Monkey 47, le gin de la Forêt Noire

Alexander Stein (links) en Christoph Keller van Monkey 47 voor het beeldje van Max, de aap.

Monkey 47, Schwarzwald Dry Gin. Des singes sauvages sautant bruyamment dans les sapins sombres de la Forêt Noire ? Et pourquoi pas des Allemands distillateurs de gin – alcool fondamentalement british ? Basil Fawlty et Winston Churchill doivent assurément se retourner dans leur tombe.

Monkey 47 est l’enfant spirituel/ux de deux personnalités qu’à première vue, tout oppose : Alexander Stein, autrefois directeur chez Nokia, et Christoph Keller, ex-éditeur de livres d’art haut de gamme. Si le premier arbore un look plutôt sage – coiffé, chemise rentrée dans le pantalon -, le second affiche une allure plus sauvage – barbe non taillée, salopette, bottes Wellington. Ce duo improbable a donné à l’actuelle folie du gin un coup d’accélérateur inédit depuis l’arrivée sur le marché du gin Bombay dans une bouteille bleue, et l’association gin et concombre initiée par la marque Hendrick’s. Sa tactique ? Laisser la bouteille et la garniture de côté et se concentrer sur le produit. A l’appui de son seul goût et d’un budget marketing minimal, Monkey 47 a su s’imposer dans les bars à cocktails de qualité. Une prouesse qu’aucun des nouveaux gins – et ils sont environ 200 à investir le marché chaque mois – ne peut égaler. Parce qu’ils sont en retard d’une guerre et que leur goût ne peut rivaliser avec la saveur unique de l’artisanal Monkey 47 Schwarzwald Dry Gin.

ZUM WILDEN AFFEN

Le Stählemühle (” moulin d’acier “) qui abrite la distillerie Monkey 47 est situé au coeur de la campagne vallonnée du sud de l’Allemagne. Y souffle le föhn, un vent chaud qui balaye brumes et brouillards, permettant ainsi d’apercevoir les sommets enneigés des Alpes suisses. C’est ici, loin des bruits du monde moderne, que le duo peut consacrer toute son attention à l’ingénieux dosage des 47 fruits et aromates qui constituent le Monkey 47. Le matin, dès sept heures, son équipe entame l’assemblage des ” partyboxes “, grandes boîtes en plastique dans lesquelles sont réunis tous les ingrédients végétaux, soigneusement pesés. Leur contenu est ensuite versé dans des tonneaux bleus emplis d’alcool neutre tiré de la mélasse, soit ce qu’il reste de la canne à sucre après que le jus en a été extrait. Les composants botaniques y infusent alors durant 36 heures, ce qui permet à l’alcool de s’imbiber de leur saveur et de leurs arômes. Après quoi, Christoph Keller distille le liquide macéré dans une installation de haute technologie, fabriquée sur mesure, qui permet de produire l’alcool le plus pur qui soit. Lequel est ensuite filtré avant de reposer durant trois mois dans des récipients en terre cuite.

Alexander Stein : ” Pourquoi 47 ingrédients végétaux ? Parce que Monkey 47 sonne mieux que Monkey 48. (rires). Christoph et moi avons passé deux ans à développer la recette, et cela a souvent donné lieu à des discussions épiques. Mais nous avons toujours suivi notre intuition. ” C’est en 2008, après avoir lu un article dans la presse, qu’Alexander Klein a pris contact avec Christoph Keller qui, en très peu de temps, s’était taillé une belle réputation de distillateur d’alcools fruités.

De bontgekleurde mix van botanicals.
De bontgekleurde mix van botanicals.

La recette du Monkey remonte aux années 1950. On la doit à Montgomery Collins, fils d’un diplomate britannique, qui grandit en Inde et deviendrait plus tard Wing Commander à la Royal Air Force. Après la Seconde Guerre mondiale, il participa à la reconstruction de Berlin, en particulier du zoo. Il y adopta un petit singe, Max. Puis il partit s’installer dans la Forêt Noire où il ouvrit une auberge qu’il baptisa “Zum Wilden Affen” – “Aux singes sauvages” – en l’honneur de Max. La Forêt Noire recelant nombre d’herbes aromatiques et de fruits, il décida de distiller du gin, un peu par nostalgie de son pays d’origine. Quelques décennies plus tard, lors de la rénovation de l’auberge, la recette fut retrouvée et finit par échouer entre les mains d’Alexander Stein.

LAVANDE AU NEZ, POIVRE EN BOUCHE

” Cela se limitait à quelques vagues indications. Nous avons conservé les principaux ingrédients de ce Schwarzwald- gin d’origine mais il nous a fallu repartir de zéro. “

Christoph Keller :” On peut comparer la fabrication d’un gin artisanal à la composition d’un parfum. Il y est aussi question de notes dures, douces, de fond, intermédiaires, finales… Notre souhait était de fabriquer un gin rafraîchissant. Le citron devait donc être l’une des notes principales. Nous y avons ajouté les baies de genévrier parce que la loi l’impose, et quelques notes florales – dont la lavande. Nécessaires au nez, elles rendent un gin intéressant. Et, en guise de note dure – comme dans tout bon gin -, du poivre. Soit la saveur que l’on a en bouche lorsqu’on le boit. C’est le but : au nez, on perçoit la lavande, en bouche le poivre. ” Après nombre de tests réalisés avec quelque 120 composants végétaux différents, Christoph Keller finit par présenter le prototype du Monkey 47 à Alexander Stein : un gin au goût fort, poivré et épicé, soutenu par des notes fruitées subtiles. Lorsqu’il fut lancé en 2010, il fut accueilli tièdement par les barmen allemands. Et ce, bien qu’ils aient été impliqués dans son développement. Mais, liés contractuellement à de grands groupes, ils restaient rivés aux gins habituels. Alexander Stein : ” Nous étions très déçus. Mais, un an plus tard, le vent a tourné. Le Monkey 47 a été de plus en plus demandé par les gens qui l’avaient découvert et goûté la différence. “

DE L’ALCOOL AU COUVENT

Christoph Keller n’hésite pas à démonter certains mythes. ” J’ai eu un jour une discussion avec un célèbre barman allemand affirmant que le gin devait goûter les baies de genévrier et rien d’autre – la plus grande idiotie qu’il m’ait été donné d’entendre. Si l’on veut déguster la saveur des baies de genévrier, il y a suffisamment de distillats, ici, dans le sud de l’Allemagne. “

Monkey 47, le gin de la Forêt Noire

Alexander Stein : ” Christoph était tellement choqué qu’il a sermonné le type durant trois heures. Malheureusement, ce barman siège dans de nombreux jurys et, depuis, le Monkey 47 ne remporte plus aucun concours. Etrange, non ?”

C.K. : ” En Allemagne, existe la tradition du Steinhäger, un alcool de baies de genévrier conditionné dans des bouteilles en grès. Certaines distilleries en produisent depuis des siècles. “

A.S. : ” Du genièvre, donc. “

C.K. : ” Non, ce n’en est pas. Le genièvre est plus complexe. En réalité, “le” gin n’existe pas. Il s’agit d’un concept dynamique, d’une boisson en perpétuelle mutation. Les producteurs ont toujours modifié leurs recettes. Aucune d’elle n’est écrite, ce qui n’est pas le cas pour l’absinthe, par exemple. Le gin est l’un des plus anciens spiritueux qui soit. Des alchimistes venus de Perse ont amené leurs alambics dans les couvents de nos contrées en passant par la Sicile et l’Espagne. Ils n’ont jamais eu l’intention de fabriquer de l’alcool. L’alcool est un phénomène moderne. Ces premiers distillateurs étaient en quête de l’aqua vita, l'”eau de vie”, qui permettrait de vivre plus longtemps. Ils cherchaient à fabriquer une potion magique. “

A.S. : ” Et nous l’avons fait ! ” (rires)

C.K. : ” Ils distillaient sans refroidissement à l’eau. Le résultat était un alcool n’ayant pas très bon goût, plein de têtes et de queues, d’huiles lourdes et à faible degré d’alcool. Il fallait un adjuvant pour lui donner du goût et pouvoir le boire sans avoir la nausée. A l’époque, les gens croyaient aux éléments : l’eau, la terre, le feu… Quel était le quatrième ?”

A.S. : ” L’air. Relativement essentiel… “

C.K. : ” Exact – je n’arrive jamais à me rappeler les quatre à la fois. Les alchimistes jouaient avec ces éléments et les gens croyaient à leur pouvoir de guérison – ainsi, la brûlure causée par les orties était atténuée par l’eau. D’où l’émergence d’un liquide réunissant deux éléments : l’Aqua ardens, l’eau ardente, qui avait l’aspect de l’eau mais était brûlante comme le feu. Ce fut une découverte d’importance. Pour lui donner du goût, les gens utilisaient des baies de genévrier : il n’en fallait qu’une poignée pour aromatiser cent litres d’alcool. C’était facile. Voilà pour le 13e siècle. Mais au 16e siècle, des alchimistes rusés se sont mis à promouvoir l’alcool aux baies de genévrier comme remède contre les maladies – ils savaient que cela aurait du succès, les gens ayant déjà éprouvé la sensation agréable de l’alcool. Il s’agissait d’un alcool de grains aromatisé au moyen de baies de genévrier, d’une ancienne version de la coriandre et de différents types de poivre. Soit le vrai genièvre, qui a remporté un grand succès dans la région Benelux. “

LE COURAGE HOLLANDAIS

Au 17e siècle, durant la guerre de Trente Ans qui opposa notamment la Grande-Bretagne à la République des Pays-Bas, les marins hollandais avaient forcé l’admiration des Britanniques en se défendant comme des diables alors qu’ils comptaient moins de bateaux et d’hommes. Christoph Keller : ” Très vite, une rumeur a circulé : ils disposaient d’une potion magique qui leur donnait ce fameux ” courage hollandais “. C’était du genièvre. Après la guerre, Guillaume d’Orange est arrivé au pouvoir en Grande-Bretagne et y a lancé la production de genièvre. Le nom de “jenever” (genièvre) a alors été abrégé en “gin”. ” A Londres, il est devenu une boisson extrêmement populaire. L’eau de la Tamise étant insalubre, les gens préféraient boire de l’alcool. L’Angleterre a alors connu un véritable gin craze – les récoltes de blé servaient davantage à la production d’alcool que de pain.

” William Hogarth a représenté les effets dévastateurs de la ” folie du gin ” dans son célèbre tableau Gin Lane. Plus tard, via ses colonies dans le Commonwealth, la Grande-Bretagne importerait des épices exotiques qui serviraient à l’aromatiser. Ce fut le premier grand changement : basée sur le blé, la saveur s’est épicée. Une nouvelle étape a ensuite été franchie avec le gin-tonic. La quinine, substance extraite de l’écorce du quinquina – arbre sud-américain – a été le premier remède contre la malaria. La Grande-Bretagne, qui souhaitait protéger ses soldats contre cette maladie, cherchait une manière de leur en administrer. Très amère, la quinine était mélangée à des écorces d’oranges fermentées et à du sucre, sous forme de sirop liquide. Préférant une boisson plus forte, les soldats y ajoutaient du gin. “

Monkey 47, le gin de la Forêt Noire

Le gin-tonic était né et il est rapidement devenu le cocktail le plus populaire au monde. ” Ce fut donc une nouvelle transformation : mélangé à de la limonade, le gin se révélait plus rafraîchissant. Aux 19e et 20e siècles, il fut le principal distillat de base des cocktails. La vodka n’était pas encore connue, mais après son apparition dans les bars américains, à New York et à San Francisco, elle y supplanta progressivement le gin – très encouragée par James Bond qui, dans l’ensemble des films de la série, commande des vodkas-martini… ” A.S. : ” Avec, à chaque fois, une bouteille de Smirnoff à l’arrière-plan. “

C.K. : ” L’impact a été plus important qu’on ne l’imagine. La consommation du gin, considéré comme une boisson industrielle bon marché, a décliné fortement au fil du 20e siècle. Lorsque, dans les années 1990, Bombay l’a proposé dans des bouteilles bleues, le gin a commencé à remonter la pente. Et il a retrouvé toute sa popularité vers l’an 2000, lorsque Hendrick’s l’a associé au concombre. “

A.S. : ” Il faut reconnaître que c’était bien vu. “

C.K. : ” En Allemagne, on en est au point où les gens demandent un morceau de concombre dans leur gin-tonic. Sans quoi, pensent-ils, ce n’en est pas vraiment un. (rires) Le concombre n’a rien à voir avec le gin-tonic. La vogue actuelle consiste à ajouter un potager dans son verre, alors que cette garniture est superflue. “

A.S. : ” Qu’importe, si le résultat est joli. Et laissons le vrai gin-tonic aux connaisseurs. “

L’exposé s’achève par la dégustation d’un savoureux Monkey-tonic servi dans des gobelets en terre cuite griffés Monkey 47 de conception maison. Son goût est tel que Christoph Keller l’a décrit : floral au nez, poivré en bouche et rehaussé de subtiles notes d’airelle et d’orange. Le chat de la maison passe nonchalamment. Et du champ jouxtant le Stählemühle, provient le cri d’un des lamas de Christoph Keller… A moins que le bruit ne vienne de la canopée de la Forêt Noire ?

Texte: Dieter Moeyaert

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