Cravate requise

Hermès reste fidèle à la formule qui fait son succès: une production artisanale dans la plus pure tradition lyonnaise. © Hermes

Depuis son lancement en 1949, la cravate Hermès en soie faite main est indissociable du complet-veston. Trends Style a suivi le processus de sa production à Lyon, et rencontré à Paris, Christophe Goineau, directeur de création de la soie masculine.

La prestigieuse maison créée par Thierry Hermès en 1837 à Paris produisait à l’origine des articles de sellerie et d’harnachement de chevaux pour la noblesse européenne. En 1920, Emile Maurice Hermès (petit-fils du fondateur) décida d’élargir la gamme à l’horlogerie, la joaillerie, la décoration intérieure et au prêt-à-porter masculin et féminin. A l’époque, la collection comprenait, entre autres, des gants d’équitation et de golf, ainsi que des casaques de course colorées en soie. Ces dernières furent à l’origine des mouchoirs en soie puis du célèbre carré Hermès, né en 1937 à l’occasion du 100e anniversaire de la marque.

Au fil du temps, l’affaire familiale s’est développée, possédant aujourd’hui des adresses un peu partout en France. Hermès a toujours été très à l’écoute des besoins de sa clientèle. Lorsque la boutique de Cannes a commencé à avoir régulièrement des demandes en cravates – elle était installée à côté d’un casino dont le règlement très strict imposait le port d’une cravate -, son gérant s’est adressé en haut lieu, à Paris, pour pouvoir y répondre.

Hermès a donc développé une collection d’élégantes cravates réalisées à la main, dont le luxe n’avait rien à envier au reste de la gamme. Une décision que l’entreprise ne regretterait pas puisque cet accessoire masculin est devenu très vite un symbole de l’élégance française. Près de 70 ans plus tard, Hermès reste fidèle à la formule qui fait son succès: une production artisanale dans la plus pure tradition lyonnaise. Et si la cravate est aujourd’hui moins portée, elle reste l’un de ses produits les plus populaires.

ÉVOLUTION PLUTÔT QUE RÉVOLUTION

“Celui qui, aujourd’hui, achète une cravate la veut belle. Une tendance qui joue en notre faveur”, explique Christophe Goineau qui travaille chez Hermès depuis un peu plus de trente ans. Après des débuts dans une fonction commerciale, il s’est peu à peu orienté vers la création des produits, sa vraie passion. “Je suis impliqué dans la création des cravates depuis le début de ma carrière chez Hermès. J’en connais donc un rayon sur le sujet.”

La cravate a-t-elle encore un avenir?

CHRISTOPHE GOINEAU: “Absolument. L’homme a perdu le parapluie, les gants et le chapeau, mais la cravate tient bon. Même si la mode masculine a beaucoup évolué, il ne porte pas encore de costumes aux couleurs vives. La cravate reste dès lors l’accessoire idéal pour apporter une touche de couleur. Elle n’est plus un must comme c’était le cas dans les années 1980, sauf peut-être dans certaines sphères professionnelles. Aujourd’hui, l’homme a une relation différente, plus intime, avec la cravate. Il ne la porte plus parce qu’il le faut, mais parce qu’il en a envie et que cela lui plaît. Il en choisit donc une qui correspond à sa personnalité et qu’il va aimer porter longtemps. Il nous faut dès lors proposer une plus grande diversité et nous montrer plus créatifs encore. Il y a dix ans, la popularité de la cravate était en baisse, aujourd’hui la tendance est très positive. Surtout pour les cravates de luxe”.

Aujourd’hui, l’homme a une relation différente, plus intime, avec la cravate.

En quoi la maison Hermès se distingue-t-elle?

“Notre façon de travailler est très spécifique: la règle est de fabriquer la meilleure qualité et le plus beau produit. Et cela s’applique à tous nos métiers. Nous ne suivons pas les tendances uniquement pour le plaisir de les suivre. Beaucoup de nos concurrents travaillent avec des bureaux de style, des agences qui analysent la société et prédisent les tendances. Nous fonctionnons différemment. Nous ne recherchons pas une révolution, un style neuf et branché. Ce que Hermès met sur le marché doit aussi être durable. Nous préférons donc jouer la carte de l’évolution. Les instructions que je donne aux dessinateurs sont délibérément très vagues. Mon but est de laisser s’opérer la fusion de leur créativité, de la richesse de leur style personnel, de leur univers, de leur coup de crayon, avec l’esthétique Hermès. C’est-à-dire avec la qualité, l’élégance et les bonnes proportions. A mesure qu’arrivent les dessins, je les mets dans ce que nous appelons le frigo jusqu’à ce que je commence à composer la collection. Ce n’est qu’alors que j’effectue ma sélection. Une cravate Hermès achetée cette année pourra encore se porter dans trois ans. Elle aura conservé sa beauté et son actualité. La qualité aussi est essentielle. Nous consacrons des heures à peaufiner des détails infimes que les gens ne remarquent probablement pas, mais nous sommes convaincus que c’est précisément ce qui nous distingue.”

LE MOTIF COMME EXCUSE

Si, à l’origine, la maison Hermès était connue pour ses luxueuses cravates unies, aujourd’hui, elle l’est davantage pour ses modèles à motifs. A quoi est due cette évolution?

“Les motifs sont une excuse pour introduire de la couleur dans une cravate. L’idée de réaliser des cravates avec un imprimé est le fruit du hasard. Dans les années 1980, Jean-Louis Dumas (NDLR:CEO et directeur de création chez Hermès de 1978 à 2006, aujourd’hui décédé) a un jour surpris Henri d’Origny, à l’époque vendeur dans cette boutique (NDLR: 24, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris), en train de griffonner et l’a prié de faire quelque chose de plus utile. Il avait toutefois été frappé par l’esthétique de ces dessins. Les motifs, répétitifs et amusants, lui ont donné l’idée de lancer des cravates ornées d’imprimés, et il a très logiquement demandé à Henri d’Origny de les dessiner. Aujourd’hui, les cravates à motifs sont monnaie courante, mais à l’époque c’était très innovant. Une cravate était un accessoire classique, sobre, conférant un certain sérieux à l’homme qui la portait. La plupart d’entre elles étaient donc sages et sans fioritures. En y intégrant une touche d’humour, nous avons, sans le vouloir, créé une tendance.”

“La première collection lancée en 1987 sur le thème du feu d’artifices, à l’occasion du 150e anniversaire de Hermès, a d’emblée connu le succès. Nous avons donc développé un nouveau thème chaque année. Henri d’Origny est une légende chez Hermès. Il a créé d’innombrables motifs, tant pour les carrés que pour les cravates. Pour les collections actuelles, nous travaillons avec des dessinateurs/illustrateurs externes du monde entier. J’ai organisé un concours via le site Web Design Boom afin de trouver les meilleurs dessinateurs pour Hermès.”

Christophe Goineau, directeur de création de la soie masculine.
Christophe Goineau, directeur de création de la soie masculine.© Hermes

Les influences des différents marchés et cultures du monde jouent-elles un rôle dans la création?

“C’est aux Etats-Unis que la cravate se porte le plus. L’époque du casual Friday est révolue et les Américains sont très à cheval sur les codes vestimentaires. L’Europe aussi répond bien. Ce sont nos deux principaux marchés. Aux Etats-Unis, la cravate rouge est très populaire – il s’agit d’une couleur qui illustre l’énergie, la passion. Alors qu’en Extrême-Orient, au Japon par exemple, les tons plus sobres comme le gris ont plus de succès. Chez nous aussi, les hommes optent plutôt pour des couleurs classiques, dont le bleu marine. Pour aligner notre création sur ces tendances, nous développons au départ une collection très diversifiée que nous présentons deux fois par an aux gérants des boutiques dans le monde entier. Nous leur laissons la liberté d’y choisir ce qui, selon eux, aura le plus de chances de plaire à leur clientèle. Après tout, ils connaissent leur groupe-cible mieux que nous.”

DU MARQUEUR FLUO À LA CLÉ À MOLETTE

A quoi ressemble la collection automne-hiver 2016/17?

“La palette de couleurs est dominée par le bleu – cela va du violet au bleu-gris en passant par le bleu-vert. Nous avons beaucoup travaillé les imprimés aussi. A première vue, ils ont l’air traditionnels et classiques, mais une cravate Hermès doit toujours se regarder à deux fois. Et de très près, afin de distinguer ce que représentent réellement les motifs. Ainsi, nous avons un modèle rayé dont les rayures représentent une poutre en acier. Un autre présente un motif géométrique jaune qui, en y regardant de plus près, se révèle être la pointe d’un marqueur fluo. Un autre encore est orné de minuscules clés à molette bicolores. Au dos de chaque cravate, le motif est expliqué dans une plus grande perspective sous forme d’un petit dessin humoristique.”

Combien de cravates une collection moyenne comprend-elle?

“Nous sortons deux collections par an comportant chacune 500 modèles. Cette diversité est indispensable dans la mesure où, aujourd’hui, la tendance est au style personnel. C’est très différent des années 1980, par exemple, où tout le monde était en uniforme. On adoptait les mêmes vêtements en signe de reconnaissance, pour indiquer que l’on appartenait au même club. Nous produisons au total environ 100.000 cravates par an.”

Combien de temps exige la création d’une cravate?

“Un an. Six mois pour la phase de conception – de la sélection des meilleurs dessins à celle des combinaisons de couleurs. Et six mois pour la fabrication – la soie, la gravure, le mélange des couleurs, l’impression, l’assemblage. Chaque cravate est réalisée à la main.”

La création d’une cravate exige un an.

LES FEMMES, PLUS AUDACIEUSES

Les hommes choisissent-ils leurs cravates eux-mêmes, ou laissent-ils cette responsabilité à leur épouse?

“Les cravates sont achetées pour moitié par des femmes, l’autre moitié l’étant directement par les hommes. Ceux-ci se montrent un peu plus conservateurs dans leur choix, optant pour des cravates plus sages. Les femmes osent davantage, choisissant d’abord un motif spécifique puis passant en revue les différentes couleurs. Elles font des combinaisons plus audacieuses. Logique: c’est lui qui porte la cravate mais c’est elle qui l’a sous les yeux.”

Comment choisit-on une cravate?

“Je conseillerais de sortir de ses habitudes et de se fier à son intuition. De faire un choix personnel et des combinaisons selon ses goûts – la règle est… qu’il n’y en a pas. Il arrive que des clients ne sachent pas ce qu’ils veulent. Nous commençons alors par déterminer ce dont ils ne veulent pas – une question à laquelle ils savent toujours répondre. Il faut aussi être attentif à leurs motivations, qui en disent beaucoup sur ce qu’ils recherchent en réalité. Les vendeurs de nos boutiques sont formés pour prendre le temps de parler, et faire essayer des cravates susceptibles de convenir.”

“Nous vendons aussi de plus en plus de foulards et de carrés, pour compléter une tenue. Aux hommes qui aiment le changement, je conseillerais d’essayer le foulard. Mon favori est le GRRR. Il est illustré d’un ours, dessin qui ne se voit pas une fois qu’il est porté. Seule la belle combinaison de couleurs apparaît.”

www.hermes.com

TEXTE ILSE BAL

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