Ambassadeur ou ami?

Hugh Jackman est un ambassadeur pour la marque Montblanc. © Montblanc

Quasi toutes les marques horlogères disposent d’un important département marketing – celui-là même qui fournit à Trends Style de la matière pour ses récits. Parmi les techniques classiques de marketing figure le couplage d’un produit à une personnalité connue. C’est donc là qu’entre en scène le fameux ambassadeur de marque. Mais de quelles compétences doit-il faire preuve ?

Mettre en relation un produit et une célébrité n’est pas une idée nouvelle. Déjà aux siècles passés, les horlogers les plus réputés recrutaient dans les Cours européennes, des acheteurs, mais aussi des prescripteurs. Ce fut le cas, par exemple, de Breguet et de sa clientèle célèbre – Marie-Antoinette, Napoléon ou encore la soeur de celui-ci, Caroline Bonaparte épouse Murat.

Sous sa forme moderne, le marketing horloger est sans doute né en 1927, lorsque Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex, mit une Oyster au poignet de la jeune Anglaise Mercedes Gleitze pour accompagner sa traversée de la Manche à la nage. La montre fonctionnant toujours à l’arrivée, son fabricant s’offrait le lendemain la première page du Daily Mail, y vantant les avantages de l’étanchéité de son Oyster. Engagé, depuis, dans tous les domaines de l’aventure humaine, Rolex se mit dès les années 1950 à s’associer aux figures les plus importantes de son époque. L’idée sous-jacente étant de souligner le lien existant entre sa propre démarche horlogère et l’exemplarité de la carrière d’un sportif, d’un artiste ou d’un explorateur. Un parti-pris qui exclut d’utiliser l’image de ces personnalités ailleurs que dans les publicités de la marque. Elles ne seront donc quasi jamais présentes lors du lancement d’un nouveau modèle ou d’une ouverture de boutique. Chez Rolex, d’ailleurs, on parle non pas d'” ambassadeur “, mais de ” témoignage “.

A cette vision très encadrée du marketing des célébrités, a répondu progressivement, dès le début des années 1960, une approche plus people, née de la proximité de certains propriétaires de marques avec des vedettes de l’époque. Les photos parues dans la presse d’Ursula Andress (première James Bond Girl) portant la Polo de Piaget, ou de Steve McQueen arborant une TAG Heuer Monaco, eurent un impact certain sur la carrière naissante de ces modèles. Si, en ce temps-là, les stars payaient encore leur montre, depuis, les choses ont bien changé. Mais l’idée a continué de faire son chemin.

CHOISIR SON ÉGÉRIE

En marketing, l'” ambassadeur ” est une personne faisant plus ou moins bénévolement et spontanément la promotion de la marque. Toutes les nuances du celebrity business tiennent donc dans ce ” plus ou moins “, ce qui amène les maisons horlogères à parler tantôt d'” ami de la marque “, tantôt d'” ambassadeur “. La différence essentielle entre ces deux termes se situerait au niveau de la rémuné- ration – d’une montre offerte, assortie d’invitations tous frais payés à de grands événements mondains, aux contrats publicitaires de plusieurs millions d’euros réglés par des clauses très strictes, parfois même poussées jusqu’à l’absurde – par exemple, le nombre de minutes que la star devra contractuellement passer dans un carré VIP, et le montant à lui payer en cas de dépassement.

Un ambassadeur fait plus ou moins bénévolement et spontanément la promotion d’une marque.

Les arrangements entre les deux parties se font généra-lement par l’intermédiaire d’agences spécialisées – Brand & Celebrities, par exemple, qui ne compte pas moins de 2.700 personnalités dans son écurie. En plus de mettre en relation les uns et les autres, elles recherchent les célébrités les plus en phase avec les valeurs de la marque (ambassador tracking). Un point déterminant pour les spécialistes du marketing horloger. Un bon ambassadeur est d’abord un consommateur qui apprécie le produit auquel il s’est associé, mais aussi une personnalité capable d’une démarche volontaire dans la promotion et la vie de la marque, et, last but not least, une figure crédible dans son domaine, de préférence honnête, possédant un charisme naturel – et ce, afin que la relation puisse s’établir durablement. Car si l’ambassadeur n’appartient pas à l’entreprise, tout ce qu’il fait rejaillit néanmoins sur celle-ci. Pour le meilleur, on l’espère. Mais le pire arrive parfois. On se souvient des déboires de Tiger Woods (scandale sexuel), de Maria Sharapova (dopage) ou, plus récemment, de Leonardo Di Caprio, soupçonné de détournement de fonds. Bref, travailler avec des égéries n’est pas sans risques.

Toutes les marques ne succombent pas aux sirènes du star system, préférant mettre en vedette leur seul savoir-faire horloger, à l’instar de A. Lange & Söhne, Patek Philippe ou Vacheron Constantin.

Peu présents dans le très haut et l’entrée de gamme, les ambassadeurs sont surtout actifs dans un segment du luxe horloger situé entre 1.500 et 10.000 euros.

TERRAINS DE JEU

Dans leurs collections, les marques de luxe traitent de façon assez égale leurs partitions masculines et féminines. Mais avec des arguments de séduction propres à chaque genre. Spectacles masculins par excellence, les grandes joutes sportives et leurs champions sont devenues les viviers où ces maisons trouvent des ambassadeurs qui parlent aux hommes.

Partenaire de longue date des J.O., Omega n’a que l’embarras du choix. Michael Phelps, l’olympien le plus médaillé d’or de tous les temps, est certainement le plus représentatif de ce cercle dont Usain Bolt, l’homme le plus rapide du monde, aurait été digne de faire partie. Mais c’est avec la marque Hublot qu’il a signé. Très active dans le domaine de l’événementiel, celle-ci est également omniprésente dans le football (chronométreur officiel des Coupes du Monde et d’Europe), où elle s’est offert les services de deux célébrités planétaires : le ” Roi ” Pelé et Maradona. Histoire sans doute de verrouiller son pré carré, le groupe LVMH a lancé une autre de ses marques sur ce terrain.

Maradona et Pelé pour Hublot.
Maradona et Pelé pour Hublot.© Hublot

Il s’agit de TAG Heuer qui parraine des grands championnats et clubs nationaux (Angleterre, Espagne, Allemagne) et vient d’engager comme ambassadeur Mats Hummels, le capitaine de la Mannschaft. Ce label reste par ailleurs très présent dans le sport automobile, mais il doit désormais y faire face à une concurrence croissante dans les paddocks de la F1. La moindre n’est pas celle d’IWC, partenaire de l’écurie Mercedes AMG Petronas et de ses deux as du volant, Lewis Hamilton et son coéquipier Nico Rosberg. Les courts de tennis sont, eux aussi, très investis par les horlogers et leurs stars privilégiées – Rafael Nadal (Richard Mille), Novak Djokovic (Seiko) et Roger Federer (Rolex), pour ne citer que les plus connus. A travers ses ” témoignages ” et son sponsoring, la marque ” à la couronne ” joue d’ailleurs sur tous les terrains, y compris ceux de la voile, du golf ou de l’équitation.

Les maisons dédiées à une horlogerie technique plus précieuse vont, elles, assez naturellement chercher leurs ambassadeurs dans des sports élitaires C’est le cas de la marque Jaeger-LeCoultre associée au champion de polo Eduardo Novillo Astrada, ou du label Parmigiani Fleurier allié à l’escrimeuse française Laura Flessel.

TAPIS ROUGE

Dans les années 1980, feu Nicolas Hayek Sr eut l’idée d’associer les collections féminines d’Omega à un mannequin vedette de l’époque – Cindy Crawford, en l’occurrence – afin de leur donner plus d’éclat. Le succès de ce partenariat fut immédiat et se prolongea durant de longues années. Dans son rôle d’ambassadrice, Cindy Crawford ne se contenta pas de faire rayonner la marque à travers le monde, elle participa aussi activement à la création de nouveaux modèles.

Aujourd’hui, Omega s’est trouvé une nouvelle muse très appréciée du public en la personne de l’actrice australo-américaine Nicole Kidman, également égérie de Chanel.

A l’image d’Omega, nombre de marques horlogères font désormais appel à des stars hollywoodiennes pour soutenir leur communication. Et le casting est impressionnant. La cinéaste et actrice américaine Sofia Coppola (fille de Francis Ford) a rejoint cette année le cercle très fermé des ” Amis ” de Cartier. Piaget a pour ambassadrice internationale la productrice et comédienne Jessica Chastain, connue pour avoir décroché un Golden Globe et plusieurs nominations aux Oscars, mais aussi pour son engagement citoyen. Une action qui lui a valu de figurer en 2012 dans la liste des ” 100 personnes les plus influentes du monde ” du magazine Time. C’est aussi pour soutenir des actions philanthropiques que Gwyneth Paltrow est devenue récemment la nouvelle ambassadrice internationale de Frederique Constant. Kate Winslet, elle, se montre fidèle depuis plusieurs années à Longines.

Parmi les acteurs, John Travolta continue à apporter un soutien indéfectible à Breitling en raison de leur passion commune pour l’aviation. De son côté, Montblanc mise sur le charme de l’acteur et chanteur australien Hugh Jackman (Wolverine dans X-Men).

Tout ce que fait l’ ambassadeur rejaillit sur la marque. Pour le meilleur et pour le pire.

Mais ces ambassadeurs peuvent aussi être issus de milieux plus inattendus que ceux du sport ou du cinéma. TAG Heuer fait ainsi désormais équipe avec la doyenne des fashionistas, l’incroyable Iris Apfel (95 ans), déjà remarquée dans une pub pour Citroën. Et parmi les neuf nouveaux ” amis ” de Piaget réunis pour le relancement de sa Polo, on trouve un joueur de tennis (David Goffin), mais aussi un homme d’affaires des Emirats, le romancier suisse Joël Dicker et le chef étoilé français Jean-François Piège. Car dans la cuisine intérieure du celebrity business, les bonnes tables sont désormais à l’honneur, à l’exemple de celle du Belge Peter Goossens, triple étoilé Michelin et ambassadeur de Lebeau-Courally.

Peut-être serait-on tenté de se poser la question essentielle : à quoi les ambassadeurs servent-ils vraiment ? La réponse ne peut que sembler évidente : à permettre aux marques de faire parler d’elles. Et, selon toute apparence, cela fonctionne plutôt bien.

TEXTE PATRICK DELAROCHE

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