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Quel avenir pour le “low-costisme” ?

La fermeture annoncée de l’usine d’Opel Anvers a suscité beaucoup de commentaires en raison des pertes d’emplois importantes qu’elle entraîne. Au point que le spectre d’une “wallonisation” a fait son apparition dans la presse. Je pense qu’il ne faut pas aller trop vite sur ce point.

La fermeture annoncée de l’usine d’Opel Anvers a suscité beaucoup de commentaires en raison des pertes d’emplois importantes qu’elle entraîne. La médiatisation de cette fermeture est probablement aussi liée au fait qu’elle ébranle un fleuron industriel de l’économie flamande. La Flandre profitait d’un taux de chômage minimum, mais se retrouve tout à coup confrontée à des fermetures majeures. Au point que le spectre d’une “wallonisation”, mot très inconvenant pour décrire une mutation ratée de l’économie accompagnée d’une montée d’un chômage structurel, a fait son apparition dans la presse. Je pense qu’il ne faut pas aller trop vite sur ce point. Au-delà des drames sociaux, le drame économique n’est pas tant la perte d’une industrie, mais davantage l’échec de la reconversion. On n’en est pas encore là en Flandre…

Du “fordisme” au “toyotisme”…

La polémique autour de la fermeture d’Opel Anvers est probablement aussi liée au fait que le secteur automobile est emblématique. En Belgique bien sûr, compte tenu de la spécialisation (passée) de l’économie belge dans l’assemblage de voitures. Mais au niveau de l’économie mondiale, et même de la théorie économique, le secteur automobile a toujours eu une place particulière. Ainsi le terme “fordisme” est entré dans le vocabulaire économique. Il correspond à un processus de production basé sur le travail à la chaîne, de manière à gagner de la productivité et à abaisser les prix de vente des produits. Mais sur le plan macroéconomique, le “fordisme” s’appuie également sur un partage équitable de la valeur ajoutée et des gains de productivité entre les facteurs de production. En d’autres termes, le salaire des ouvriers bénéficie des gains de productivité, ce qui leur permet d’acheter les biens produits précisément par l’industrie, ce qui renforce la demande, permet de nouvelles innovations dont bénéficient à nouveau les ouvriers, et ainsi de suite. Le “fordisme” peut être considéré comme un modèle de croissance économique cohérent.

Ensuite est apparu le “toyotisme”. Sur le plan de la production, ce terme correspond à une recherche permanente de la réduction des coûts, à la lutte contre le gaspillage, mais aussi à la participation et à la responsabilisation des ouvriers dans le processus de production, de manière à accroître la qualité et les gains de productivité. Ce mode de production correspond aussi à un objectif macroéconomique : permettre à une économie (le Japon en l’occurrence) de rattraper et même de concurrencer sur leur terrain d’autres économies (les Etats-Unis en tête).

… et voici le “low-costisme”

Si l’on regarde aujourd’hui le secteur automobile en Europe, on pourrait se demander si l’on n’est pas entré dans un nouveau régime, celui du “low-costisme”. On voit en effet la volonté de plusieurs marques automobiles de pénétrer de nouveaux marchés dans lesquels le niveau de vie est sensiblement plus bas (pays de l’Est, pays émergents) que dans les économies matures. Cette pénétration suppose notamment l’implantation de nouveaux sites de production dans ces économies, de manière à abaisser les coûts de production et les prix de vente, et ensuite à augmenter le niveau de vie des travailleurs locaux (une sorte de “fordisme” réinventé). Mais l’histoire ne se termine pas là, dès lors que les produits low-cost sont également vendus en Europe de l’Ouest. Ils permettent ainsi aux ménages européens d’acheter des véhicules bon marché. C’est d’autant plus intéressant, a priori, que leur pouvoir d’achat est sous pression en raison d’une part du partage de la valeur ajoutée qui n’est plus à leur avantage depuis longtemps, et d’autre part de la disparition progressive du tissu industriel (et donc d’emplois), lui-même provoqué par des coûts de production trop élevés.

Mais pousséà l’extrême, ce régime peut s’avérer vicieux à terme : seuls les produits low cost, produits dans des pays émergents, seraient accessibles aux ménages européens car leur niveau de vie ne cesserait de baisser en raison de la désertification industrielle. Ceci pousserait davantage la demande de produits à bas coûts… et la désertification industrielle, etc., etc.

Heureusement, on n’en est pas (encore) là. Le tissu économique d’un pays comme la Belgique est encore largement fondé sur des entreprises de taille moyenne et innovantes. Ces innovations apportent de la valeur ajoutée, s’exportent et créent de l’activitéà tous les niveaux de nos économies. Efficacement partagée, cette valeur ajoutée maintiendra les revenus et notre standard de vie, contrairement au “low-costisme”.

Mais en matière d’innovations, rien n’est jamais acquis et l’avance technologique peut se perdre très vite. Dès lors, si l’on veut maintenir la supériorité d’un modèle de croissance basé sur l’innovation face au modèle du “low-costisme”, et si l’on veut maintenir notre niveau de vie, il sera indispensable de choyer, en plus de la capacitéà entreprendre, la seule et unique source de l’innovation, à savoir le capital humain. La qualité d’éducation des nouvelles générations est primordiale, la formation des travailleurs et des chômeurs est indispensable pour assurer la reconversion des secteurs en perte de vitesse. Le capital humain doit être au centre de la politique économique. Les crises majeures ont toujours donné l’opportunité de définir de nouvelles priorités. Alors qu’attendons-nous ?

Philippe Ledent, économiste ING Belgique et chargé de cours invitéà l’UCL

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