Sous le soleil toscan avec une belle voiture Allemande

OEuvre d’un comte allemand expatrié aux Etats-Unis, la 507 fut probablement la plus belle BMW jamais construite. Une allure convenant bien aux petites routes toscanes que Trends Style a sillonnées au départ de Parme.

Nul besoin d’être un expert pour apprécier les lignes de la 507. Mais là où les novices croiront reconnaître l’élégance italienne, les vrais connaisseurs remarqueront la forme ” en rein ” caractéristique de la grille avant qui s’étale sur toute la largeur de la voiture, le long capot, la poupe compacte mais élégante aux ailes légères et galbées… Et tous s’accorderont pour y voir un modèle auquel des roues imposantes, des prises d’air latérales et des proportions harmonieuses confèrent une beauté intemporelle.

Ce qui frappe d’abord lorsqu’on pénètre dans l’habitacle de couleur vert sombre, c’est le parfum de nostalgie qui s’en dégage : tableau de bord aux boutons en plastique ivoire, long levier de vitesses disparaissant presque sous les instruments lorsqu’on passe en 1e ou en 3e et volant très fin – sans doute la différence la plus frappante entre la 507 et les modèles actuels.

75 MILLIONS DE FRANCS BELGES

Mais l’on se sent aussi envahi par un sentiment de responsabilité à l’égard de cette voiture unique dont on s’est vu confier les clés devant le Grand Hotel de la Ville de Parme. Car la BMW 507 n’a été produite (de façon quasi artisanale) qu’à 253 exemplaires. Lors d’une vente aux enchères organisée il y a peu à Amelia Island, l’un d’eux a été acquis pour la somme de 2,42 millions de dollars. Et les connaisseurs prédisent une nouvelle flambée des prix.

C’est donc au volant d’une voiture d’une valeur de quelque 75 millions d’anciens francs belges que l’on quitte Parme. Si les petites routes de campagne de cette belle région d’Italie ne sont pas toujours parfaitement entretenues, leurs côtes et leurs lacets n’en sont pas moins une invitation au plaisir… sans compter que l’on croise régulièrement l’un ou l’autre café où on peut prendre le temps de savourer un espresso – perfetto – et… les compliments des passants.

Après quelques kilomètres, l’on décide de rabattre la capote que la fraîcheur matinale avait contraint de laisser en place. La raison ? Une légère sensation d’enfermement. Dotée du premier moteur V8 de l’après-guerre, la 507 se laisse guider avec une docilité presque surprenante, sauf lors des changements de vitesse auxquels l’interminable levier confère une certaine lenteur… manoeuvre qui, du reste, n’est pas sans provoquer un petit plaisir nostalgique.

Sous le soleil toscan avec une belle voiture Allemande

Pour des raisons évidentes, il a été convenu de ne pas faire de folies avec ce modèle sorti des chambres de trésors munichoises. Même si à sa naissance en 1955 (la même année que la Citroën DS), on pouvait légitimement le considérer comme une voiture de sport, capable, au mieux de sa forme de pointes à plus de 200 km/h. Le classique passage du 0 au 100 prend une bonne dizaine de secondes, ce qui est énorme en comparaison avec les modèles actuels. Mais combinée à la puissance de l’engin et au rugissement du moteur, l’accélération n’est pas sans sel et la maniabilité ne laisse rien à désirer, même si les dimensions du volant sont loin d’être idéales.

TENTER DE RENAÎTRE

La BMW 507 a vu le jour à une époque où la direction de la marque munichoise était animée de sentiments contradictoires. Entre usines détruites ou démantelées au cours du conflit 1940-45, moyens financiers inexistants et pillage par les Soviétiques de tout ce qui pouvait avoir un semblant de valeur, l’immédiat après-guerre ne fut pas une période faste pour BMW qui se retrouva aussi au centre d’un imbroglio juridique, l’Est et l’Ouest revendiquant l’enseigne. Des accords passés avec les autorités d’occupation lui permirent finalement de reprendre la production de motocyclettes, mais aussi d’autres produits tels que des appareils électroménagers.

La BMW 507 a vu le jour à une époque où la direction de la marque munichoise était animée de sentiments contradictoires.

Mais il faudra attendre 1952 pour qu’une nouvelle BMW soit présentée au salon automobile de Francfort : la 501, au design plutôt baroque signé Peter Szymanowski (venu de la firme Horch), et incarnant le rêve de l’entreprise de retrouver sa grandeur d’antan. Une héritière sophistiquée de la mythique et légère 326, dotée du même moteur 2 litres 6 cylindres – si ce n’est que ce dernier avait été légèrement avancé et que la suspension était pourvue, nnn nnn à l’avant, de doubles triangles. Si imposant fût-il, ce modèle ne put tenir tête à son concurrent direct, la Mercedes 220, et il fut très rapidement suivi par un autre – à huit cylindres : la 502. Mais acculés par des coûts de production incontrôlables, les responsables munichois finirent par décider de lancer une petite voiture afin de s’assurer quelques rentrées.

En 1956, BMW acheta la licence permettant de produire le mini concept-car dessiné par le constructeur italien Iso et légèrement adapté par les Allemands. A peine plus qu’un siège à quatre roues doté d’une amusante portière frontale, l’Isetta est une monocylindre 4 temps de 250 cc dont le moteur de 12 chevaux a été initialement conçu pour une moto, la R25. Peu après sortit une version 300, dont le nom réfère au volume accru du cylindre (298 cc). Longue d’à peine 2,35 mètres, elle pouvait atteindre 85 km/h. Ce qui en fait une sorte de précurseur primitif de la Smart (swatchmobile, à l’origine) du groupe Swatch. Malgré une certaine popularité (136.367 exemplaires vendus), l’Isetta ne fut guère rentable, en raison de son prix trop faible. Et son succès ne fut que de courte durée : elle semblait surtout offrir une solution temporaire aux propriétaires de motos qui ne pouvaient pas (encore) se permettre une vraie voiture. Sa production sera interrompue en 1962.

RÉFUGIÉ ALLEMAND

L’importateur américain Max Hoffmann, navré de voir comment BMW, désespérément en quête d’un avenir, oscillait entre deux extrêmes, décida de lui apporter de l’aide. Quelques années plus tôt, il avait rencontré Albrecht von Goertz, un comte allemand ayant fui son pays pour échapper au climat politique. Celui-ci avait créé un atelier de design aux Etats-Unis. Passionné de voitures, il avait même repensé le look de sa propre Mercury. Max Hoffmann était convaincu que, s’il n’avait jamais vraiment percé en tant que designer, consacrant dès lors le plus clair de son temps à de petits travaux, cet homme avait néanmoins du potentiel et la capacité de concevoir une deux-places pour le marché américain.

Le comte Albrecht von Goertz
Le comte Albrecht von Goertz

Né en 1914 dans une famille noble de Brunkensen, en Basse-Saxe, Albrecht von Goertz s’était mis à dessiner des voitures dès l’enfance. Son père préférant le voir évoluer dans le monde de la finance, il travailla quelque temps pour la Deutsche Bank à Francfort puis pour la banque privée Helbert Wagg & Company à Londres. Une carrière qui ne l’enthousiasmait guère, pas plus que le climat politique allemand de l’époque – d’autant que sa mère était juive.

Comprenant qu’il n’aurait jamais l’occasion de développer ses talents créatifs dans son propre pays, il s’embarqua en 1935 pour les Etats-Unis et y créa un atelier où il s’employa à transformer la carrosserie de divers modèles Ford. Conçue à partir du châssis de la Ford Mercury, sa Paragon – toit fuyant et roues arrière presque entièrement dissimulées par la carrosserie – est généralement considérée comme son premier fait d’armes. Présentée à l’exposition universelle de 1939 à San Francisco, elle y rencontra même un certain succès.

VOITURES ET INSTRUMENTS DE MUSIQUE

Mais l’avenir du jeune comte se joua sur un coup de hasard : un jour qu’il venait de garer sa Paragon devant le Waldorf-Astoria à New York, il lia conversation avec le propriétaire d’une Lincoln Continental à l’aspect tout aussi étonnant : Raymond Loewy, célèbre designer d’origine française. Celui-ci va assurer au comte une bourse pour le Pratt Institute à Brooklyn avant de l’engager en tant que Junior Designer au sein du département développement de Studebaker.

Après deux ans, Raymond Loewy parvint à la conclusion qu’il s’était trompé : von Goertz n’était pas le designer escompté. Celui-ci ne se laissa pas démonter pour autant : en 1953, il créa à New York sa propre entreprise, Goertz Industrial Design Inc. Il y conçut en première instance des instruments de musique- des harmonicas, des accordéons mais aussi un piano à queue pour Steinway.

Sous le soleil toscan avec une belle voiture Allemande

La rencontre avec Max Hoffman se transforma en une amitié solide et fructueuse. L’importateur de BMW était depuis longtemps fan de la marque munichoise. Lors de son premier voyage en Europe, en 1954, il avait d’emblée commandé 30 exemplaires de la 502 berline dotée du nouveau moteur 8 cylindres en alliage léger – le premier du genre. Mais il estimait que la marque devait se montrer plus ambitieuse et qu’une deux sièges décapotable serait le modèle parfait pour donner la réplique aux Mercedes 190 et 300 SL.

Il dessina lui-même une première esquisse qu’il transmit à von Goertz, lequel se chargea en quelques jours d’imaginer le concept des futures BMW 507 et 503. L’importateur expédia les dessins à Munich et, peu après, il lui fut envoyé à New York une maquette à l’échelle 1 : 5. Si Max Hoffmann n’était pas totalement convaincu, ses doutes se dissipèrent lorsque la 507 fut présentée au salon de l’automobile 1955. En dépit de son prix, ce séduisant modèle sportif connut un succès immédiat auprès des amateurs du genre et permit à BMW de renouer avec sa réputation de qualité et de sportivité.

EN CADEAU À JOHN SURTEES

Sous le soleil toscan, la belle Allemande à l’élégance transalpine poursuit sa route. La maîtrise au volant n’a fait que croître au fil des kilomètres, la rendant de plus en plus prévisible. Elle se laisse mener docilement dans les virages sans perdre en précision et en n’ayant que très peu tendance à chasser. Partout, elle continue d’attirer les regards – les Italiens connaissent leurs classiques, même lorsqu’ils ne les ont pas conçus eux-mêmes.

La dernière 507 sortit des ateliers quatre ans après le lancement du modèle, lequel ne fut donc fabriqué qu’à 253 exemplaires – contre 412, pour la 503, sa petite soeur

En dépit de ses qualités, la BMW 507 n’eut qu’une courte vie en raison de son prix élevé (25.000 DM de l’époque). Max Hoffmann, qui avait espéré en vendre 2.000 exemplaires, vit avec regret les Corvette et les Thunderbird conquérir le marché américain. En toute logique : elles coûtaient deux fois moins cher pour des performances comparables. Les Allemands étaient toutefois décidés à persister dans leur vision de la qualité, quitte à enregistrer des pertes sur chaque exemplaire – une position courageuse qui devra être abandonnée en raison de la situation financière de l’entreprise. La dernière 507 sortit des ateliers quatre ans après le lancement du modèle, lequel ne fut donc fabriqué qu’à 253 exemplaires – contre 412, pour la 503, sa ” petite soeur “.

Dommage pour cette voiture qui ne manquait pourtant pas de qualités. Le pilote automobile allemand Hans Stuck Senior l’utilisa pour quelques épreuves en montagne, battant sans difficulté des Ferrari, Jaguar et Mercedes 300 SLS. Et c’est à bord d’une BMW 507 que le prince Albert de Belgique alla accueillir sa jeune fiancée Paola à l’aéroport.

Sous le soleil toscan avec une belle voiture Allemande

Mais il s’agissait aussi d’une vraie sportive. Elle a séduit, dès le premier tour d’essai, le légendaire pilote britannique John Surtees qui, à l’époque, n’avait pas les moyens de se l’offrir… Lorsqu’il remporta, en 1956, le titre de champion du monde de moto dans la catégorie des 500cc au guidon d’une MV Agusta, et que le comte Agusta décida de lui faire une faveur – son compagnon d’équipe Ubbiali (champion en 125 cc) gagnant plus que lui -, il réclama d’emblée une BMW 507. John Surtees a, du reste, entretenu d’excellents rapports avec le constructeur allemand, qui l’aurait volontiers vu courir avec l’une de ses motos. Il prit possession de sa 507 en 1957 et lui apporta d’emblée quelques modifications afin de disposer de 170 ch au lieu des 150 ch de la version standard, mettant aussi cette intervention à profit pour réaliser quelques travaux de développement pour BMW. A ce jour, cet homme (81 ans depuis février dernier), qui fut le seul pilote à avoir été champion du monde tant de moto que de Formule 1, semble ne s’en être jamais séparé.

Texte: Pierre Darge

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