Un parfum pour les Y

Quel design une ligne de fragrances unisexes nommée Totem pouvait-elle bien inspirer à un bureau de création ? La réponse se trouve dans la question. Mais sa réalisation fut loin d’être une évidence. Rencontre avec Oki Sato, dont le studio japonais Nendo a dessiné pour Kenzo Parfums, ce flacon totem destiné à la génération Y.

Jaune, orange et bleu. Telles sont les trois couleurs qui permettent de distinguer entre elles les trois eaux de toilette boisées constituant la ligne Totem de Kenzo. Car le flacon, lui, est identique pour les trois. Seule la couleur des signes géométriques – cercle, triangles et rectangles – qui y figurent diffère, le jaune indiquant la version agrume, l’orange, la déclinaison florale et le bleu, la variante fruitée.

Ce bel objet design incarne la complicité entre deux esprits créatifs. D’un côté, Patrick Guedj, réalisateur, photographe et écrivain ainsi que directeur artistique de Kenzo Parfums dont il conçoit et réalise les campagnes publicitaires. De l’autre, Oki Sato, designer tous azimuts et prolifique, dont le travail figure déjà – alors même que l’homme n’a pas encore 40 ans – dans les collections du MoMA à New York, des Arts décoratifs à Paris ou encore du Victoria & Albert Museum à Londres – pour ne citer que ceux-là.

Nendo – tel est le nom (signifiant ‘pâte à modeler’ en japonais) du studio de création d’Oki Sato, basé à Tokyo – et la maison française Kenzo n’en sont pas à leur première collaboration. En 2008 déjà, ils avaient travaillé ensemble à l’aménagement de points de vente. Un exercice sur lequel revient Oki Sato : ” Il m’a fallu comprendre chaque produit de la marque afin de saisir parfaitement la philosophie Kenzo. A l’époque, j’ai beaucoup discuté avec Patrick Guedj. Cela m’a aidé aussi pour ce projet-ci : je connaissais déjà le contexte et j’avais une idée de ce que l’on attendait de moi. “

Le défi à relever n’était pourtant pas des moindres puisqu’il s’agissait d’attirer et de fédérer les milléniaux.

Le défi à relever n’était pourtant pas des moindres puisqu’il s’agissait d’attirer et de fédérer les milléniaux (millennials en anglais). Soit cette génération dite Y (née entre 1980 et 2000), connectée, nomade, qui, s’inscrivant de plain-pied dans la globalisation actuelle, marie à sa guise les univers masculins et féminins, se joue des frontières et mixe volontiers toutes les influences et tendances. Bref, une cible qui a les allures d’une tribu internationale.

L’exercice, complexe, a séduit d’emblée Oki Sato : ” J’ai été assez surpris – mais très heureux – que Patrick Guedj fasse appel à moi pour ce projet autour de cette génération, où il devait donc être question d’énergie et de couleurs… Habituellement, le style de Nendo est plutôt épuré. Mais Patrick Guedj avait, je crois, la volonté de concilier ces opposés, ce qui faisait de moi un bon candidat. Notre communication et notre collaboration sont très fluides. De plus, Kenzo est une marque française qui a été fondée par un créateur japonais et incarne donc un mélange des deux cultures. Ce à quoi notre collaboration fait écho. “

Un parfum pour les Y

Très étonnamment, l’homme aux centaines de projets – par an ! -, sacré designer de l’année 2015 par le salon Maison & Objet, ne s’était encore jamais plié à l’exercice du flacon de parfum. ” C’est une première. Une aventure d’autant plus passionnante qu’il fallait créer un seul et même flacon pour représenter trois jus. Ma mission consistait à créer un totem, une icône. Il fallait que ce soit graphique et reconnaissable au premier coup d’oeil mais aussi au toucher. L’objet devait représenter le concept dans son entièreté, intégrer plusieurs élément dans une forme totem. J’avais tous ces éléments à l’esprit lorsque je me suis attelé au projet. C’est de leur amalgame qu’est né le flacon. A ma grande surprise, la première maquette que j’ai soumise à Patrick Guedj, à peine quelques semaines après le briefing, est celle qu’il a retenue, affirmant qu’elle répondait à toutes ses attentes. “

Dans la mesure où c’était une première pour moi, mon esprit ne s’est pas laisser brider ou encombrer par les contraintes habituelles.

A l’évidence, Oki Sato a su tirer profit de sa relative ingénuité en la matière. ” Dans la mesure où c’était une première pour moi, mon esprit ne s’est pas laisser brider ou encombrer par les contraintes habituelles. C’est pour cette raison, me semble-t-il, que le flacon ne ressemble à rien de ce qui existait déjà. Cela dit, c’était loin d’être évident du point de vue technique. Concevoir un flacon est une chose, le faire fabriquer en est une autre. ” Et ce, même si l’on a déjà à son actif une belle expérience dans le travail du verre, comme c’est le cas d’Oki Sato qui collabore régulièrement avec Glass Italia et qui a travaillé avec des artisans du verre tchèques à qui il a demandé non pas de souffler mais d’aspirer le verre pour la création de la collection Press Lamp de Lasvit. ” La production est une étape très importante du processus créatif, à laquelle notre studio participe activement. Ici, la difficulté technique était double, portant d’une part sur le matériau, d’autre part sur la couleur. Lorsqu’on regarde le flacon, il apparaît foncé, plutôt bleu, mais lorsqu’on le porte à la lumière, on le découvre violet. Par ailleurs, le fait que le capuchon ne soit pas en verre a rendu la donne plus complexe. Mais après de nombreux essais, nous avons trouvé une solution adéquate à chaque problème. “

Le résultat est donc un flacon qui tient bien dans la main et dont le design découpé – comme taillé – et les inscriptions géométriques évoquent les totems amérindiens. Mais il s’en dégage aussi un côté ludique, non dénué d’humour – très éloigné des créations généralement plus éthérées liées au parfum – et qui incarne parfaitement la mission que s’est donnée Oki Sato, à savoir agrémenter le quotidien en multipliant les effets de surprise. Ces fameux moments ” ! “, comme il aime à les appeler.

TEXTE DELPHINE STEFENS

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