Féminin à tout prix

Nathalie Vleeschouwer : " Je suis toujours mon instinct ". © Nathalie Vleeschouwer

Un passage rapide et peu concluant à l’Académie de Mode d’Anvers ne l’a pas empêchée de mener une carrière réussie de femme d’affaires depuis 26 ans : NATHALIE VLEESCHOUWER est l’inspiratrice d’une ligne de prêt-à-porter qui porte son nom et d’un label de mode pour femmes enceintes baptisé ” Fragile “. Pas question pour elle, toutefois, d’être hype.

L’entretien a lieu à l’étage de la boutique qui porte son nom à Anvers. Nathalie Vleeschouwer paraît satisfaite du travail qu’elle a mené depuis 26 ans et explique avec enthousiasme ce qui la motive et ce qui anime son rapport amour-haine avec la mode.

Comment définiriez-vous votre cible ?

NATHALIE VLEESHOUWER : ” Nous avons de vraies fans – des femmes informées qui s’habillent en Nathalie Vleeschouwer de la tête aux pieds. C’est un plaisir, tant pour moi que pour mon équipe de vente. Cela permet de créer une relation authentique avec les clientes. Nos vêtements s’adressent à des femmes sûres d’elles, qui se veulent élégantes et osent opter pour la couleur. J’aime créer des collections actuelles qui reflètent la féminité. Je déteste les vêtements aux allures de “bâche” dans lesquelles les formes féminines disparaissent. Une femme doit mettre sa silhouette en valeur, même si elle a quelques rondeurs. Que sa robe soit courte ou longue, on doit toujours l’y retrouver. Le confort est également très important. Notre collection est destinée aux femmes actives et je veille à ce qu’elles puissent se mouvoir librement et se sentir bien “.

ENTRE BELGIQUE ET CHINE

Les temps sont difficiles pour les marques de mode belges.

” Nombre d’événements ont secoué la mode ces dernières années. Elle ne cesse d’évoluer et l’avenir est imprévisible. Il y a quelques années, cela m’inquiétait. Nous perdions de bons clients alors même que l’entreprise se développait rapidement. Cela créait une certaine pression. Beaucoup nous ont alors conseillé de produire davantage en Chine selon l’argument qu’avoir une dessinatrice dans ses propres murs relevait du passé – même si l’ancrage belge représentait un beau message en termes de RP – et qu’il était préférable d’envoyer les modèles en Chine et de les faire copier. J’étais assez perturbée par ce type d’affirmations : notre entreprise emploie 30 colla- borateurs, et les ateliers avec lesquels nous travaillons comptent sur nous. Il s’agit d’une responsabilité énorme. En définitive, j’ai décidé de retourner à nos racines. Cela m’a contrainte de licencier quelques personnes, mais nous avons pu, avec une équipe plus réduite, conserver notre philosophie de départ : concevoir des vêtements de qualité avec des partenaires fiables, à des prix raisonnables. Et force a été de constater c’était là le bon choix. Nous n’avons pas besoin d’être présents à chaque coin de rue. Ni de doubler le chiffre d’affaires d’une année à l’autre. Nous sommes indépendants financièrement. Si la firme fonctionne bien avec l’équipe actuelle, je me satisfais d’une progression de 10 %. C’est gérable pour tous et chacun y trouve son compte. “

Nous n’avons pas besoin d’être présents à chaque coin de rue. Ni de doubler notre chiffre d’affaires d’une année à l’autre. Nous sommes financièrement indépendants.

A quel point les marques Fragile et Nathalie Vleeschouwer sont-elles belges ?

” Environ 45 % de la production a lieu en Belgique, dont une grande partie dans nos ateliers de Deurne. Une vingtaine de personnes y produisent quelque 13 à 14.000 pièces. Voilà plus deux décennies que nous travaillons avec cette équipe. L’atelier se trouve à proximité et est géré par trois femmes qui, comme moi, sont passionnées par leur travail : elles confectionnent des prototypes, créent et développent les nouvelles collections. Nous déterminons ensemble quelles sont les pièces à mettre en production, et en quelles quantités. “

” Les pièces les plus complexes partent à l’étranger – c’est plus intéressant d’un point de vue budgétaire. Nous travaillons notamment avec une entreprise polonaise, et nos tricots ?sont?partiellement réalisés en Chine. Après de longues recherches, nous y avons trouvé une entreprise éthique et de qualité dirigée par une jeune Chinoise. Nous travaillons avec elle depuis 13 ans. “

” Je me suis liée il y a peu à un petit atelier de Sint-Niklaas travaillant à des prix compétitifs et capable de réaliser qualitativement tout ce que je dessine. Mon partenariat chinois est excellent mais je suis de plus en plus mise sous pression pour commander de grandes quantités. C’est perturbant dans la mesure où certains modèles d’accroche ne doivent être produits qu’en quantités moindres car, s’il est indispensable de les intégrer dans les collections, nous savons que nous n’en vendrons pas énormément. Il est gênant de s’abstenir de les produire uniquement parce qu’il est impossible de le faire en nombre réduit. L’atelier de Sint-Niklaas accepte, lui, d’en fabriquer 20 ou 30 exemplaires. C’est appréciable. Il n’est pas donc exclu que je décide de faire à nouveau réaliser les tricots en Belgique. La seule raison qui me freine est le lien affectif que j’ai avec mes producteurs dont j’ai dès lors du mal à me défaire (rires). “

PRIX ET ÉCONOMIES

Comment êtes-vous arrivée à la mode ?

” A 18 ans, j’ai entrepris des études à l’Académie de Mode d’Anvers que j’ai quittée en deuxième année, estimant ne pas y avoir suffisamment l’occasion de faire ce que j’aimais. Si l’on ne va pas dans la “bonne” direction, on est peu soutenu. Mon mari étant désireux de lancer sa propre affaire, j’ai voulu m’occuper de son administration. Il m’a traitée de folle en me disant que si je ne faisais pas d’emblée quelque chose dans la mode, je le regretterais toute ma vie. J’ai suivi son conseil. “

” Le goût de la mode, je l’ai hérité de mon père qui travaillait chez C&A. J’ai visité avec lui le salon textile Première Vision à Paris. Et vers l’âge de 14 ans, je l’ai accompagné chez des fabricants de tricots. J’étais emballée par les machines – ce que les gens travaillant là trouvaient extraordinaire. J’ai beaucoup regardé et appris. J’ai posé des tas de questions, et l’on m’a donné toutes les informations que je voulais. On m’a même expliqué quelle marge minimale il fallait prendre pour lancer une collection rentable. Résultat : je n’ai pas dû partir de zéro lorsque j’ai mis mon entreprise sur pied. Je savais exactement comment il me fallait calculer mes prix. “

La collection printemps/été 2016, destinée aux femmes élégantes et sûres d'elles.
La collection printemps/été 2016, destinée aux femmes élégantes et sûres d’elles.© Nathalie Vleeschouwer

Comment fait-on, jeune femme, pour lancer sa propre affaire ?

” Il n’est pas évident d’être indépendante. Mes parents ne l’étaient pas et cela n’a donc pas fait partie de mon éducation. En revanche, leur cercle d’amis comptait un bon comptable et un bon avocat. J’ai donc été bien entourée et protégée. Je travaille actuellement encore avec le même fiduciaire, bien qu’il s’agisse de la génération suivante. “

” J’ai lancé mon affaire en 1989 avec mes économies propres – une épargne de 300.000 francs belges constituée à partir de l’argent de poche reçu de mon grand-père et du salaire provenant de quelques jobs. J’ai suivi le conseil de mon père, lequel disait qu’il fallait savoir conserver son épargne – 100.000 francs belges au minimum – et en faire quelque chose de bien. Un principe élémentaire que je continue de mettre en pratique. Cela permet de survivre en cas de coup dur – cessation de paiement d’un client, faillite… “

” Je me souviens bien de ces premières années. Je louais pour 8.000 francs belges par mois un petit bâtiment tout en hauteur. J’y suis restée huit ans. Mon atelier se trouvait dans la cave. Au début, j’y réalisais moi-même les vêtements. Mais cela n’a pas duré, car je n’aime pas coudre. Je manque de patience. Je me suis donc mise rapidement à sous-traiter. Mais, mon mari et moi avons fait beaucoup par nous-mêmes au début. “

VALORISER LA MODE DE GROSSESSE

Pourquoi vous êtes-vous lancée dans la mode pour grossesse ?

” Cela s’est passé par hasard. Lorsque j’ai quitté l’académie, j’ai suivi un cours du soir de dessin de patrons. J’y étais la seule jeune femme – les autres étaient nettement plus âgées. Il y a eu, à un certain moment, une commande de robe de grossesse, et il m’a été demandé de la réaliser. J’en avais le temps et l’envie. J’ai découvert que la mode de grossesse était un secteur déconsidéré – dans les magasins spécialisés mais aussi dans les boutiques chics. D’où mon envie, à l’issue de ce travail, de ne pas céder mes dessins et de lancer une collection de grossesse, dont le nom “Fragile” réfère à la fragilité du foetus. J’avais trouvé mon secteur de niche. ”

Comment cette mode évolue-t-elle aujourd’hui ?

” Autrefois, nous habillions toutes les femmes enceintes – y compris celles disposant d’un budget limité. Aujourd’hui, le marché est plus difficile. Les gens qui décident de faire un enfant ressentent aussi le besoin d’avoir un plus grand logement, une nouvelle voiture, et ils consacrent moins d’argent aux vêtements. Les robes à motifs qui étaient notre marque de fabrique se trouvent désormais partout à des prix modiques. Je me suis donc demandé ce que je pouvais encore apporter aux femmes enceintes. Et nous avons finalement décidé de rester ce que nous étions : une niche dans un marché de niche. Les vêtements Fragile sont mieux dessinés, plus résistants, et notre clientèle se compose de femmes occupant une position représentative ou en quête d’une tenue pour un événement – mariage, fête… Notre cible existe toujours mais elle s’est réduite. Cela étant, c’est du label Fragile qu’est née, en 2011, la marque Nathalie Vleeschouwer. Cette décision a fait suite à la demande d’amatrices de Fragile désireuses de continuer à porter nos vêtements après leur grossesse. “

DERRIÈRE UNE FEMME DE TÊTE, UN HOMME FORT

Pourquoi avoir donné votre nom à votre label ?

” Je conçois les collections et l’entreprise m’appartient. Raison pour laquelle elle porte mon nom. Ce n’est pas le plus beau, sans doute, mais il reflète notre authenticité. “

Où puisez-vous votre inspiration ?

” Partout. Dans la mode haute couture, dans celle de la rue, dans la manière dont s’habillent les jeunes… et sur Pinterest. Les matériaux sont, eux aussi, une source d’inspiration. Autre élément caractéristique : les tissus riches. Auparavant, la ligne Fragile était connue pour ses motifs sur viscose. Aujourd’hui, je travaille plus volontiers avec des tissus nobles et structurés – qui donnent de la profondeur – et très peu avec de vrais imprimés “

Je conçois les collections et l’entreprise m’ appartient. J’utilise dès lors mon nom. Ce n’est pas le plus beau, sans doute, mais il reflète notre authenticité.

Comment votre label fait-il la différence ?

” Nous proposons de beaux vêtements dans des tissus de qualité, à des prix relativement modestes – des robes pour moins de 200 euros, par exemple. Nous avons très peu de concurrence dans ce segment. Nous recourons à des fournisseurs d’étoffes qui tissent en interne et proposent des produits originaux et de qualité et ce, bien que nous commandions des métrages limités. Et nous consacrons beaucoup de soin à nos coupes. J’ai pour atout d’avoir de l’intuition et de savoir ce que les femmes aiment porter. Cela suppose d’être passionnée et attentive. Et de savoir convaincre mon mari qui est dans l’affaire (rires). “

Un design foncé.
Un design foncé.© Nathalie Vleeschouwer

Comment cela fonctionne-t-il ?

” Je m’occupe de la création et du volet financier et il est responsable des boutiques et de leur aménagement, mais aussi des catalogues et de la supervision des shootings photo. C’est un homme extraordinaire qui s’occupe aussi du ménage, de la cuisine et des courses – nous avons trois enfants. “

Derrière toute femme de tête, il y a un homme fort ?

” Sans aucun doute ! Je connais mon mari depuis l’âge de 18 ans. Nous étions ensemble à l’école. C’est lui qui m’a encouragée à suivre mon intuition. Il est mon coach personnel en plus d’être mon mari. “

VENDRE AVEC LE COEUR

Combien de points de vente comptez-vous ?

” Nous avons trois boutiques Nathalie Vleeschouwer – à Anvers, à Gand et à Knokke -, deux boutiques Fragile – à Anvers et à Gand -, une boutique vendant les deux marques à Lierre, et un point de vente de Brasschaat. Sans compter notre présence dans des boutiques multimarques. ”

Nombre de commerçants se plaignent de la concurrence des ventes sur Internet.

” La pression opérée sur les magasins réels est importante. Leurs marges sont faibles et il est donc essentiel de les aider, de penser au long terme et d’avoir des pratiques de vente honnêtes. Cela suppose de réfléchir avec le client et de créer une relation de confiance. Raison pour laquelle nous gérons nous-mêmes la vente de gros. J’ai beaucoup de retour de mes propres magasins : quelles pièces se vendent bien ou moins bien, ce que veulent les femmes aujourd’hui… Des informations que je partage avec les gérantes. J’essaie de les convaincre d’acheter aussi des pièces plus spéciales, même en petites quantités. L’expérience nous a appris que si les gérantes vendaient 90 % de nos collections, elles rachetaient du stock. Nous faisons en sorte qu’elles atteignent leur objectif, et nous allons très loin dans ce sens. Ainsi, nous menons une politique de retours : les pièces qui ne se vendent pas bien peuvent être échangées contre d’autres qui bénéficient d’une demande supérieure. Ce n’est pas simple sur le plan administratif et cela génère des frais de transport, mais cela fonctionne. Nous vendons avec notre coeur, et les clientes en ont conscience. “

Comment se présente l’avenir ?

” Les affaires fonctionnent bien. En Belgique, nous sommes arrivés à notre limite. On ne peut être vendu partout, ni, dès lors, se développer infiniment. Notre croissance doit donc provenir de l’exportation. Il y a quelques années, nous fait des débuts prudents aux Pays-Bas. Depuis, ces ventes affichent une croissance exponentielle : le chiffre d’affaires a doublé en une seule saison. En Allemagne, nous en sommes à notre deuxième saison et cela fonctionne bien. Tout comme en France et en Grande-Bretagne. C’est moins bon en Italie qui connaît une situation économique difficile – les Italiens préfèrent donc acheter des produits nationaux. Nous sommes sur le point de lancer les ventes en Chine. Une gageure. Tout comme l’est le déménagement de notre siège central et de notre entrepôt vers un immeuble industriel d’Anvers Nord. ”

?www.nathalievleeschouwer.be

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