Un entretien avec maître parfumeur Alberto Morillas

Un même amour de la mer et de la lumière. Voilà ce que partagent l’Italien Giorgio Armani et l’Espagnol Alberto Morillas. Maître parfumeur depuis 1988, ce dernier a signé plusieurs grands parfums ces dernières décennies. Dont Acqua di Giò de Giorgio Armani, décliné aujourd’hui dans une version Profumo.

Ma création est mon émotion. Lorsque j’en écris la formule – toujours à la main -, je peux sentir le parfum que je suis en train de composer “. Dixit Alberto Morillas, nez réputé et créateur de parfums tels que ck One de Calvin Klein, Must de Cartier ou Pleasures d’Estée Lauder. ” Autrefois, le parfum devait faire voyager. Il était l’incarnation du luxe et, par son odeur, la forme de son flacon ou la résonance de son nom, offrait une évasion vers un pays lointain. Farah Diba, la dernière épouse du chah d’Iran, porte une fragrance que j’ai créée pour elle et qui lui rappelle son pays, grâce à la fleur d’oranger et au safran qui la composent. Mais un parfum est bien plus qu’une madeleine de Proust, cela va de soi. Aujourd’hui, tout a changé : les gens voyagent plus facilement et le luxe revêt d’autres formes. La création de parfums s’apparente davantage à la quête et au partage d’une émotion, d’un sentiment “.

PARFUM ET POLITIQUE

Elevé à Séville, Alberto Morillas (64 ans) déménage avec ses parents à Genève lors de son adolescence. Plus tard, il y fréquente l’Ecole des Beaux-Arts située près du lac Léman mais comprend très rapidement qu’il ne sera jamais un grand artiste. Il se tourne dès lors vers sa passion d’autrefois, celle qui le faisait s’enthousiasmer pour les senteurs volatiles dans la chaleur de l’Andalousie.” J’ai vécu mes premières émotions olfactives aÌ Séville. J’y habitais une maison qui comptait un patio empli de fleurs, de plantes et surtout d’eau. Et j’imaginais la mer… ” Depuis 1988, Alberto Morillas est maître parfumeur. L’un des plus grands au monde.

Un parfum est bien plus qu’une madeleinde de Proust, cela va de soi.

Est-ce l’odeur de ce patio sévillan qui a été déterminante pour votre vocation?

ALBERTO MORILLAS : ” Le premier parfum qui a éveillé une sensibilité en moi, a été celui que je portais enfant. En Espagne, pour aller à l’école, les enfants étaient coiffés et parfumés à la Cologne, laquelle s’achetait au litre à la pharmacie. Je n’aimais pas l’école, mais j’ai toujours aimé cette odeur de propreté, caractéristique de la Cologne. “

Etaient-ce vos parents qui choisissaient votre Cologne?

” Plutôt celle que je ne mettrais pas… Mon père aimait beaucoup se parfumer. Bien plus que ma mère. Il portait Heno de Pravia qui existe toujours et sent la savonnette. Il en mettait sur son mouchoir. Un jour, j’ai découvert le Varon Dandy, une Cologne qu’il détestait. Très vulgaire, selon lui. En réalité, elle était utilisée par la Guardia Civil et les hommes politiques et il l’associait à l’extrême-droite. Ma mère portait, elle, un parfum français, Femme de Rochas, synonyme pour moi de luxe véritable. Le parfum a toujours été important chez nous. Ainsi, ma mère brûlait toujours de la lavande lorsqu’elle avait terminé de faire le ménage. Moi, j’adorais déjà le jasmin… “

Etonnant pour un enfant!

” Et jeune homme, je fréquentais les parfumeries, ce qui, à l’époque, était plutôt rare pour les garçons de mon âge. J’y ai découvert avec fascination l’Old Spice et ses senteurs de cannelle et d’épices. C’est le premier parfum que j’ai porté de ma propre initiative. Après, je suis passé à l’Eau Sauvage de Dior, à Habit Rouge de Guerlain et Pour un Homme de Caron. J’aimais les parfums, mais j’ignorais que derrière chacun d’eux, il existait un créateur. “

Et jeune homme, je fréquentais les parfumeries, ce qui, à l’époque, était plutôt rare pour les garçons de mon âge.

Comment l’avez-vous appris?

” J’ai lu l’histoire de Jean-Paul Guerlain dans un numéro de Vogue. J’avais 20 ans. Je vivais à Genève et, d’emblée, je suis allé frapper à la porte de Firmenich, une entreprise suisse de création d’arômes pour la parfumerie et l’alimentation. J’ai été refusé parce que je ne possédais pas de doctorat en chimie. Mais un jour, j’ai été appelé pour un petit job dans le département de recherche scientifique et j’ai abouti dans le laboratoire d’un parfumeur – le docteur Säuberli – qui étudiait les essences naturelles et tentait de les reconstituer de manière synthétique. Je me suis mis à travailler sur les parfums, en cachette, car c’était strictement interdit. “

Un entretien avec maître parfumeur Alberto Morillas

Vous partagez avec Giorgio Armani une passion pour la mer. En quoi est-elle intervenue dans la création d’Acqua di Giò?

” Séville est une ville très chaude. Enfant, je rêvais de la mer tout l’été. Parfois nous y allions le week-end. Cela répondait à un désir fou de fraîcheur et d’évasion. Giorgio Armani cultive en plus une vraie passion pour le bateau. Mais c’est très différent : le bateau permet de vivre la mer et non plus seulement de la fantasmer et de la désirer. A l’époque, on n’avait jamais encore travaillé des fraîcheurs abstraites et imaginaires. Acqua di Giò a été une première. Avec à la clé, un succès immédiat qui perdure aujourd’hui. “

Vous connaissez Giorgio Armani depuis longtemps…

” C’est un homme très impressionnant – athlétique, au regard bleu perçant, très rigoureux et respectueux. J’ai toujours aimé ses créations. “

Comment se passe la création d’un parfum pour lui?

” Il évoque toujours la beauté et la simplicité – mais une simplicité qui n’est pas ennuyeuse, qui a une âme, une force. Je rapprocherais cela d’un tableau monochrome : une pureté voulue, structurée. Une collaboration avec lui est à chaque fois une aventure, car il a des références très fortes. Il lui faut une écriture à la fois simple et profonde pour qu’il puisse se l’approprier. Il s’agit de sa marque et de son nom, il est donc très concerné et rien ne sort sans son approbation. “

J’ai réexaminé la formule de l’Acqua di Gio, j’ai analyse chaque élément, si l’on modifie un, tout devient flou.

Vous parliez d’abstraction pour l’Acqua di Giò…

” Il s’agit de mon parfum préféré et je le porte régulièrement. J’ai réexaminé sa formule, j’ai analysé chaque élément : si l’on en ôte un, tout s’écroule ; si l’on en modifie un, tout devient flou. Il y a quelque chose de mystérieux, de magique dans la structure de cette fragrance très émotionnelle. “

Comment avez-vous procédé pour sa création ?

” Très classiquement. Nous avons choisi la meilleure bergamote, la plus belle mandarine. Des essences qui évoquent l’Italie intemporelle – celle de la nature. Et nous les avons associées à des éléments qui en rappellent la fraîcheur, la luminosité : des touches de lavande et de romarin, très méditerranéennes. Mais c’est essentiellement l’iode – une interprétation florale, très mémorisable – qui a révolutionné cette fraîcheur. Une formule simple mais compliquée à réaliser. A l’époque – c’était en 1996 -, la nouveauté venait de cette association de matières nobles et de composants d’une grande technicité. “

Un entretien avec maître parfumeur Alberto Morillas

Actuellement, on décline plus de parfums existants qu’on n’en crée de nouveaux. C’est également le cas pour l’Acqua di Giò : après Essenza en 2012, sort aujourd’hui Profumo.

” Ces déclinaisons désorientent le consommateur qui est, bien entendu, moins averti que le parfumeur. Il se pose beaucoup de questions. Mais donner une autre appellation ou un autre flacon à un parfum coûte très cher. Voilà le noeud du problème. “

Les frontières entre fragrances féminines et masculines ont aujourd’hui tendance à se diluer de plus en plus. Alors qu’il n’y pas si longtemps encore, on imaginait à peine créer un parfum destiné aux hommes.

” Cette distinction relève le plus souvent du marketing. Un parfum masculin placé dans un flacon neutre devient simplement une odeur, un plaisir. Si un parfum correspond à votre peau, vous devez avoir la liberté de le porter. Et ce, même si un service marketing a décrété qu’il ne vous était pas destiné. “

Si un parfum correspond à votre peau, vous devez avoir la liberté de le porter.

Quels conseils donneriez-vous pour porter un parfum ?

” Ne pas en mettre trop. Ce qui n’est pas mon cas – même la nuit. Pour moi, sentir un parfum est aussi important que respirer. Nombre de parfumeurs parviennent à avoir un regard extérieur sur leur création. Je n’en fais pas partie. “

Et quid de la fidélité à une fragrance ?

” Je suis pour. Mais il arrive qu’à la longue, on ne sente plus celle que l’on porte. Il est donc bien, parfois, d’en découvrir d’autres. “

Comment choisir un parfum qui convient ?

” Il est préférable de n’en essayer qu’un à la fois – deux au maximum. Il faut prendre son temps et surtout n’écouter que soi. “

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