Vice, le média web qui veut coloniser la télé

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Magazine punk né dans les années 1990 au Canada, Vice est devenu un groupe média international dont le chiffre d’affaires atteindrait un milliard de dollars. Avec sa chaîne Viceland, disponible depuis peu sur Proximus TV, cet agitateur du Web espère conquérir le marché de la télévision linéaire.

Viceland n’est pas une chaîne de télévision comme les autres. Disponible depuis le 1er juin dernier sur Proximus TV, ce nouvel arrivant au nom évocateur vient du monde du Web. Baignant dans la culture alternative depuis ses origines sous forme de magazine papier (créé en 1994 à Montréal), Vice a construit une offre numérique solide reposant sur des sites d’information où la vidéo a pris de plus en plus d’importance. Au point que ce média 2.0 a décidé en 2016 de s’inviter sur la ” télévision de papa ” en créant Viceland, une chaîne de TV linéaire supervisée par le réalisateur Spike Jones (Dans la peau de John Malkovich, Her). Le groupe Vice fait donc le chemin inverse de celui amorcé par les médias audiovisuels traditionnels, qui investissent le marché du digital avec de nouvelles plateformes de vidéo à la demande, des contenus créés spécifiquement pour les réseaux sociaux ou des sites d’info de plus en plus étoffés.

20 % de contenu belge

L’ambition internationale de Vice a conduit le groupe à installer des antennes locales dans plus de 50 pays. L’équipe belge est en cours d’installation. A sa tête depuis février dernier, on y retrouve Malik Azzouzi, qui a occupé plusieurs postes dans le monde du marketing et de la pub, notamment chez Twitter. Son objectif est d’embaucher six à sept personnes d’ici la fin de l’année : ” Nous voulons construire une version belge de Vice, affirme Malik Azzouzi. Vice se construit localement sur chaque marché. Nous avons l’intention de nourrir nos plateformes avec du contenu belge.”

Pour l’instant, le site et la chaîne TV de Vice en Belgique sont quasiment exclusivement achalandés avec du contenu international, principalement américain (sous-titré en français et néerlandais sur Viceland). Mais le responsable de Vice en Belgique estime que, d’ici la fin de l’année, le contenu belgo-belge représentera 15 à 20 % des articles et vidéos publiés sur le site Internet. Prudent, il préfère ne pas encore s’avancer sur la proportion de reportages locaux qui seront diffusés sur la chaîne de télévision linéaire. Jusqu’à présent, seul Census, un documentaire d’une heure consacré à la jeunesse belge et déjà diffusé en Flandre via Telenet, peut être considéré comme une production locale, même s’il a été coréalisé avec l’équipe hollandaise de Vice.

Pourtant, l’ancrage local est une nécessité, estime-t-on chez Vice : ” Gérer la Belgique depuis la France et les Pays-Bas, cela ne fonctionne pas, explique Malik Azzouzi. Les sujets risquent de présenter une vision française ou hollandaise de la Belgique, ce qui ne conviendrait pas au public belge. Même si Vice est un média global, et que nous pouvons utiliser toute une série de contenus internationaux qui intéresseront notre audience, nous devons développer une approche locale, authentique “. Dans les pays où le groupe est établi depuis plus longtemps, comme la France ou la Grande-Bretagne, le mix est d’environ 50/50 entre contenu local et international, pointe Malik Azzouzi.

Les 18-35 ans pour coeur de cible

Malik Azzouzi,
Malik Azzouzi, “head of business development” chez Vice Belgium.

La cible principale de Vice se situe dans la tranche des 18-35 ans. Cette génération, qui a accompagné l’essor du Web, a développé des habitudes de consommation de médias très différentes de celles de ses parents. Moins séduits par les médias traditionnels, qu’ils soient imprimés ou audiovisuels, les millennials – comme les appellent les pros du marketing – picorent l’actualité sur le Web et, de plus en plus, sur mobile. Pour agripper cette cible, Vice développe des formats vidéos adaptés et conclut des accords avec des plateformes sociales comme Snapchat pour diffuser son contenu au plus grand nombre.

Fidèle à son ADN ” underground “, Vice se focalise sur des sujets de société très variés comme la drogue (Le Chili sous drogues psychédéliques), l’école (Le guide Vice pour réussir son bac sans rien foutre), le sexe (Dans le donjon d’un chef d’entreprise BDSM), la musique alternative (Confessions d’un ancien fan de métalcore chrétien)*, etc. Pour se démarquer des médias traditionnels, le ton se veut très direct, avec une vision subjective des sujets traités, souvent sous forme de témoignage à la première personne. Vice investit aussi dans des reportages en zone de guerre, comme à Raqqa, où un de ses journalistes a filmé l’Etat islamique de l’intérieur.

Jonglant avec les médias sociaux, Vice est devenu un acteur important du Web qui génère, rien qu’aux Etats-Unis plus de 50 millions de visiteurs uniques par mois.

Jonglant avec les médias sociaux, Vice est devenu un acteur important du Web qui génère, rien qu’aux Etats-Unis plus de 50 millions de visiteurs uniques par mois. Ce média en ligne gratuit est financé par la publicité. En Belgique, Vice travaille avec Transfer, la régie publicitaire indépendante qui a récemment signé avec TF1 pour décrocher des annonceurs spécifiquement pour sa diffusion en Belgique. Au-delà des classiques annonces publicitaires sur son site internet et sur sa chaîne de télévision, Vice développe aussi du branded content (contenu sponsorisé). C’est la source la plus importante de revenus pour Vice : ” Nous mettons à disposition des annonceurs notre expertise dans la production de contenus pour la cible des 18-35 ans, explique Malik Azzouzi. C’est une activité séparée de l’activité rédactionnelle, que nous développons en interne sous la marque Virtue. Cette activité représente 60 % du chiffre d’affaires de Vice. ”

Bientôt une entrée en Bourse ?

Le business model de Vice a séduit de nombreux investisseurs, comme la 21 st Century Fox, ou encore Disney, qui a injecté 400 millions de dollars dans la société dirigée par le remuant Shane Smith. D’après certaines estimations portant sur 2015, non démenties par Vice, la société réaliserait un chiffre d’affaires d’environ 1 milliard de dollars. Le groupe, qui vient de lever 450 millions auprès du fonds TPG, est valorisé à 5,7 milliards de dollars.

Si ses débuts sont encore hésitants en télévision (les audiences ne sont pas au rendez-vous en Grande-Bretagne, notamment, où Viceland a été lancé en 2016), le groupe dispose d’une véritable ambition qui va clairement au-delà du monde du Web. Sa présence sur les box TV des opérateurs télécoms doit lui permettre de passer un cap supplémentaire et de s’assurer de nouvelles sources de revenus. Même si la publicité glisse progressivement vers les plateformes numériques, la télévision traditionnelle reste en effet un placement sûr pour les annonceurs. Un acteur comme Vice ne peut pas s’en passer : ” La Belgique est un petit marché où la télévision occupe une place très importante, souligne Malik Azzouzi. Pour un média global multi-plateformes comme Vice, il est crucial d’être présent avec une chaîne de TV. ”

Malik Azzouzi ne veut pas griller les étapes. Il est satisfait des premières estimations d’audience qui placent Viceland à 0,3 % de parts de marché sur les décodeurs Telenet. Mais son objectif premier est d’atteindre le break-even en fin d’année. Ensuite, les développements pourront commencer : ” La Belgique a du potentiel. D’ici deux ans, nous pourrions être une équipe de 20 à 30 personnes.” Aux Pays-Bas, où Vice a installé son centre européen pour son activité Virtue, l’entreprise occupe déjà 150 personnes, après seulement quatre années d’existence.

*Exemples d’articles publiés sur la version française de Vice.

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