Le rosé revient de loin

Laurent Perrier © PG

Longtemps considéré comme un sous-vin, le rosé est en passe de redorer son blason auprès des connaisseurs. Le champagne ne fait pas exception. Anatomie d’un breuvage noble expliquée dans l’intimité des caves de Laurent-Perrier, label pionnier en la matière.

Alors qu’il figurait plutôt au purgatoire des dégustations, le vin rosé rencontre actuellement un succès croissant. En version tranquille ou effervescente. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Traité tour à tour d’ersatz, de vin ” non fini “, ou encore de jus sans terroir, le rosé revient de loin. Ce retour en grâce, on le doit, entre autres, à une poignée de visionnaires qui, très tôt, ont perçu son potentiel.

Parmi ceux-ci, Bernard de Nonancourt, l’homme qui a repris les rênes de Laurent-Perrier au sortir de la guerre. Pour mieux comprendre ce qui a amené cette personnalité hors-norme disparue en octobre 2010 à valoriser le vin rosé quand tout le monde s’en détournait, il faut s’adresser à Michel Fauconnet (60 ans), chef de cave du domaine Laurent-Perrier à Tours-sur-Marne. Chez Laurent-Perrier, le chef de cave fait figure de dieu sur terre. A preuve, Michel Fauconnet n’est que le troisième à occuper ce poste depuis… 1949. Entré chez Laurent-Perrier en 1973, il s’apparente à une sorte de gardien du temple en charge de perpétuer l’esprit insufflé par Bernard de Nonancourt.

Michel Fauconnet
Michel Fauconnet

Si cet homme au profil terrien préfère l’intimité des caves au devant de la scène, il se prête de bonne grâce au jeu des questions-réponses sur la Cuvée Rosé et ses origines. ” Bernard de Nonancourt avait cette particularité d’admirer ce que les autres faisaient… tout en prenant un malin plaisir à faire exactement le contraire, son credo étant de tracer sa propre voie. Cela étant, il s’appuyait toujours sur une réalité de terrain. Quand il a lancé l’Ultra Brut, un champagne “zéro dosage” c’est-à-dire sans ajout de sucre, il l’a fait parce que 1976 avait été une année offrant une structure unique et une acidité très basse. Son intérêt pour le rosé remonte plus loin encore – à 1968. A l’époque, le rosé existait bel et bien en Champagne, mais il n’était pas mis en évidence. Bernard de Nonancourt s’est dit qu’il y avait une piste à creuser et, là encore, il n’a pas voulu faire comme tout le monde, c’est-à-dire un rosé d’assemblage mêlant du vin blanc clair – avant prise de mousse – et 5 à 20 % de vin rouge. “

” Non, il a préféré se diriger d’emblée vers un rosé de macération. Soit un vin obtenu en laissant macérer les moûts, c’est-à-dire le jus et les peaux de raisin. Le principe est alors le suivant : les pigments naturels contenus dans la peau des grains de raisin noir colorent les jus en les enrichissant de leurs composants aromatiques. ” Un pari ambitieux mais qui réussira, s’appuyant sur une matière première de haute qualité, issue des vins tranquilles classés à l’époque en Coteaux Champenois. ” L’idée a consisté à considérer cette matière première pour elle-même. Soit à faire en sorte d’amener le pinot noir à maturité et à en concevoir un champagne à part entière sans recourir à quelque mélange que ce soit. “

Cette démarche, novatrice pour l’époque et révolutionnaire pour la Champagne, seule région à pouvoir, aujourd’hui encore,mélanger du blanc et du rouge pour obtenir du rosé -, sacre une vision noble nnn nnn du champagne rosé. Mais une vision qui requiert beaucoup de précautions. En amont, les vendanges s’apparentent à de l’orfèvrerie dans la mesure où chaque grappe de raisin est soumise à l’éraflage et chaque grain traité avec un soin infini. En aval, une même attention est de mise : les différentes parcelles macèrent séparément, ce qui représente une logistique conséquente.

Le rosé revient de loin

La macération dure entre 48 et 72 heu-res. Le moment crucial qui en signifie le terme est celui de l’écoulage. Pour le déterminer, le chef de cave doit sans cesse “tester” olfactivement ses cuves – au moins toutes les 6 heures. A l’instant “T”, il prend la décision de séparer le jus des peaux. Pour une maison telle que la nôtre qui mise sur la fraîcheur et le caractère aromatique, il s’agit d’une opération déterminante qui a un impact important sur le vin final. “

Autre caractéristique notoire de la Cuvée Rosé de Laurent-Perrier : le vin subit une deuxième fermentation. Après la transformation des sucres en alcool sous l’effet des levures – ce qui est appelé ” fermentation alcoolique ” -, le rosé est soumis à une fermentation malo-lactique. Cette transformation, rare dans les années 1960 mais aujourd’hui très commune, provoque la désacidification du vin.

” Ce choix va dans le sens de l’approche de Bernard de Nonancourt qui voulait des vins souples, juteux, faciles à boire et dont la fraîcheur ne se confond pas avec l’acidité.

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