangements… La manière dont elles captent la lumière et dont celle-ci les rend plus tridimensionnelles me fascine. La musique aussi me plonge dans un état particulier – le rock et AC/DC en particulier. J’adore chanter au volant lorsque je suis seul. Tout cela me maintient dans un état d’ouverture qui me permet d’avoir un regard différent. Cela relève presque d’une mystique. “

Dany Garand, Exterior Designer chez Audi AG.
Dany Garand, Exterior Designer chez Audi AG.

Vous avez réalisé votre rêve d’enfant. Etes-vous conscient de votre chance ?

” Absolument. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle je n’ai jamais été intéressé par un poste de patron chez Audi : je souhaitais rester actif dans cette passion du design automobile qui est la mienne. L’opportunité de pouvoir en vivre est arrivée relativement tard pour moi – à l’approche de la trentaine, lorsque j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes. A l’heure actuelle, les jeunes designers ont la possibilité de se distinguer dès l’âge de 22 ou 23 ans. Pour moi, accepter un job administratif à haute responsabilité, même dans le design, équivaudrait à signer mon arrêt de mort. “

Pour vous, l’automobile continue d’être connotée socialement.

” Totalement. Elle a un aspect très représentatif aussi. Evoluer dans le monde de l’automobile a été le rêve d’une part importante de ma génération. Se retrouver au volant d’une belle voiture était un objectif en soi, une sorte d’apogée. On imagine dès lors la jouissance que peut procurer le fait de dessiner une voiture, de voir les maquettes, de découvrir le premier modèle en argile, les premiers prototypes, puis de pouvoir toucher le modèle abouti, avant de le dévoiler au public. Il s’agit d’un bonheur indescriptible. Il est certain que la génération actuelle a d’autres préoccupations, d’autres priorités, mais pour moi, l’automobile restera toujours un facteur social essentiel. “

Dessiner une belle voiture, une sinécure ?

” Il s’agit d’une tâche ardue, qui dépend de plus en plus des contraintes techniques et des différents systèmes et packages se trouvant aujourd’hui sous la carrosserie. Les aspects techniques sont une donnée fondamentale dont nous devons tenir compte très tôt dans le processus. Les constructeurs n’offrent plus très souvent à leurs designers les proportions idéales pour pouvoir s’exprimer pleinement. Pour un styliste de mode aussi, il est plus évident de créer une robe destinée à une silhouette 90-60-90 qu’à un modèle 60-90-60. “

Ces contraintes techniques vous apparaissent-elle comme une donnée dérangeante ?

” Non. Et je pense que là, c’est mon côté hyper-rationnel et technique qui s’exprime. On ne se refait pas. J’ai été élevé dans un atelier de réparation – celui de mon père qui était mécanicien. Donc, je sais apprécier un arrangement de suspensions – comme sur les F1, par exemple -, les belles pièces machinées, etc. J’aime le travail bien fait. Avoir une bonne compréhension technique permet de maîtriser les proportions en vue d’un design optimal… et de bien argumenter. ”

'Voir posée la voiture sur la route, faire rugir le lion qui est en elle, tout cela me procure de l'émotion.'

À LA FOIS RIGOUREUX ET SEXY

Et dessiner une Audi, est-ce une tâche aisée?

” Non. Il faut en permanence garder à l’esprit le côté intemporel et rigoureux de la marque. C’est non pas elle qui s’ajuste au coup de crayon du dessinateur mais le designer qui s’accommode de la philosophie d’Audi, laquelle repose sur l’idée de progressivité, de sportivité et de sophistication. Ce n’est qu’alors qu’un modèle peut être renouvelé. “

Cela doit comporter une part de frustration…

” Oui et non. C’est à chaque fois un nouvel apprentissage que l’on finit toujours par apprécier des années plus tard. L’utilitaire Q7 en est un bel exemple. Dix ans après sa sortie, il reste moderne, actuel. Cette intemporalité est l’une des qualités de la marque. Bien sûr, il peut être frustrant de s’entendre dire, lorsqu’on a joué la carte de l’extravagance, que cela ne correspond pas à l’esprit Audi. Cela suppose de se remettre à sa table de travail et de tenter d’insuffler la logique propre à la marque. De se rappeler les éléments qui la caractérisent, de trouver un point d’équilibre entre les contraintes techniques et des proportions naturelles et bien balancées. “

'Voir posée la voiture sur la route, faire rugir le lion qui est en elle, tout cela me procure de l'émotion.'

L’arrivée de la première TT a marqué le début d’un changement: la marque a commencé à se décomplexer…

” Quelque chose s’est transformé à l’époque. On est passé de l’“understatement” au “statement”. Il est apparu que l’on pouvait être à la fois rigoureux et sexy. “

Quel est le modèle Audi qui vous enthousiaste particulièrement?

” Ils sont deux. La S8 de la génération précédente, qui fut mon premier projet, et l’A3 berline actuelle. La première continue d’avoir du punch malgré le temps qui passe, la seconde, en version 4 portes, est une belle réussite pour une berline de ce gabarit. L’A3 a d’ailleurs été “Voiture Mondiale” 2014. Cela dit, j’aurais adoré dessiner la R8. C’est un modèle où l’on peut mettre le turbo et s’exprimer encore plus intensément. “

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