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Prêt-citoyen : prêts, citoyens ?

Le citoyen est-il prêt à consacrer une partie de son épargne à une finalité dite “sociale”, telle que le financement d’hôpitaux et d’écoles ? Tel est en effet le but premier de cet emprunt populaire, officiellement appelé “prêt-citoyen thématique”, dont le gouvernement a donné le coup d’envoi la semaine dernière. La vraie question étant en réalité : si oui, à un prix d’ami ou au taux du marché ?

Dans la première hypothèse, le prêt-citoyen s’apparenterait à une bonne action et serait franchement sympa. Dans la seconde, la seule envisagée semble-t-il, l’intérêt de l’opération ne saute pas aux yeux. L’épargne est en effet surabondante en Belgique et les banques peuvent à satiété puiser dans des carnets de dépôt qui ne leur coûtent souvent guère plus de 1 %, voire moins. Avec un prêt-citoyen bloqué pour cinq ans, il faudra offrir beaucoup plus !

On objectera que ce prêt-citoyen a pour particularité de dédier spécifiquement les sommes récoltées au financement d’écoles, hôpitaux et autres maisons de repos, sans oublier le crédit aux PME, domaines dans lesquels les banques seraient trop frileuses. Il serait donc utile en comblant certaines lacunes. Par ailleurs, il porte sur cinq ans au minimum. Il s’inscrit donc dans une logique de long terme, en opposition avec le carnet de dépôt, et offre de ce fait une sécurité accrue aux banques, qui devront d’ailleurs prêter l’argent ainsi récolté pour sept ans au moins.

Ces deux caractéristiques de l’emprunt populaire constituent-elles pour autant de fabuleuses qualités ? Pas sûr. La liquidité du carnet de dépôt n’empêche pas les banques de prêter à cinq ou sept ans. C’est le très long terme qui leur pose problème, suite aux exigences de liquidité imposées par la réglementation Bâle III, soit les financements à 20 ou 25 ans. Précisément les durées qui sont de mise pour les écoles, hôpitaux, etc. Certains considèrent du reste qu’un financement bancaire pour de telles durées est une aberration !

Aux Etats-Unis, les pouvoirs locaux financent de pareilles infrastructures en émettant des obligations, achetées par des particuliers comme par des investisseurs institutionnels. C’est un marché colossal, qui frise les 4.000 milliards de dollars. Ailleurs, ce sont plutôt les assureurs et fonds de pension qui sont candidats. Normal : ils ont des engagements à très long terme et sont donc intéressés par des investissements de durée comparable. Telle est d’ailleurs l’option qui se dessine de plus en plus chez nous aussi. Elle se dessinerait plus encore si la Belgique n’était si pauvre en fonds de pension… et si les règles de Solvency II qui prévalent pour les assureurs ne favorisaient aussi outrageusement l’investissement en obligations d’Etat que le fait Bâle III pour les banques.

On n’oubliera pas les partenariats public-privé, ces fameux PPP, qui jouent aujourd’hui les vedettes dans le domaine du financement des infrastructures à long terme. Ils fonctionnent bien, mais ils ont un prix, objectent certains : une entreprise privée se finance à un taux sensiblement plus élevé que l’Etat. Tel est finalement le noeud du problème : en Belgique comme ailleurs, c’est pour ne pas alourdir son déficit budgétaire et sa dette publique que l’Etat ne finance plus lui-même une part croissante des infrastructures. Mais il paie plus cher, puisque c’est lui qui règle au final la facture de ces infrastructures publiques. Pour en revenir au prêt-citoyen, nul ne doute qu’il devra offrir sensiblement plus que le 1,26 % à peine auquel l’Etat belge emprunte aujourd’hui à cinq ans. Pour paraphraser le célèbre avertissement donné au consommateur : ne pas emprunter de l’argent soi-même coûte aussi de l’argent. Sur ce plan, le prêt-citoyen thématique n’apporte rien de neuf.

GUY LEGRAND

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