” Utiliser l’aviation pour rapprocher les hommes et les nations. “

Cet été, lors du meeting aérien d’Oshkosh (Etats-Unis), le plus grand rassemblement d’avions au monde, le fabricant de bagages allemand Rimowa a créé la surprise en dévoilant une réplique du Junkers F13 de 1919, considéré comme étant à l’origine de l’aviation civile commerciale. Une réplique que le CEO de Rimowa, Dieter Morszeck, espère produire en série. Prix annoncé : quelque deux millions d’euros.

Chaque année, l’Experimental Aircraft Association AirVenture Oshkosh (Wisconsin) attire en une semaine un demi-million de visiteurs. La tour de contrôle la plus active au monde coordonne le balai aérien de centaines d’avions, petits et grands, parmi lesquels nombre de prototypes ou d’appareils anciens qui, à intervalles réguliers, survolent le terrain d’aviation. Le commentateur rappelle les heures d’entraînement et la discipline auxquelles ont dû se soumettre les meilleurs pilotes au monde et abreuve le public d’explications sur les avions militaires ayant servi, entre autres, durant la Seconde Guerre mondiale et au Vietnam. Airbus effectue un vol de démonstration de son dernier-né l’A350 XWB (Extra Wide Body), extrêmement silencieux et manoeuvrable. Place ensuite à la voltige. A l’intérieur du kilomètre cube qui lui est attribué, soumis à des forces G extrêmes dans le cockpit, Luca Bertossio, 25 ans, prouve toute sa maîtrise du vol acrobatique en exécutant loopings et autres figures complexes. Ici, le torticolis n’est jamais très loin…

La rencontre avec Dieter Morszeck (62 ans), CEO depuis 1984 de Rimowa, fabricant allemand de bagages légendaires très prisés par la jet-set, a lieu le soir, dans un hangar décoré façon années 1920. Petit-fils de Paul Morszeck, fondateur de l’entreprise en 1898, il en est aujourd’hui l’unique actionnaire. Et celui qui, selon son entourage, prend toutes les décisions. Mais il n’a rien du manager roublard ou mondain, peinant même à prendre la parole en présence de top-modèles tels que Alessandra Ambrosio et Johannes Huebl, invités pour l’occasion. Non, Dieter Morszeck apparaît comme un homme vrai, visiblement très heureux de pouvoir dévoiler son rêve le plus cher : une réplique du légendaire Junkers F13.

Enfant déjà, j’étais passionné par l’avion qui est, à mes yeux, le moyen de transport le plus fascinant.

” Enfant déjà, j’étais passionné par l’avion qui est, à mes yeux, le moyen de transport le plus fascinant. Mon père m’emmenait régulièrement avec lui au Deutsches Museum à Munich. C’est là que je me suis mis à rêver de voler moi-même un jour – ce que je fais depuis 33 ans. “

En 2006, il rallie une première fois Oshkosh depuis l’Allemagne, aux commandes de son propre avion. ” Voler, ce n’est pas simplement se déplacer. Il s’agit d’une expérience très sensuelle. Je continue d’avoir la chair de poule lorsque je sens l’odeur de l’huile, du carburant, de l’enduit tendeur dans un hangar à avions : celle du vaste monde. “

© Benjamin Lozovsky/BFA.com

Dieter Morszeck a toujours éprouvé de l’admiration pour l’ingénieur et entrepreneur Hugo Junkers (1859-1935), Rhénan comme lui. Et pour le Junkers F13, qui a volé pour la première fois le 25 juin 1919, durant six minutes. ” Ce fut le premier avion de transport civil entièrement métallique. Un monoplan à ailes basses cantilever, au coût d’utilisation limité, facile d’entretien, fiable, léger, robuste, durable et confortable. Hugo Junkers a abandonné le cadre classique en bois avec corde et canevas. Il fut le premier à utiliser le duralium, un alliage breveté en 1909 par le chimiste et métallurgiste allemand Alfred Wilm. L’aluminium est léger mais non rigide, ce qui interdit son emploi pour la construction de structures. Mais adjoint à du cuivre, du magnésium et du manganèse, il peut être utilisé pour des constructions solides. Le F13 a révolutionné la construction aéronautique. Et son élégance n’a pas pris une ride. “

Le F13 a révolutionné la construction aéronautique.

Le duralium est aussi le lien qui unit Junkers et Rimowa. ” En 1950, à une époque où le nombre de vols transatlantiques était en forte hausse et où il fallait accroître les facilités de voyage, mon père a décidé de fabriquer des bagages dans ce matériau. Soit des valises légères résistantes aux conditions tropicales et protégeant les affaires personnelles des températures extrêmes et des termites. Il a également repris le design rainuré caractéristique de l’avion. “

” Le F13 incarne l’âme pionnière du battant – un modèle pour moi. Mais ce projet est plus qu’un rêve personnel : il est un héritage culturel. Après l’armistice de 1918, Hugo Junkers aspirait à un but plus élevé : utiliser l’aviation pour rapprocher les hommes et les nations. C’était un visionnaire qui a su pressentir le marché de l’aviation civile commerciale internationale, quinze ans à peine après le premier vol motorisé contrôlé des frères Wright. Le F13 a donné corps à cette vision. L’appareil a été produit en série et a changé la manière de se déplacer des voyageurs et des hommes d’affaires. Les voyages de plusieurs jours en bateau ou en train ont été réduits en vols de quelques heures – sûrs et rapides. Une vraie révolution. “

En 1925, Junkers détenait quelque 40 % de parts de marché du trafic aérien civil international. Et en 1931, 348 exemplaires du F13 avaient été construits – 110 pour l’Allemagne, le reste pour les compagnies aériennes d’Amérique du Nord, centrale et du Sud, d’Afrique, d’Europe occidentale, de Chine, du Japon, d’Indonésie et d’Australie.

LE REMAKE DU F13

L’idée de redonner vie au F13 a vu le jour en 2008 au sein de la VFH (Verein der Freunde Historischer Luftfahrzeuge – Association des Amis des Avions historiques) établie à Mönchengladbach et présidée par Bernd Huckenbeck. Cette association possédait déjà un Junkers JU52 de 1939, à bord duquel ses membres ont traversé l’océan Atlantique en 2012 et fait sensation à Oshkosh avant d’entreprendre une tournée en Amérique du Nord, sponsorisée par Rimowa. ” Un autre rêve… Mais il est impossible de commercialiser cet appareil : il est trop grand. “

Le plan B – construire l’appareil à l’identique – restait donc la seule option.

Dans la poignée d’exemplaires du F13 encore existants – à peu près dans leur état d’origine -, aucun n’était apte à voler. Le plan initial qui consistait à monter un projet de restauration visant à permettre à un seul exemplaire de reprendre les airs, s’est avéré, fin 2012, impossible à mener à bien en raison de ” pratiques muséales “. Le plan B – construire l’appareil à l’identique – restait donc la seule option. Bernd Huckenbeck, à la tête du projet, s’est mis en quête de dessins et de documents originaux au Deutsches Museum et à l’American National Museum of the United States Air Force à Dayton (Ohio). Le hic étant qu’il n’existait pas d’archives complètes des plans. Fort heureusement, le musée de l’Air et de l’Espace au Bourget, près de Paris, possédait un F13. En mars 2013, Bernd Huckenbeck et Dominik Kälin (29 ans), constructeur d’avion suisse spécialisé dans les restaurations qui avait rejoint l’équipe entre-temps, ont mesuré l’appareil, en grande partie démonté, à l’aide d’un scanner 3D, et ce jusqu’au plus petit rivet. Une semaine de travail assidu. Sur base des données récoltées, ils ont établi un modèle 3D qui comblait les parties manquantes des archives et a servi de base à la reconstruction. Laquelle a pu débuter en octobre, chez Kärin Aero Technologies à Oberndorf am Neckar, à proximité de la Forêt Noire. Quinze mois et neuf mille heures plus tard, la réplique était née.

LENTEMENT ET À BASSE ALTITUDE

Les premiers F13 étaient propulsés par des moteurs BMW et Mercedes de 160 à 185 ch. La motorisation a progressivement évolué – vers le moteur radial et le moteur en étoile. Le poste de pilotage, abritant pilote et mécanicien, était ouvert et muni d’un petit pare-brise : voler s’effectuait à vue, les instruments de vol n’existant pas encore. Situé dans la coque et semblable à la cabine d’une voiture de l’époque, le compartiment passager pouvait accueillir quatre personnes.

Si la vitesse de croisière du F13 d’origine s’élevait à 86,4 noeuds, cette version-ci atteint les 95 noeuds, soit quelque 175 km/h.

Le nouveau F13 est, lui aussi, un monoplan entièrement métallique, à moteur unique, doté d’une structure en duralium. Bien que peu responsable du point de vue de l’aérodynamique, le design rainuré caractéristique a été conservé. Le compartiment fermé, aménageable selon les goûts – cuir, alcantara… -, offre place à quatre passagers (avec bagages). Le poste de pilotage (deux personnes) a été conservé ouvert. Bernd Huckenbeck : ” Le Rimowa F13 est dans une large mesure identique au Junkers F13. Quelques modifications ont été apportées pour répondre aux standards de sécurité et de production actuels et recevoir l’autorisation de vol. Les moteurs de BMW, Mercedes et Junkers utilisés dans les années 1920 n’étant plus disponibles en nombre suffisant, nous avons opté pour un moteur en étoile 9 cylindres de fabrication canadienne, un Pratt & Whitney R-985 Wasp Junior de 450 ch. Développé en 1929, il a été utilisé pour la première fois un an plus tard dans l’aviation civile et militaire, et construit jusque dans les années 1950. On en trouve encore suffisamment d’exemplaires sur le marché. S’approvisionner en pièces détachées n’est pas un problème non plus – après 2.000 heures de vol, il faut quasiment reconstruire entièrement le moteur. Pour raccourcir le décollage et l’atterrissage, nous avons intégré un train d’atterrissage à pression d’huile équipé de freins, et de meilleurs amortisseurs, et nous avons redessiné la queue. L’appareil peut atterrir sur l’herbe. “

Si la vitesse de croisière du F13 d’origine s’élevait à 86,4 noeuds, cette version-ci atteint les 95 noeuds, soit quelque 175 km/h. Dieter Morszeck : ” Cet appareil est fait pour voler lentement et à basse altitude “. Haut de 3,50 mètres, long de 9,60 mètres, il a une envergure de 14,65 mètres, pèse quelque 1.450 kilos (contre 935 pour l’ancienne version) et consomme environ 80 litres de carburant par heure (contre 40), ce qui lui confère une autonomie de 600 kilomètres.

Le premier vol aura lieu en mars 2016, après quoi suivra la certification pour les vols de jour. La première livraison est attendue pour mai. Prix de vente annoncé : 2,2 millions de dollars. Dieter Morszeck : ” Le Rimowa F13 est destiné au passionné d’aviation qui prend plaisir à voler vraiment – dans un cockpit ouvert, donc “. La production de série s’effectue au nouveau Rimowa Flugzeugwerke AG, à Dübendorf, en Suisse. Oshkosh a permis de tâter le marché. Dieter Morszeck n’exclut pas de construire 20 à 30 exemplaires. ” Cela ne représente pas un si grand investissement. Nous utilisons une infrastructure de production existante et recourons à une petite équipe. Une entreprise de taille moyenne telle que la nôtre est très flexible, pouvant alterner la production de valises et la fabrication d’avions. Il n’est pas question de vendre des lunettes solaires. Nous devons faire ce que nous aimons. C’est un élément clé de notre histoire. ”

TEXTE BERT VOET

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