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Zone euro: “Esprit critique, es-tu là?”

La saga politique italienne, qui a mené finalement à l’intronisation d’un gouvernement populiste et eurosceptique, fait resurgir le spectre d’une implosion de la zone euro. Le cas grec a certes montré que si des partis extrémistes peuvent annoncer vouloir changer radicalement la politique intérieure et l’Europe, les réalités économiques et juridiques ne peuvent être niées une fois au pouvoir.

Dans le cas grec, cela a amené les nouveaux dirigeants à adoucir leur propos. Mais le cas italien pourrait être différent : il s’agit de la troisième économie de la zone euro. Dès lors, compte tenu des liens importants entre l’Italie et les autres pays de l’union monétaire, les dégâts en cas de divorce seraient bien plus importants, si ce n’est irréversibles pour la survie de l’euro. Les nouveaux dirigeants italiens le savent très bien, et comptent s’en servir. Il ne faut donc pas prendre la situation italienne à la légère. Puisque les questions de l’Italie et du futur de la zone euro vont probablement revenir au-devant de la scène médiatique dans les prochains mois, un rappel du sens critique par rapport à ce qui est déjà et pourra encore être dit ou écrit me semble plus que nécessaire.

Il ne faut pas le nier, l’implosion de la zone euro est un scénario possible. A l’été 2012 déjà, il s’en est fallu de peu pour que l’union monétaire vole en éclats. Un tel développement mérite donc sa place dans le débat économique et dans les médias. Par contre, considérer à ce stade un tel scénario comme LE scénario ayant la plus forte probabilité de se matérialiser relève, selon moi, de l’opportunisme. En effet, il vaut mieux toujours prévoir le pire : s’il arrive effectivement, vous passerez pour un gourou. S’il n’arrive pas, on vous le pardonnera, puisque le pire n’est pas arrivé et que tout le monde en est soulagé.

La zone euro n’est pas une zone monétaire optimale, ce qui rend sa construction incomplète.

Ayons donc une lecture critique des commentaires qui sont faits sur la question de l’Italie et du futur de la zone euro. Celui qui aujourd’hui prend comme hypothèse de base (et non comme scénario de risque) la fin prochaine de la zone euro va-t-il au bout de son raisonnement ? Ouvre-t-il un compte bancaire en Allemagne pour y placer le gros de ses avoirs, tout en laissant le reste en or dans un coffre ? S’il ne le fait pas, il y a quelque chose d’incohérent dans son propos.

Par ailleurs, quand l’euro tremble, la tentation est grande d’incriminer l’euro lui-même : ” la monnaie unique servait d’abord les intérêts financiers “, ” l’euro n’aurait jamais dû exister “, ” c’était perdu d’avance ” sont des choses qu’on a pu lire souvent durant les années de crise, sans oublier l’éternel ” je l’avais dit “. Là aussi, un bon esprit critique me semble nécessaire. La zone euro n’est effectivement pas une zone monétaire optimale, ce qui rend sa construction incomplète. Elle est le fruit d’une réflexion qui remonte aux années 1970 (plan Barre et plan Werner).

Durant cette longue période, les réalités économiques et politiques ont changé. Dès lors, le produit final tel qu’il a été implémenté à la fin des années 1990 n’était peut-être pas la meilleure des solutions. Mais incriminer la construction de l’euro elle-même comme seule responsable de ses problèmes ou même de sa future implosion est réducteur. L’avènement de l’euro imposait également des devoirs à chaque Etat membre, en matière de finances publiques, d’évolution des salaires ou encore de productivité. Ces devoirs n’ont jamais été pris à bras le corps, en Italie, en Belgique ou même en Allemagne par les gouvernements successifs.

Dès lors, si un jour l’aventure de l’euro devait prendre fin, il ne faudra pas oublier une autre explication à cette triste fin : le problème n’était peut-être pas la construction elle-même, qui sur le fond avait bel et bien prévu des garde-fous pour assurer sa viabilité, mais était le non-respect, par les Etats membres, des contraintes qu’imposait l’appartenance à une union monétaire. Cela me fait un peu penser aux étudiants qui, dans deux semaines, viendront me voir en me disant qu’ils ont raté mon examen parce qu’il était difficile. S’ils avaient un esprit (auto-) critique suffisant, ils n’en oublieraient pas l’autre explication possible : ils n’ont pas suffisamment étudié…

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