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Qui vivra travaillera

Au propre comme au figuré, cet été 2012 semble être placé sous le signe de la douche froide. Rideaux tirés sur un crachin presque automnal – qui fait subir aux Monsieur Météo les critiques acerbes des acteurs du tourisme, grugés par des prévisions trop mouillées – voilà que la presse ne nous annonce que de sinistres nouvelles : de scandales financiers en licenciements massifs chez nos voisins français, on nous distille au goutte à goutte des informations qui rendent non seulement le présent morose, mais qui projettent un avenir carrément tristounet.

Ah, vous pensiez couler des jours heureux passée la soixantaine, fort de vos 40 ans de carrière durant lesquels vous auriez bravé toutes les tempêtes ? Détrompez-vous ! Il vous faudra suer encore. Car ce n’est ni la pension légale, dite “du premier pilier”, ni vos sacro-saintes assurances-groupe, le “second pilier”, qui vous permettront de garder la tête hors de l’eau à l’heure de la retraite. Quand on sait que l’âge moyen de sortie de la vie active est passé de 64 ans en 1973 à 59 ans en 2010, que dans le même temps, la durée de vie des Occidentaux s’est allongée chaque année d’un trimestre, passant de 73 à 82 ans pour les femmes et de 67 à 75 ans pour les hommes, et que la proportion du nombre de pensionnés sur le nombre d’actifs, qui était de 37,5 % en 1970, passera à 48,2 % en 2050, on comprend aisément que le principe de répartition, clé de voûte de la pension légale, risque d’être fortement mis à mal dans les prochaines années. Et la grisaille qui caractérise les marchés financiers en ce moment n’est pas sans effet sur la pension complémentaire, reposant elle sur le principe de capitalisation. La semaine dernière, les assureurs ont actionné la corne de brume : les rendements minimums obligatoires de 3,25 % pour les cotisations versées par les employeurs et de 3,75 % pour celles versées par les travailleurs, jusqu’ici garantis contractuellement par les compagnies d’assurances, “ne sont plus en phase avec les conditions du marché”, dixit Assuralia. Seules solutions : revoir les minima légaux à la baisse – le ministre des Pensions Vincent Van Quickenborne (Open VLD) est contre – ou reporter le problème sur les employeurs, qui devraient compenser l’écart entre le rendement offert et le taux légal. La man£uvre pourrait en conduire plus d’un à la faillite et augmenterait encore la proportion d’inactifs, le phénomène pesant à la fois sur les mécanismes de répartition et de capitalisation. Naufrage en vue ?

Et si, plutôt que de raisonner en termes de capitaux, nous raisonnions en termes de travail ? Répartir les fonds, c’est une chose. Mais le préalable à une répartition équitable de la richesse, c’est une répartition équitable du travail, non ? L’idée n’est évidemment pas neuve. Appliquée aux conditions économiques actuelles, elle se traduit généralement par un allongement de la durée des carrières, qui semble être – logiquement – à l’ordre du jour dans la plupart des pays européens. Qui vivra, travaillera : oui, sans doute. A l’échelle individuelle, cela tient la route. Mais à l’échelle collective, on peut d’abord se demander s’il est plus efficace de travailler (toujours) plus, ou s’il ne vaudrait pas tout simplement mieux répartir la quantité de travail existante. C’était la thèse défendue par Bertrand Russell dans son ouvrage intitulé L’éloge de l’oisiveté, publié pour la première fois en 1932. Selon lui, l’homme voue un culte déraisonnable au travail, devenu une valeur morale pour les classes privilégiées qui estiment dès lors que l’inactivité conduit forcément au dés£uvrement et à la dépravation. Ceci alors que les progrès techniques et technologiques ont rendu la civilisation à même de produire suffisamment de biens pour subvenir aux besoins de tous les êtres humains. Conclusion : si tout le monde travaillait quatre heures par jour, il y aurait non seulement de quoi faire vivre sept milliards d’hommes, mais également du temps pour vaquer à d’autres occupations, intellectuelles, culturelles, sportives ou autres. Eclaircie en vue ?

Bien sûr, le même soleil brille sur les individus et sur la planète, mais la météo diffère d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. Les raisonnements micro et macroéconomiques s’écartent, pour des raisons géographiques, politiques et sociales évidentes. Mais que l’on soit un libéral ou un socialiste convaincu, force est de constater que le bonheur ne se situe pas nécessairement dans plus de travail. Plutôt dans un travail mieux organisé, mieux réparti entre les individus et surtout, mieux réparti tout au long de la vie.

CAMILLE VAN VYVE

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