Cinquante ans de la griffe Biss

Ann-Christine Bouckaert, gérante et directrice de la création de Caroline Biss. © Marc Wallican

La griffe Caroline Biss est, depuis plus de cinquante ans, une valeur sûre de la mode belge. Trends Style a rencontré Ann-Christine Bouckaert, gérante et directrice de la création de Caroline Biss. “Ce qui nous inspire le plus? Les désirs de notre clientèle.”

La rencontre avec la femme qui préside actuellement aux destinées de Caroline Biss a lieu à l’endroit même où ses grands-parents ont créé l’entreprise familiale en 1963. Active depuis 1988 dans la société, Ann-Christine Bouckaert en a pris les commandes en 2000 avec son mari, lequel se charge des questions financières, son épouse s’occupant principalement de la création.

Ann-Christine Bouckaert: “Mes grands-parents avaient installé leur première fabrique à l’arrière du jardin. Un atelier de confection qui donnait du travail à une bonne partie de la population locale. Aujourd’hui, la production est réalisée à l’étranger, mais toutes les autres activités – création, conception des prototypes, contrôle de la qualité, distribution, vente – ont toujours lieu ici. Nos clients étrangers semblent toujours surpris lorsqu’ils viennent acheter les collections. L’entreprise est entourée d’espaces verts, de prés à vaches et aucune industrie n’est visible à l’horizon. Un endroit important à nos yeux. Nous sommes une valeur sûre dans cette région où habitent beaucoup de nos collaborateurs. Chaque année, il y a des départs à la retraite de gens qui ont travaillé plus de quarante ans chez nous, et neuf jobistes sur dix sont des enfants du personnel. Le facteur humain est important. Une philosophie forte et la volonté de faire un produit de première qualité ne suffisent pas, si l’on ne s’entoure pas des personnes adéquates”.

Caroline Biss est une entreprise familiale. Une exception dans le monde de la mode belge?

“Autrefois, les entreprises familiales étaient plus nombreuses. Dans les années 1960, on créait une société sans trop réfléchir. Mes grands-parents étaient des enseignants qui, à un moment donné, ont décidé de se lancer dans la confection. Pourquoi? Je l’ignore. Ma grand-mère était très élégante. Elle avait le sens de la mode et le dynamisme d’une femme d’affaires. Après le décès de mon grand-père tombé malade assez jeune, elle a poursuivi les activités. Ma mère a ensuite pris le relais, et aujourd’hui, c’est moi qui suis à la barre – avec la même passion. J’ai quatre enfants – la relève est donc assurée. L’aîné travaille avec nous, les trois autres sont encore aux études.”

Caroline Biss est-elle une “entreprise de femmes” ?

“Il s’agit en effet d’une société portée par les femmes. Pas forcément par féminisme: il se trouve que c’est ainsi. Ma grand-mère aimait son travail et s’y consacrait totalement. Son équipe se composait principalement de femmes – une vision très émancipée pour l’époque. Aujourd’hui, sur les 600 personnes employées, 560 sont des femmes. Elles sont donc majoritaires dans les équipes de production et de vente. Les piqueuses et les repasseuses sont aussi des femmes, bien sûr, tout comme nos responsables financier et logistique…”

D’où vient le nom Caroline?

“Mes grands-parents ont créé l’entreprise fin 1963, deux semaines après l’assassinat de J. F. Kennedy, dont la fille s’appelait Caroline – comme de nombreuses autres célébrités, du reste. Que l’on songe à Caroline de Monaco. C’était tout simplement un prénom en vogue à l’époque.”

DE 7.000 FRANCS À 170 EUROS

Qu’est-ce qui fait le succès de Caroline Biss?

“Les manuels de marketing sont unanimes: il faut marquer des points à tous les niveaux. Sur le produit, le prix, le timing, la qualité… C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. Nous avons investi énormément dans la logistique pour garder la maîtrise sur la qualité et le timing. Raison pour laquelle nous avons deux usines en Bulgarie, qui produisent une grande partie de la collection. Les articles qui ne sont pas réalisés par nos soins – le tricot, par exemple – sont confiés à des partenaires attitrés avec lesquels nous entretenons d’excellentes relations de travail basées sur des accords clairs. Leur philosophie est la même que la nôtre. Nous ne voulons que la meilleure qualité – nous préférons nous abstenir de sortir un article qui ne répondrait pas à cette exigence. Et si un problème survient, nous voulons le savoir à temps. Au début d’un partenariat, ce n’est pas toujours évident, et nous entrons parfois en conflit. Mais la construction d’une relation à long terme finit toujours par porter ses fruits.”

Nous ne suivons pas la mode à la lettre. Chaque tendance ne fonctionne pas sur chaque corps.

“Le prix est aussi l’un de nos atouts. En vingt ans, le contexte a changé mais nous avons pu maintenir nos prix au même niveau. Pour cela, il est impératif de faire du volume. Si l’on peut amortir ses coûts fixes sur un plus grand nombre d’articles, le prix s’en ressent favorablement. Il y a trois ans, nous avons célébré notre 50e anniversaire en nous replongeant dans d’anciennes brochures. L’une datant d’il y a vingt ans présentait une robe à 7.000 francs belges. Conversion faite, il apparaît que les prix actuels ont peu évolué: nous vendons toujours des robes à 170 euros.”

“Ces dix dernières années, nous avons beaucoup travaillé sur notre concept. La clientèle désire être étonnée chaque saison par des nouveautés. Dans le même temps, elle sait très bien ce que Caroline Biss incarne et elle a donc des attentes particulières. Une marque doit avoir une image claire et oser faire des choix. Ainsi, nous ne proposons pas de vêtements de sport, car cela ne nous correspond pas. Si un article n’est pas Caroline Biss à 100 %, il sème la confusion. Une identité forte est l’une des clés du succès.”

Comment construire cette identité?

“Avec une équipe forte. Nous avons la chance de pouvoir collaborer avec des personnes qui ont des affinités entre elles et forment pour ainsi dire une famille. Elles sont plus que de simples collègues. C’est ce qui fait notre force. Monter une collection est une tâche très exigeante, mais je n’ai jamais à demander de faire des heures supplémentaires. On vient me dire spontanément que le travail sera poursuivi parce qu’il doit être terminé. Ici aussi, la relation à long terme joue un rôle important. Nos collaborateurs sont pétris de la philosophie Caroline Biss et encouragés à travailler de manière autonome et à prendre des décisions. Notre rôle est de définir un cadre clair.”

TIRER PARTI DES IMPERFECTIONS

Caroline biss, la nouvelle collection.
Caroline biss, la nouvelle collection.© Biss

Comment décrire le style Caroline Biss?

Difficile d’être précis. Nous fonctionnons à l’intuition. Lorsque nous composons une collection, nous ne nous demandons jamais si un article est beau – nos stylistes ne créent rien de laid. La question est: est-ce bien du Caroline Biss? Notre style se caractérise par un certain chic féminin. Soit des vêtements qui mettent en valeur la féminité – ce qui ne veut pas dire que nous proposions des jupes très fendues ou des chemisiers au décolleté plongeant. L’élégance peut être au rendez-vous même en jeans et en pulls flottants. L’objectif est d’embellir la femme, de l’aider à être belle avec ses imperfections. Nous lui conseillons de tirer le meilleur parti d’elle-même au lieu de se complexer. Ce qui compte, c’est l’énergie positive.”

Comment se présente la femme Caroline Biss?

“Elle ne peut être enfermée dans une seule catégorie. Notre clientèle est très diversifiée: aisée, à petit budget, jeune, moins jeune, ronde, mince, classique, branchée, adepte des couleurs, de sobriété… Certaines portent volontiers le pantalon, d’autres de petites robes. La femme Caroline Biss aime avant tout notre style. Et notre gamme très étoffée lui permet de toujours trouver des solutions.”

Comment la relation avec elle se construit-elle?

“Par un service irréprochable. Une cliente doit être satisfaite, heureuse même, de son acquisition. Elle n’achète pas de vêtements par nécessité de renouveler sa garde-robe, laquelle généralement déborde déjà. Elle veut être belle. Se sentir bien – et cela commence au magasin, lorsqu’elle trouve une tenue et un prix qui lui conviennent et lui vaudront des compliments. Ce sentiment doit perdurer. En un mot, la femme qui porte du Caroline Biss doit se sentir bien dans sa peau.”

La société a énormément évolué depuis les années 1960. Comment cela se traduit-il dans la collection?

“Nous ne suivons pas la mode à la lettre. Chaque tendance ne fonctionne pas sur chaque corps. Bien sûr, nous nous inspirons de la mode du moment et nous la traduisons dans notre style. La femme moderne achète en fonction de sa personnalité. Elle suit les tendances et veut de la nouveauté, mais dans un certain cadre qui détermine son choix. Cela signifie qu’une marque doit aussi évoluer. Raison pour laquelle nous proposons, dans le respect de notre style, un vaste assortiment qui se décline selon le budget, le goût, l’occasion, le type de profession… La cliente peut ainsi composer son look.”

L’ENTHOUSIASME DE L’EXPLORATEUR

En Belgique, vous avez acquis une position solide sur le marché. Qu’en est-il à l’étranger?

“La Belgique est un petit marché. Il faut donc passer à l’international pour réaliser un chiffre d’affaires minimal. Sans quoi l’on ne peut avoir accès aux meilleurs fabricants – ceux qui fournissent de la qualité – ni acheter de tissus à des prix intéressants. Notre position est forte en Belgique, et nos performances sont bonnes aux Pays-Bas également. C’est à présent le tour de l’Allemagne. Fin septembre, nous ouvrons une boutique à Düsseldorf, puis une autre à Cologne en 2017. Nous nous développons lentement mais sûrement. Rien ne sert de partir à la conquête de tous les marchés simultanément. La notoriété de marque ne s’acquiert pas par l’ouverture d’un magasin dans chaque pays – une seule boutique ne suffit pas pour former une image. Se lancer dans un nouveau pays, c’est à chaque fois repartir de zéro. Il est nécessaire d’adopter une approche pays par pays, marché par marché. Cela étant, nous avons déjà posé des jalons sur divers marchés puisque nos vêtements se vendent déjà dans des boutiques multimarques en France, en Espagne, en Pologne, en Russie…”

Où vendez-vous le plus actuellement? Dans les boutiques réelles ou virtuelles?

Nous possédons aujourd’hui 26 boutiques, dont 15 en Belgique, neuf aux Pays-Bas et deux au grand-duché de Luxembourg. À côté de cela, il y a notre boutique en ligne. Nous observons que sur la Toile, notre clientèle est surtout en quête d’inspiration. Elle veut se faire une idée de l’apparence globale d’une silhouette et des combinaisons possibles entre vêtements. Autre constat: elle cherche aussi à savoir ce qui se passe dans les coulisses de l’entreprise. Qui est derrière la marque? Quels sont ses procédés? Les réseaux sociaux, notamment Facebook, contribuent à ce phénomène. Notre présence sur ces réseaux est encore récente, mais nous y travaillons.

La créativité dans la mode tourne autour de deux éléments: les idées et leur réalisation.

La créativité belge étonne souvent à l’étranger. D’où provient-elle selon vous?

Ce n’est pas parce que la Belgique est un petit pays qu’elle n’est pas à la hauteur. Le niveau de formation est bon, de même que la mentalité de travail, et c’est là l’essentiel. La créativité dans la mode tourne autour de deux éléments: les idées et leur réalisation. Le premier porte sur l’aspect novateur, ” mode “, et relève de la responsabilité de l’équipe de design, composée de trois stylistes et de moi-même. A cet égard, une bonne formation et un bon encadrement sont essentiels. Nombre de stylistes ont du mal à bien travailler s’ils ne savent pas où ils vont. Tout pouvoir faire, c’est peut-être passionnant, mais c’est extrêmement difficile. Le second porte sur l’appui logistique et technique qui requiert, lui aussi, une certaine créativité. Par ailleurs, il est nécessaire de vouloir aller sans cesse de l’avant. A peine une collection est-elle prête qu’il faut déjà s’atteler à la suivante. Nos collaborateurs se montrent toujours très être impatients de commencer une nouvelle collection, cela m’épate. C’est un peu à l’image de l’explorateur qui s’enthousiasme à la perspective d’un nouveau départ, plutôt que de se plaindre d’avoir à passer six mois à bord d’un bateau où la nourriture laissera forcément à désirer.”

www.carolinebiss.com

TEXTE ILSE BAL

PORTRAIT MARC WALICAN

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