Pourquoi l’empire Moulinsart ne vacillera pas

Nick Rodwell © Reuters

Le tribunal de La Haye vient de semer le trouble dans l’univers de Tintin. Son verdict, pourtant, risque bien de n’être qu’un pétard mouillé.

Coup de tonnerre (de Brest) sur la planète Tintin ! En donnant raison à un fan-club d’Hergé opposé à la société Moulinsart qui gère l’exploitation des droits dérivés de l’oeuvre du dessinateur, le tribunal de La Haye a surpris tous les tintinophiles. Dans son verdict, la justice néerlandaise s’est en effet appuyée sur un document “oublié” — un contrat signé en 1942 — qui stipule noir sur blanc que “Georges Remi (alias Hergé) concède aux Etablissements Casterman le droit exclusif de publication de la série des albums Les Aventures de Tintin”. Autrement dit, il reviendrait à Casterman et non pas à Moulinsart de décider seul qui peut utiliser ou non les vignettes d’un album d’Hergé dans ses publications.

La décision du tribunal de La Haye va-t-elle pour autant faire vaciller l’empire Moulinsart et Nick Rodwell, gardien intransigeant du temple hergéen ? Contacté par nos soins, le directeur de la société bruxelloise n’a pas souhaité répondre à nos questions, se contentant de préciser que “tout est dans les mains de nos avocats”. Traduction : le mari de Fanny Rodwell, héritière des droits sur l’oeuvre d’Hergé, ne va pas se laisser faire et les observateurs les plus attentifs misent déjà sur un pourvoi en cassation. “L’affaire est loin d’être terminée car les enjeux sont importants, note Alexandre Cruquenaire, avocat associé chez Philippe & Partners. Mais il pourrait y avoir encore un retournement de situation car, dans ce verdict, tout n’est qu’une question d’interprétation au sujet des vignettes des albums.”

Tempête dans un verre d’eau

Présenté comme un “coup de théâtre”, le fameux contrat d’Hergé était pourtant bel et bien connu des tintinophiles avertis. Depuis 1942, Casterman gère effectivement les droits d’exploitation des albums de Tintin et verse en conséquence à l’ayant-droit Fanny Rodwell 10 % du prix de vente de chaque album vendu, soit un bon million d’euros par an. A côté de ça, la société Moulinsart veille quant à elle sur l’exploitation des droits dérivés de l’oeuvre d’Hergé au sens large (vêtements, figurines, agendas, objets de décoration, etc.), un business qui flirte en moyenne avec les 15 millions de chiffre d’affaires annuel et qui n’est absolument pas remis en cause ici.

Ce n’est donc pas l’arrêt du tribunal de La Haye qui va faire tanguer Moulinsart ni compromettre les droits d’auteur que touche Fanny Rodwell chaque année. D’autant plus que les tribunaux belges éventuellement saisis ne sont pas tenus de suivre le verdict néerlandais. Tout au plus — et encore faut-il que les avocats de Moulinsart perdent en cassation — l’exploitation proprement dite des vignettes des albums de Tintin échappera désormais à la stricte vigilance de Nick Rodwell. Mais rien ne dit non plus que Casterman et Moulinsart ne travailleront pas davantage main dans la main pour veiller scrupuleusement à l’utilisation de ces mêmes vignettes dans le futur. Depuis 2012 et la reprise de Flammarion (qui possédait Casterman) par Antoine Gallimard, les relations entre les deux maisons n’ont jamais été aussi bonnes. A la rigueur, on peut donc s’attendre à un léger changement de stratégie de Nick Rodwell qui pourrait “s’assouplir” davantage. Mais pas à un cataclysme financier.

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