La collaboration entre Tommy Hilfiger et Rafael Nadal

Uit de lente/zomer-collectie van Tommy Hilfiger. © GF

Qui ne connaît pas le styliste américain au sourire éclatant dont le label se vend aujourd’hui dans 115 pays différents ? Rencontre exclusive avec Tommy Hilfiger pour évoquer la nouvelle masculinité, Andy Warhol et le bonheur de vivre.

Londres, dimanche 10 janvier 2016. Quelques heures avant l’annonce fracassante du décès de David Bowie, Trends Style a rendez-vous au 67 Brompton Road, non loin de Harrods et du Musée Victoria & Albert. C’est là que se trouve le show-room de Tommy Hilfiger. Si la rue est encore déserte à cette heure matinale, au premier étage de l’immeuble règne déjà une animation joyeuse. Deux mannequins masculins s’apprêtent, tirés à quatre épingles. Ils portent des tenues de la nouvelle collection THFlex Rafael Nadal, une édition particulière de costumes et de chemises, et attendent la venue de Tommy Hilfiger.

C’est très décontracté que l’homme dont le nom est une marque, arrive accompagné de son assistant. A près de 65 ans, il semble parfaitement conservé et affiche une grande forme ainsi qu’un ton enjoué. ” Nous sommes en pleine Fashion Week londonienne pour les hommes, mais nous n’organisons pas de défilé ici. Je ne reste que 24 heures pour donner quelques interviews à la presse européenne. “

Lorsqu’on aime la vie, il est beaucoup plus facile de conserver la forme.

Interrogé sur le secret de sa jeunesse éternelle, il a cette réponse : ” Je fais du sport, j’essaye de manger sainement et mes enfants me gardent jeune. Lorsqu’on aime la vie, il est beaucoup plus facile de conserver la forme. “

Tommy Hilfiger ou l’éternelle jeunesse ? Petit retour en arrière. Elmira est une petite ville paisible de l’Etat de New York, à la frontière avec la Pennsylvanie. C’est là que Tommy Hilfiger a vu le jour – le 24 mars 1951 – et a grandi dans une famille de neuf enfants. Très jeune, il est contraint de travailler pour avoir de l’argent de poche – un ethos de travail précoce qui portera ses fruits. A 18 ans, il préfère lancer sa propre entreprise que de poursuivre des études. Comme il vise essentiellement un travail dans le secteur de la mode, il conçoit avec quelques amis l’idée d’exporter le style décontracté new-yorkais à Elmira, et y ouvre, en 1971, avec la modique somme de 150 dollars en poche, sa première enseigne, People’s Place. ” Je ne savais pas vraiment ce que je faisais, mais j’ai découvert sur le tas comment fonctionnait un business. ” En dépit d’un départ fulgurant, People’s Place fera faillite quelques années plus tard. Une mésaventure que Tommy Hilfiger considère comme une leçon de vie, réalisant par-là même que l’aspect créatif n’est pas tout et qu’il faut aussi se soucier du volet commercial. ” Les gens créatifs qui ne se préoccupent pas du reste n’arrivent nulle part. Je devais me familiariser avec ce business tout en restant le plus créatif possible. Il y a eu des moments où je me suis trop occupé de l’un ou de l’autre de ces deux aspects, mais j’ai finalement trouvé le bon équilibre entre les deux. Et je me suis entouré tant de talents créatifs que d’excellents partenaires en affaires. “

Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.
Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.© GF

En 1979, Tommy Hilfiger tente sa chance à New York. Il acquiert de l’expérience dans quelques grandes maisons de mode et se fait remarquer par Mohan Murjani. Ce magnat du textile se montre désireux de lancer un nouveau label masculin et estime que Tommy Hilfiger présente le profil idéal pour réaliser un tel lancement de manière originale. En 1985, Tommy Hilfiger propose donc sa première collection – une série de classiques intemporels mais avec un brin d’originalité. The Classic American Cool, ainsi qu’il la qualifiera souvent dans la presse, doit être diffusée le plus rapidement possible parmi le grand public.

Encore inconnu à l’époque, le styliste s’adresse à George Lois, un marketeer de génie qui doit surtout sa réputation à la création de couvertures pour le magazine Esquire. La campagne de lancement, qui implique un gigantesque panneau publicitaire sur Times Square, fait mouche d’emblée. George Lois conçoit pour Tommy Hilfiger une campagne basée sur le jeu du petit bonhomme pendu, extrêmement populaire aux Etats-Unis à l’époque. Ligne de base ? ” The four great American designers for men are C___ K___, P___ E___, R___ L___ and T____H____. “ Le public américain sait aussitôt à qui réfèrent les trois premiers : Calvin Klein, Perry Ellis et Ralph Lauren. Mais… who the hell is T. H.? La mention d’un nom inconnu à côté de celui des trois stylistes américains les plus réputés se révèle être un coup de maître. Tommy Hilfiger accède à la célébrité du jour au lendemain et devient l’une des plus grandes marques au monde.

Si l’on ne se différencie pas, on ne donne aucune raison à la clientèle de venir acheter ce que l’on propose.

” Il faut tendre vers une certaine unicité sur le plan de la publicité, du marketing et de la gestion “, explique-t-il aujourd’hui en évoquant sa percée en 1985. ” Il s’agit d’un marché très concurrentiel où les autres marques sont légion. A moins de proposer quelque chose d’inhabituel, on ne peut que ressembler aux autres. Si l’on ne se différencie pas, on ne donne aucune raison à la clientèle de venir acheter ce que l’on propose. L’image que l’on donne se doit d’être unique et il doit exister un mouvement permanent à propos de ce que l’on fait. “

LE STRIP-TEASE DE NADAL

Alimenter un buzz constant autour d’une marque ne se fait pas par de petites interventions. Et donc, en 2015, une fois de plus, Tommy Hilfiger n’y est pas allé par quatre chemins, en lançant une très coûteuse campagne mondiale de sous-vêtements ayant pour acteur principal le champion de tennis Rafael Nadal. ” You have to spend money to make money “, affirme Tommy Hilfiger. Et de fait, les chiffres sont éloquents : en 2014, l’entreprise a dépensé au niveau mondial 150 millions de dollars en frais de marketing. Si le coût exact de la campagne Nadal n’est pas connu, il est clair qu’elle a fait de l’effet. La présentation de la star du tennis comme nouvel ambassadeur de la marque a généré plus de 500 millions de réactions sur les médias sociaux – Instagram, Twitter… Et le spot publicitaire, dans lequel il simule un strip-tease en caleçon sexy, faisant durer le suspense et s’arrêtant juste avant l’instant crucial, a été l’une des dix vidéos les plus visionnées sur YouTube en août 2015.

Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.
Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.© GF

Tommy Hilfiger : ” Cette campagne a été superbe – dans le monde entier. Mais il faut investir beaucoup et faire tout à la perfection. Car il n’est pas possible de gruger le public. Les gens savent quels éléments jouent sur le marché. En matière de qualité aussi, nous travaillons avec des usines répondant à certaines normes – et donc jamais avec celles suspectées de faire travailler des enfants. L’étiquette dont sont pourvus nos vêtements ne ment pas. Si les règles ne sont pas suivies par tous, pour nous, il est important d’être honnête et sincère dans tout ce que l’on fait. Le travail caritatif est un autre élément important de notre ADN. Nous soutenons de nombreuses causes et, là aussi, nous faisons la différence. “

Mais Tommy Hilfiger a-t-il bien conscience qu’il a fait du dieu espagnol des courts une icône de la mode ? ” Absolument. Je sais ce que je fais, et Rafael Nadal le sait aussi. Nombre de vedettes sportives pensent à l’avenir et se demandent ce qu’ils feront après leur carrière. Le monde de la mode représente pour eux une belle opportunité. Que l’on songe à Michael Jordan et à David Beckham. Lorsque j’ai proposé cette campagne à Rafael Nadal, il a trouvé l’idée fantastique et a accepté d’emblée, se préoccupant, lui aussi, de sa vie après le tennis. Cette initiative lui fournit une belle plate-forme et un puissant boost. “

De nombreux jeunes aiment assister à des rencontres sportives ou sont désireux de ressembler à leurs héros sportifs. Cela a trait au fait de se sentir bien et de prendre soin de soi.

Après sa prestation de strip-teaseur, le tennisman signe ce printemps un nouveau tour de force. Dans une campagne amusante, il présente Tailored, une collection de costumes et de chemises infroissables, tout en jouant au tennis. Tommy Hilfiger : ” Le sport occupe une place importante dans notre société. De nombreux jeunes aiment assister à des rencontres sportives ou sont désireux de ressembler à leurs héros sportifs. Cela a trait au fait de se sentir bien et de prendre soin de soi. Le sport n’a rien de nouveau, mais sa popularité ne cesse d’augmenter. Tout le monde aime les vêtements sportifs. Survêtements, pantalons de jogging, sneakers : chacun en porte aujourd’hui. Mais nous avons développé aussi des costumes d’allure sportive – grâce à leur tissu stretch high-tech, flexible, qui, quoi que l’on fasse – voyager en avion, en train, en voiture ou en bus – donnent toujours l’impression d’être habillé de neuf. ”

L’ANDY WARHOL DE LA MODE

Sur la masculinité en 2016, Tommy Hilfiger semble avoir un avis nuancé et d’avant-garde. ” J’ai déjà vu nombre de looks différents. Des hommes à l’allure très rude – à Brooklyn, par exemple, on ne rencontre presque aucun homme rasé. Ils portent des chemises de bûcheron et des bottes de travail. C’est très différent à Los Angeles. Les hommes n’y sont pas rasés non plus, mais leur look est totalement casual et inclut des tongs. Et les défilés y sont très colorés, présentant des coupes féminines et de nombreux motifs. De manière générale, la mode suit un mouvement cyclique. Dans les années 1970, on a assisté à l’émergence du glam rock, avec plusieurs groupes androgynes et David Bowie comme figure de proue. Selon l’actualité, les hommes évoluent de façon cyclique, passant de la virilité à la féminité. Les articles actuels que nous proposons peuvent être portés par des hommes féminins mais incluent aussi des pièces robustes et viriles. Nous couvrons le spectre entier. Avec plus de 1.400 magasins, nous sommes présents dans une majorité de pays. C’est dire la diversité que nous avons à couvrir. Nous devons donc proposer une collection qui puisse séduire tout le monde, tous climats et tranches d’âge confondus, tout en restant fidèles en permanence à l’ADN de Tommy Hilfiger. “

Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.
Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.© GF

Un designer qui reproduit son ADN durant 30 ans, tant sur le plan commercial qu’artistique, cela ne rappelle-t-il pas quelqu’un ? Tommy Hilfiger pourrait-il être qualifié d’Andy Warhol de la mode ? ” Me comparer à lui est un compliment. J’éprouvais beaucoup d’admiration à son égard. Je l’ai rencontré lorsque je me suis installé à New York. Il m’a emmené dans sa Factory et m’a montré ses oeuvres. Je ne pouvais me permettre aucune d’elles, mais il m’en a proposé certaines à des prix ridicules. Il était littéralement en train de fabriquer la culture pop. Il a créé Fame – Fashion, Art, Music & Entertainment – avec un grand sens de l’humour, et beaucoup de plaisir et de couleurs. Il a été pour moi une source d’inspiration. Je voulais faire passer son message, croyant réellement que la culture pop allait conquérir le monde. Il était très timide, réservé, mais obsédé par la mode, par la célébrité. Il aimait brosser des portraits – Mohamed Ali, Elizabeth Taylor, Marilyn Monroe, Sylvester Stallone… – et était captivé par tout ce qui se passait à New York – le Studio 54, le Velvet Underground… Il était fou de musique. Rien ne pouvait l’arrêter. Je lui ai un jour demandé pourquoi il faisait tout cela. Il m’a répondu : ‘Parce que j’aime ça.’ Il était un vrai génie. “

LE VOISIN DE MICK JAGGER

Pour Tommy Hilfiger, la dernière décennie a été très importante sur le plan des affaires. En 2010, la Phillips-Van Heusen Corporation (PVH), l’une des plus grandes sociétés d’habillement, a racheté la Tommy Hilfiger Corporation. Dans cette construction, Tommy Hilfiger reste le styliste officiel de son label. ” Pour moi, il était très important de nous embarquer avec une équipe très professionnelle capable de bien assurer le suivi commercial de l’entreprise. Pas question pour moi d’être Armani, Versace ou Dolce & Gabbana. Seule la véritable identité de ma marque m’intéresse. “

Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.
Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.© GF

Une particularité très reconnaissable. L’ambiance décontractée de ses campagnes publicitaires reflète ce que la plupart des gens apprécient le plus de faire durant leur temps libre. ” J’aime rentrer chez moi, me retrouver en famille et flâner – hang out comme disent les Américains. Mais je ne suis pas ici contre mon gré. Et le travail ne m’est pas pénible parce que j’aime ce que je fais et que j’y prends du plaisir. Bien sûr, après avoir donné des interviews durant cinq jours d’affilée, je suis content de rentrer chez moi. Mais cela fait partie de ma vie. ” Lorsqu’il veut se poser, Tommy Hilfiger rejoint Miami ou, mieux encore, Moustique, une île tropicale où quelques membres de la jet-set possèdent une villa privée. ” A Moustique, j’ai pour voisin Mick Jagger. Je le connais depuis 25 ans. C’est un homme très aimable et un père merveilleux. J’ai toujours aimé les Rolling Stones. Je sponsorise d’ailleurs leur dernière exposition, Exhibitionism, ainsi que leur tournée. J’ai aussi soutenu de cette façon Lenny Kravitz et David Bowie. Nous avons toujours impliqué des musiciens dans notre univers. Je suis passionné de musique, particulièrement celle des années 1970 – les Beatles, Led Zeppelin, The Who… Lors de mes débuts, je vendais des vêtements du genre hippie. Je suis incapable de jouer d’un instrument ou de chanter, mais je pouvais au moins avoir l’air d’une rock star. J’ai toujours fonctionné comme une éponge, absorbant tout ce qui m’entoure pour l’appliquer à mon domaine. “

Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.
Une silhouette de la collection printemps/été de Tommy Hilfiger.© GF

Outre la mode, la musique et la famille, Tommy Hilfiger a une autre passion : il est un collectionneur acharné d’art contemporain anglais et américain. ” J’aime beaucoup Marc Quinn et Damien Hirst. Etre entouré d’oeuvres d’art procure une sensation de bien-être. Mais elles renvoient aussi aux artistes et à leur vision. Ma dernière acquisition est un tableau signé Henry Hudson que j’ai acheté chez Sotheby’s. Il représente un couple et différentes impressions de couchers de soleil et de yachts privés superbes. L’artiste a voulu montrer que, si fascinés soient-ils par ces choses, rien, en fin de compte, ne rend cette homme et cette femme heureux. Il est important d’être heureux de ce que l’on est et de la vie que l’on a. Sans quoi, on est guetté par la folie. Nombre de gens deviennent fous parce qu’ils se concentrent sur ce qu’ils n’ont pas. Il faut connaître ses limites et savoir ce qui est bon pour soi, et ce qui ne l’est pas. “

” Et avoir le succès réaliste “. Tel est son message de conclusion. ” On ne m’entendra jamais dire : ” Nous y sommes arrivés. ” Ce que je fais aujourd’hui, je veux le faire encore mieux demain. J’espère que la marque existera toujours dans cent ans et qu’elle sera restée fidèle à son ADN. “

Texte ARNE ROMBOUTS

En couleurs et sans peur : Rafael Nadal

Quelle importance accordez-vous à la mode ?

Rafael Nadal : ” Le fait de collaborer avec Tommy Hilfiger m’a en tout cas donné l’occasion d’explorer et de découvrir d’un peu plus près le monde de la mode. Cela a été une expérience formidable. Je considère que c’est un honneur d’être associé à une marque d’une telle renommée. “

Accordez-vous de l’attention au style que vous arborez sur les courts ?

” Deux choses sont importantes. Sur le terrain, les vêtements se doivent avant tout d’être confortables. Mais je dois pouvoir, simultanément, les apprécier parce que cela me procure un sentiment de feel good, ce qui ne peut qu’être profitable aux performances sportives. “

Sur le court, vous portez souvent une tenue haute en couleurs. Est-ce pareil dans votre vie privée ?

” Sur le court, je veux porter des couleurs vives et fortes pour indiquer que je n’ai pas peur d’être là. Dans ma vie privée, je m’habille de façon plus neutre, plus classique. J’opte généralement pour des couleurs de base. D’habitude, je m’en tiens au jeans et au T-shirt, mais pour un dîner ou une occasion spéciale, je porte volontiers un costume. Grâce à Tommy Hilfiger, il m’est devenu plus simple de trouver une tenue appropriée pour chaque circonstance. “

Pourquoi avez-vous accepté de figurer dans la campagne de Hilfiger ?

” J’ai rencontré Tommy en 2007, lors du tournoi de Monte Carlo. Depuis, nous nous voyons régulièrement. Nous étions déjà bons amis avant qu’il ne me demande de participer à cette campagne. J’ai accepté sa proposition avec plaisir puisqu’elle me donnait l’occasion de travailler avec un ami qui est aussi l’un des stylistes les plus connus au monde. “

Le tournage de la campagne vous a-t-il plu ?

” Oui, c’était très amusant. Il a eu lieu à Majorque, ma terre natale – je m’y sentais dès lors comme un poisson dans l’eau – dans un ancien grand magasin remarquablement transformé pour l’occasion. Un mélange parfait entre l’univers Hilfiger et celui du tennis. J’ai été stupéfait de voir l’énergie qui se dégage durant un tel tournage. Ce fut une expérience formidable. “

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