Symphonie belge inachevée

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Didier Hodiamont rêve de bâtir un nouveau parc d’attractions en Wallonie. Mais devant le peu d’enthousiasme que suscitent ses Géants de la Musique, cet entrepreneur wallon présente désormais son projet devant les conseils régionaux de France. Surréaliste ?

Sur le papier, le projet de Didier Hodiamont provoque d’emblée un télescopage de sentiments partagés : l’étonnement, l’enthousiasme, l’ironie, l’admiration, le doute, l’envie… Difficile de se forger un avis définitif quand l’ambition affichée consiste à construire, en Wallonie, un parc d’attractions exclusivement dédié à la musique. Un parc qui serait truffé d’instruments géants où La Contrebasse de l’Horreur côtoierait Les Vertiges de la Harpe et une montagne russe baptisée Les Coulisses du Piston. Un parc qui nécessiterait au bas mot un investissement de 100 millions d’euros et qui générerait en retour “un millier d’emplois directs”, dixit l’intéressé.

Est-ce là le rêve d’un illuminé qui restera définitivement à l’état de projet ou, au contraire, l’esquisse d’une success story lancée par un entrepreneur visionnaire ? Immanquablement, l’ébauche du parc des Géants de la Musique ressemble à d’autres aventures lancées précédemment en terre wallonne et qui, elles aussi, suscitèrent les mêmes sentiments partagés dès leur conception. D’abord le site de Walibi imaginé par l’homme d’affaires Eddy Meeùs et qui se heurta longtemps à la frilosité des banques au début des années 1970. Ensuite, le parc Paradisio, inauguré par Eric Domb en 1994 et renommé Paira Daiza au printemps 2010. Qui aurait parié un seul instant que cet endroit initialement voué à la féérie des oiseaux attire, 20 ans plus tard, 1,2 million de visiteurs en une seule saison touristique ? Là aussi, les moqueries avaient été récurrentes à l’encontre de cette initiative souvent condamnée à l’échec lorsqu’elle était présentée sur le papier…

Et c’est précisément ce qui motive aujourd’hui Didier Hodiamont dans son étonnante quête musicale : le pari de réussir, envers et contre tout. Porté par une “vision” qu’il a eue, dit-il, sur les bords de la Meuse en septembre 2005, l’homme s’est mis en tête de bâtir l’impossible, quels que soient les critiques et les obstacles rencontrés. Ancien gérant d’une société spécialisée dans la fabrication du papier, puis d’une concession automobile, ce Bruxellois a décidé de stopper net sa carrière à l’aube de ses 50 ans pour se consacrer à la réalisation de ce projet atypique. A l’époque, il a peu d’argent (20.000 euros de capital de départ), mais il convainc peu à peu des connaissances et des partenaires d’investir dans sa société Dreamgest qu’il fonde en 2008. Pour ce faire, il raconte son histoire dans une bande-dessinée Piano-Plage, du rêve à la réalité parue en 2011 et il imagine un spectacle musical qui met en scène un clavier géant et qui doit servir, selon lui, d’argumentaire au développement futur d’un vrai parc d’attractions sur le thème des instruments de musique.

Bientôt à l’affiche du Country Hall de Liège et du Cirque Royal de Bruxelles, le spectacle Piano-Plage a déjà fait ses preuves au Palais 12 du Heysel et au Palais des Sports de Paris en juillet dernier, ouvrant ainsi à Didier Hodiamont de nouvelles portes françaises pour la dernière phase de son projet : la construction de son fameux parc d’attractions. “Je suis toujours à la recherche d’un endroit et je viens de passer 10 jours en France où j’ai multiplié les rendez-vous dans plusieurs régions, commente l’entrepreneur. Là-bas, je suis reçu par les présidents des conseils régionaux et leur enthousiasme fait plaisir à voir. Aucune comparaison avec la Wallonie où cela fait neuf ans que je patine et où je n’ai jamais reçu le moindre soutien politique ! Or, quand le politique n’y croit pas, vous entrez dans une spirale négative au niveau de l’accompagnement des invests.”

“La Wallonie qui stagne”

L’homme est amer. Pour ne pas dire révolté. Selon ses dires, il a ainsi essuyé les refus de divers organismes comme la Sowalfin, la Sofinex ou encore le fonds d’investissement ST’ART pour les industries culturelles et créatives. Il n’a pas pu bénéficier non plus d’autres mécanismes tels que les bourses de préactivité de la Région wallonne, que ce soit pour la mise au point de son spectacle musical ou le développement de son parc d’attractions. “Nous sommes hors critères, s’insurge-t-il, car le projet associe tourisme, culture et haute technologie”. Résultat des courses : Didier Hodiamont rêvait d’installer ses Géants de la Musique en Belgique et il s’est donc résigné à aller voir ailleurs.

Faut-il cependant croire au tableau sombre qu’il dépeint et qui transforme “La Wallonie qui gagne” en “Wallonie qui stagne” ? Directrice du fonds d’investissement ST’ART, Virginie Civrais tient à remettre les pendules à l’heure : “Le dossier de Monsieur Hodiamont est effectivement passé plusieurs fois devant notre conseil d’administration pour la co-production de son spectacle, commente-t-elle, et nous avons finalement pris la décision de ne pas le financer selon nos propres critères d’analyse qui ont révélé des zones d’ombre sur le modèle économique de Piano-Plage. Il faut savoir que ST’ART ne peut pas tout financer et qu’en tant que fonds de capital-risque, nous devons faire des choix selon la pertinence des propositions d’entreprises. Cela dit, nous avons consacré le temps et l’énergie nécessaires à une étude approfondie de son dossier. C’est une valeur immatérielle que l’on oublie souvent et sa perception des choses ne doit certainement pas occulter les nombreux financements que nous mettons en place”.

Des partenaires confiants

Flou pour les autorités wallonnes, le business plan de Didier Hodiamont l’est en revanche beaucoup moins pour les investisseurs qui ont décidé de croire en lui. Même s’il aura besoin de 100 fois plus d’argent pour aller au bout de son rêve, le concepteur des Géants de la Musique peut déjà se targuer d’avoir fait grimper le capital de sa société Dreamgest à 1,2 millions d’euros. Parmi les investisseurs, on trouve des internautes qui soutiennent financièrement le projet via le système du crowdfunding, d’autres personnes qui ont acheté des obligations privées et surtout des partenaires beaucoup plus solides comme Wow Technology. Spécialisée dans la robotique et l’automatisation de lignes de production industrielle, cette société namuroise qui affiche 8 millions de chiffre d’affaires est n°1 mondial de la fabrication des “boules à vagues” que l’on retrouve dans les parcs aquatiques. “J’ai personnellement investi plus d’un demi-million d’euros dans l’aventure car je crois au projet depuis le début, confie Joël Demarteau, administrateur délégué de Wow Technology. Didier Hodiamont a fait ses preuves dans le business et je suis persuadé que nous arriverons à lever d’autres fonds, belges ou étrangers, quitte à démontrer une fois de plus que nul n’est prophète en son pays”.

L’argent reste évidemment le nerf de la guerre. Mais le concepteur des Géants de la Musique se dit toutefois optimiste. Il prétend être en contact avec un émir du Koweit pour financer le projet _ difficile à vérifier _ et, selon nos informations, un grand nom belge du private banking ainsi que la société Leleux Associated Brokers se seraient manifestés pour aider Dreamgest à lever de nouveaux fonds. Quant à l’aménagement du site proprement dit, “les entreprises Eiffage et Besix ont déjà marqué leur intérêt pour accompagner ma réflexion dans la conception du futur parc et son éventuelle concrétisation en 2019”, affirme Didier Hodiamont.

A voir maintenant si Les Géants de la Musique s’élèveront en France ou dans un autre pays. A moins qu’ils ne reviennent finalement en Wallonie, après un ultime coup de théâtre. “J’ai eu beaucoup de soucis au démarrage de Pairi Daiza, conclut le fondateur Eric Domb, mais je n’en ai voulu à personne. Ma conviction est qu’il n’est pas plus difficile d’entreprendre ici qu’ailleurs. Certes, on a le droit de ne pas croire en nos idées et donc de ne pas oser les financer, mais je pense que l’avenir de la Région wallonne repose justement, en grosse partie, sur l’envie des entrepreneurs d’oser leurs ambitions. Or, cette ambition n’est pas soutenue par la collectivité. On préfère souvent la médiocrité au succès”. Triste constat d’un homme qui a pourtant fini par réaliser son rêve.

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