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Quand Singapour torpille la Suisse

L’Union européenne et la Suisse ont signé vendredi dernier un accord de coopération pour faciliter l’échange d’informations. Une bombe fiscale passée inaperçue ? Non. De la politique-fiction ? Peut-être. Les informations en question ne concernent pas les comptes bancaires mais la concurrence. Il s’agit pour Bruxelles et pour Berne de pouvoir se montrer plus efficaces dans la lutte contre les ententes en matière de prix et les pratiques monopolistiques. Les enquêtes menées l’an dernier dans le cadre de la manipulation du taux Libor, qui n’ont pu être coordonnées faute d’un tel accord, semblent avoir joué le rôle de catalyseur pour la mise en place de cette coopération.

Qui sait pourtant si les deux capitales ne signeront pas prochainement un accord du même genre sur le plan fiscal ? C’est que le secret bancaire se dégonfle aujourd’hui à vive allure aux quatre coins de la planète. Après la courbe rentrante de quelques paradis fiscaux des Antilles, dont les fameuses îles Vierges et les Caïmans, après la capitulation de Luxembourg et de Vienne, voilà que Singapour accepte à son tour (à l’horizon 2015) le principe de l’échange automatique d’informations fiscales concernant les non-résidents. Une véritable bombe !

Que n’a-t-on pas évoqué la ville-Etat comme le refuge ultime des nantis perdant confiance dans le secret bancaire suisse. Non sans raisons : c’est par dizaines de milliards que les capitaux les plus discrets quittent les comptes helvètes en direction de Singapour à partir de 2005, quand Berne instaure un précompte à la source dans le cadre de la directive européenne sur l’épargne, puis courbe l’échine face aux exigences fiscales américaines. Même l’homme de la rue le sait aujourd’hui en France, suite au scandale Cahuzac : l’ancien ministre français a transféré son occulte cagnotte suisse sous ces cieux équatoriaux en 2010. In extremis ? Le petit Etat asiatique a, depuis, averti à plusieurs reprises qu’il n’était pas (plus) intéressé de récolter de l’argent gris ou noir. On avait douté de sa bonne foi. A tort, visiblement.

Cette “bombe” ne surprend finalement qu’à moitié, car la situation de Singapour est assez semblable à celle du Luxembourg : ces Etats sont (très) prospères grâce à leur fiscalité attrayante et, plus encore, en raison de l’attitude à la fois pragmatique et dynamique des autorités. En un mot comme en cent, l’argent blanc suffit largement à leur bonheur. Les inconvénients croissants qui résultent aujourd’hui de l’étiquette “paradis fiscal” l’emportent nettement sur le supplément de revenus dont ces Etats bénéficieraient en accueillant l’argent noir.

Le coup d’éclat de Singapour n’en reste pas moins un pavé dans le jardin de la Suisse. Quand le Luxembourg a accepté le principe de l’échange automatique d’informations le 10 avril dernier, la Confédération s’est naturellement trouvée en point de mire de l’Union européenne. Et un peu plus encore à la fin du mois, quand l’Autriche capitula à son tour de manière abrupte. Même si le pays sort par définition du cadre direct des négociations entre Berne et Bruxelles, Singapour pouvait jusqu’ici jouer le rôle d’épouvantail : la Suisse ne peut évidemment pas coopérer avec l’Union si c’est pour se faire siphonner par ce concurrent déloyal. De très délicate qu’elle était, la situation de Berne est maintenant devenue intenable.

Le secret bancaire suisse figurait implicitement parmi les sujets évoqués par les chefs d’Etat et de gouvernement réunis mercredi à Bruxelles, après bouclage de ce numéro. La semaine précédente, les ministres des Finances n’avaient pu se mettre d’accord sur un élargissement de la directive sur l’épargne, car Luxembourg et Vienne continuent de faire blocage. La Suisse n’est finalement pas seule en cause…

GUY LEGRAND

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