LoveMEATender : la pub est dans le pré

© Philippe Pierquin

Réalisateur convoité dans les hautes sphères publicitaires, le Belge Manu Coeman s’essaie au reportage socio-économique avec un premier documentaire sur l’élevage industriel. Gros plan sur un esthète engagé.

Personne ne le connaît ou presque. Du moins dans les allées des supermarchés. Car dans le petit monde de la pub, ce type est une star. Genre : dans le Top 5 des réalisateurs belges qui tournent régulièrement à l’étranger et qui empochent massivement les récompenses internationales. Les spots “Spa, l’eau qui purifie” avec ces gens imbuvables qui reçoivent un verre d’eau en pleine tronche, vous vous souvenez ? C’est signé Manu Coeman. Tout comme cette pub pour les sauces Calvé où un ado lèche le poster d’une bimbo malencontreusement tâchée par l’explosion de son hot-dog. Ou encore ces petits films généralement décalés pour Tabasco, Renault, Léo, Belgacom, Coca-Cola, Studio Brussel, Twix, KBC, La Ligue Braille… Et on va s’arrêter là.

Car la liste est très longue. En 14 ans de réalisation, ce ne sont pas moins de 300 spots que ce diplômé de l’IAD a en effet signés pour les plus grandes marques de produits et de services, faisant grimper un peu plus chaque jour sa cote de popularité dans les agences de pub. Sans compter les nombreux prix qu’il a empochés, des fameux Lions de Cannes aux tout aussi enviés Eurobest, en passant par les trophées Effie et autres CCB Awards.

Mais si Manu Coeman est aujourd’hui dans l’actualité, c’est parce qu’il a osé récemment franchir le cap du reportage avec un documentaire percutant sur les ravages de l’élevage industriel (lire l’encadré ci-dessous). “Cela faisait des années que mon beau-frère Yvan Beck, qui est vétérinaire et auteur du livre L’animal, l’homme, la vie, me bassinait avec cette thématique, se souvient Manu Coeman. Dans les dîners de famille, je me suis laissé peu à peu convaincre de me lancer avec lui dans l’aventure d’un documentaire sur le monde de la viande et le projet de LoveMEATender a abouti au bout de deux ans de travail.”

Radio Télévision Maredsous

Truffé de gimmicks visuels puisés dans son histoire publicitaire, ce reportage prochainement diffusé sur La Une (RTBF) n’est en définitive, que l’aboutissement somme toute logique d’un parcours professionnel déjà entamé à l’adolescence. Né d’un père courtraisien et d’une mère écossaise il y a 43 ans, Manu Coeman est un parfait trilingue – anglais, néerlandais, français – qui a eu la révélation de “l’image” lorsqu’il était pensionnaire au collège Saint-Benoît de Maredsous.

Ce petit dernier d’une famille de sept enfants est en effet invité par un surveillant de l’école à créer avec lui Radio Télévision Maredsous, un rendez-vous quotidien mélangeant les infos locales et nationales. L’adolescent de 14 ans se prend au jeu et lorsqu’il émet l’idée, à la fin de ses humanités, d’entreprendre des études de réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion à Louvain-la-Neuve, son père le renvoie gentiment sur le droit chemin ou plutôt le chemin du droit à l’ULB. Après l’intervention du surveillant de Maredsous convaincu du réel potentiel cinématographique de son élève, le paternel acceptera finalement le deal suivant : deux années d’université “classique” – que Manu ne réussira pas ! – avant de rejoindre l’IAD dont il accomplira le cycle le de quatre ans les doigts dans le nez.

Son diplôme de réalisateur en poche, le jeune Courtraisien commence alors sa “nouvelle” carrière en 1992 sur le film à sketches Les Sept Pêchés Capitaux comme assistant du réalisateur belge Pascal Zabus pour le volet La Pauvreté. Cette expérience lui ouvre les portes de différentes boîtes de production. Trilingue et talentueux, Manu Coeman multiplie les tournages de pub et assiste peu à peu de grands noms du cinéma tels que Gérard Pirès ou Elie Chouraqui venus faire un petit détour par la case publicité. Parallèlement à cette expérience enrichissante, l’assistant nourrit également le projet de la réalisation d’un premier court-métrage de fiction avec Ivan Goldschmidt, Ketchup, qu’il tourne en 1998 et qui décroche quelques récompenses dont un Grand Prix au FIFF de Namur.

Cette consécration propulse instantanément Manu Coeman au poste de réalisateur convoité dans les boîtes de pub bruxelloises, mais surtout parisiennes. “Je suis arrivé à l’époque où les Belges étaient de plus en demandés en France, confie l’auteur de LoveMEATender. Parce que nous avons une vraie connaissance technique de l’outil cinéma et parce que nous avons surtout cet humour particulier que les Français n’arrivent pas à qualifier mais qui leur plaît terriblement.”

Depuis, l’homme de pub a signé plus de 300 spots et un documentaire sur l’élevage industriel. S’il rêve aujourd’hui de revenir très vite au cinéma “pur et dur”, sa récente expérience de réalisateur engagé ne l’a pas pour autant éloigné du monde du publicité. “Il est vrai que je me vois mal, aujourd’hui, faire une pub pour Quick ou McDo, reconnaît Manu Coeman, mais il n’y a aucune raison de cracher dans la soupe pour autant. Car c’est la publicité qui m’a mené à ce documentaire. C’est elle qui, à travers la réalisation, m’a donné la possibilité d’avoir un £il vif et une façon particulière de filmer. Alors, c’est vrai qu’il peut y avoir, a priori, une certaine antinomie entre la démarche publicitaire et le souci du développement durable, mais je n’ai pas le sentiment de vendre mon âme au diable en continuant ce métier qui me plaît.”

Toujours féru de pub (il travaille actuellement sur le prochain spot de Douwe Egberts), ce papa de deux enfants admet cependant qu’il va réduire fortement sa production “commerciale” pour laisser désormais plus de place à la fiction et au documentaire. A long terme, il compte même remettre le couvert avec son beau-frère Yvan Beck pour une thématique sur le bonheur, mais dans l’immédiat, c’est un premier long métrage qu’il veut mener à bien en tant que réalisateur : Half & Half, une comédie douce-amère qu’il tournera idéalement l’été prochain et qui mettra en scène Wallons et Flamands dans une jolie guerre de clichés. “Ce sera un Rabbi Jacob à la belge qui sera coproduit par les deux communautés et où les acteurs joueront chacun dans leur propre langue”, conclut Manu Coeman avec le sourire. Un autre Love me Tender, en quelque sorte.

Frédéric Brébant

Vachement bon

C’est un documentaire gentiment saignant qui débarque sur les écrans de la RTBF lundi soir (17 octobre). Un documentaire qui s’interroge sur l’industrialisation à outrance du secteur de l’élevage, mais avec une approche visuelle plutôt explosive qui est l’apanage des vrais pros de la pub. Sur une idée originale du vétérinaire activiste Yvan Beck, le film LoveMEATender a en effet été réalisé par Manu Coeman dans un style riche, créatif et enlevé, sans pour autant dénaturer l’importance des enjeux épinglés.

Car ce reportage qui ravira un public de 7 à 77 ans décortique de manière enjouée le concept même de l’élevage industriel initié par une agriculture désormais nuisible à l’équilibre de la planète, à la santé publique et au bien-être animal. De la Bretagne à la forêt amazonienne, en passant par l’Inde et le Sénégal, LoveMEATender joue avec brio la carte de la conscientisation sans tomber pour autant dans les travers habituels de la culpabilisation. Bref, un documentaire brillant, ludique et touchant qui invite non pas les spectateurs à devenir nécessairement végétariens, mais à (ré)apprendre, in fine, à manger de “la viande heureuse”.

“LoveMEATender”, ce lundi 17 octobre à 22 h 25 sur La Une (RTBF).

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