Voici le montant des provisions de campagne accumulées par les partis politiques

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Depuis le scrutin de 2014, les partis politiques ont largement renfloué leurs cagnottes électorales. Mais ils ne peuvent pas utiliser ces moyens, essentiellement publics, comme bon leur semble.

La Belgique politique est entrée dans ” la période de prudence ” : désormais, les dépenses effectuées par les candidats aux élections communales et provinciales du 14 octobre prochain sont soumises au contrôle officiel. Celui-ci porte, d’une part, sur le type de dépenses, avec l’interdiction des gadgets (jeux de cartes, stylos, sacs, fleurs, fruits, etc.), des spots radio et télé, ainsi que des affiches de plus de 4 m2. Et, d’autre part, sur leur volume, qui va de 4.000 à 100.000 euros par liste, selon le nombre d’électeurs inscrits dans la commune ou le district provincial.

La période de prudence s’étale très exactement sur trois mois en Wallonie et à Bruxelles, et un peu plus en Flandre où elle a débuté le 1er et non le 14 juillet. Chaque euro est donc désormais bel et bien compté. Depuis le dernier scrutin, les partis ont eu le temps de mettre pas mal de moyens en réserve. Entre 2014 et 2017, la trésorerie mobilisable par l’ensemble des formations politiques est passée de 28 à 109 millions d’euros.

Dans ce montant, 33 millions sont clairement affectés à des ” provisions pour propagande électorale “. Ces provisions avaient été bien asséchées en 2014 mais, depuis, les partis y ont injecté 23 millions d’euros. ” Ces chiffres sont juste une présentation des résultats, nuance Raymond Molle, un ancien de la Cour des comptes, désigné comme expert auprès de la Commission de contrôle des dépenses électorales. Ils montrent un accent, une intention mais ils n’engendrent aucune obligation comptable. Les partis restent libres de l’affectation de ces montants. ”

Ecolo a ainsi pu utiliser une partie de sa provision pour financer un plan social après la défaite électorale de 2014 qui a considérablement réduit ses moyens. Ce parti est le seul dont la provision électorale est plus faible aujourd’hui qu’en début de législature. A l’inverse, le cdH est le seul qui a le plus gonflé sa provision (+ 3,8 millions), juste devant l’Open Vld et le sp.a. Un indice des partis qui risquent le plus gros dans les scrutins à venir ?

Des règles… à contourner

Défi n’a pas placé le moindre euro dans sa provision électorale. Mais il utilisera les 580.000 euros disponibles de sa trésorerie. C’est là que se situent les vraies réserves des partis, les chiffres probants pour comparer les forces de frappe des uns et des autres. Et ici, la N-VA écrase tout le monde avec plus de 23 millions d’euros disponibles. ” Un parti aussi riche, aussi loin devant les autres, c’est du jamais vu dans notre histoire politique, constate Jef Smulders, politologue à la KU Leuven et spécialiste des finances des partis politiques. On peut vraiment dire qu’il y a la N-VA… puis, tous les autres. ”

Cette inégalité financière est compensée par le plafonnement des dépenses, à la fois par liste et par candidat. Tout est ici comptabilisé, des affiches à la location du QG de campagne, en passant par les frais de timbre, l’impression de tracts, la réalisation d’un site web, les autocollants (même s’ils ont été livrés avant la période de prudence) et même les tournées de boissons payées par les candidats en campagne. Bon, on vous l’accorde, dans la pratique, il n’est pas toujours évident de vérifier tout cela mais, au moins, l’encadrement existe.

Il y a toutefois moyen de jouer avec les limites du cadre. Peut-être avez-vous reçu le 10 ou 12 juillet, juste avant le début de la période réglementée, un toute-boîte à la gloire d’une liste… Peut-être verrez-vous des affiches avec deux ou trois candidats, ce qui permet de répartir la dépense et d’éviter de dépasser le plafond légal. Peut-être allez-vous assister au bal du bourgmestre qui, comme par hasard, se tient chaque année le dernier samedi de septembre. S’il s’agit d’une activité récurrente, elle n’est pas considérée comme une dépense électorale (mais interdiction d’y distribuer des gadgets électoraux ! ).

Les partis vivent des dotations publiques

Ces règles d’utilisation se justifient car les finances des partis proviennent essentiellement des dotations publiques. Elles représentent en moyenne 78 % de leurs revenus. La proportion grimpe jusqu’à 86 % pour la N-VA (de loin le parti le plus riche, avec un actif de 43 millions d’euros), 91 % pour le cdH et carrément 94 % pour l’Open Vld. Comme quoi, on peut afficher un programme prônant une limitation des dépenses publiques sans pour autant rechigner à se nourrir goulûment de subsides… ” Les partis doivent être financés correctement mais à un moment donné, il faudrait peut-être songer à plafonner leurs moyens, commente Olivier Maingain, président de Défi, l’un des partis les plus chichement dotés (nous y reviendrons). Il y a également un débat à mener sur l’utilisation de ces moyens, sur le type de placements autorisés. N’oublions pas que nous parlons d’argent public. ”

Les nouveaux partis n’ont aucune dotation publique mais sont soumis aux mêmes règles de financement privé et de dépenses admises que les autres.

Ce financement a été mis en place en 1989, dans un souci d’indépendance des partis politiques. Jusque-là, ils finançaient leurs campagnes électorales grâce aux contributions d’entreprises et mécènes qui, précisait l’exposé des motifs de la loi de 1989, ” souhaitent entrer dans les bonnes grâces d’hommes politiques, éventuellement dans l’espoir d’être un jour payés de retour “. Les affaires Agusta et Dassault ont bien montré l’importance de ces possibilités de ” renvois d’ascenseur “.

Depuis, nous avons donc un financement public des partis qui, proportionnellement, atteint un niveau record en Europe. Ces moyens sont versés par les différentes assemblées en fonction du nombre d’élus, de l’existence ou non d’un groupe politique et du nombre de voix recueillies aux élections. Et cela peut vite chiffrer : avec un seul député fédéral, le Parti Populaire reçoit une dotation annuelle de la Chambre de 500.000 euros ! ” Il y a des effets de seuil très importants dans les dotations, souligne Daniel Burnotte, administrateur général d’Ecolo. Il nous manque un élu pour former un groupe au Parlement wallon (cinq députés) et cela nous prive de 500.000 euros. Pour un seul parlementaire. La variabilité des moyens est trop grande. ”

A la Chambre, le système est différent : tous les partis ayant au moins un député reçoivent une dotation en fonction du nombre de voix récoltées, même dans les circonscriptions où ils n’ont pas décroché de siège. La condition est d’avoir présenté une liste dans chaque circonscription d’une Communauté ou d’une Région. Cela signifie-t-il qu’il faut des listes dans chaque circonscription d’une Communauté pour comptabiliser les voix dans l’ensemble des circonscriptions de cette Communauté ? Oui, a répondu la Commission de contrôle des dépenses électorales, qui n’a donc pas intégré les voix récoltées en Brabant flamand dans le calcul de la dotation de Défi et du Parti Populaire. ” Un scandale, une volonté de nuire, tonne Olivier Maingain. C’est un choix politique pour que des partis francophones ne se présentent plus en Flandre. “

Voici le montant des provisions de campagne accumulées par les partis politiques

Quand la justice s’en mêle

Il a assigné en justice le président de la Chambre dans l’espoir de récupérer quelque 200.000 euros. Défi a également déposé une plainte au Conseil de l’Europe. Le PTB, parti national, pourrait aussi revendiquer la comptabilisation des voix recueillies en Flandre, même s’il n’y a pas obtenu de siège de députés. Il y gagnerait 250.000 euros par an.. Ce n’est pas l’unique combat juridique pour le financement de Défi. Le parti réclame des arriérés de dotation au MR, à la suite de l’éclatement du cartel entre les deux partis en 2011. Le parti libéral avait alors conservé la totalité de la dotation publique, alors que Défi estime avoir droit à la part correspondant à ses députés (2 ou 3 sur 18, selon les moments de la législature) et aux voix recueillies par ses candidats. Le CD&V et la N-VA avaient adopté cette formule de répartition, quelques années plus tôt, lors de l’éclatement de leur cartel. Défi a obtenu gain de cause en première instance mais le MR a fait appel du jugement. Le contentieux (qui porte sur 800.000 euros, intérêts inclus) ne devrait pas être tranché avant 2020.

Défi ne peut donc compter sur cet apport pour financer les deux prochains rendez-vous électoraux. C’est d’autant plus crucial que l’expansion wallonne du parti augmente ses besoins. Or, Défi est l’unique parti à n’avoir strictement aucune ” provision pour propagande électorale “. Il dispose tout juste de 500.000 euros en trésorerie. ” Nous devrons recourir à l’emprunt, comme en 2014, concède Olivier Maingain. Mais je peux vous assurer que les discussions avec les banques sont beaucoup moins difficiles qu’alors… ” Une allusion aux sondages plutôt favorables pour l’instant.

La situation est encore plus compliquée pour les nouveaux partis : ils n’ont aucune dotation mais sont soumis aux mêmes règles de financement privé et de dépenses admises que les autres. ” Alors, on sort les rames “, sourit Walter Fetrin, cofondateur du parti Oxygène, qui présente des listes dans une quinzaine de communes wallonnes et au moins trois provinces. Les sympathisants et les candidats devront y aller de leur portefeuille s’ils veulent gagner de la visibilité. ” C’est un moyen supplémentaire pour étouffer les initiatives nouvelles et tous ceux qui n’ont pas une structure forte derrière elle “, regrette Walter Fetrin.

Pour équilibrer un peu le jeu, Jef Smulders (KU Leuven) suggère de s’inspirer de l’exemple allemand. Les partis y bénéficient de dotations publiques mais celles-ci sont proportionnelles aux fonds récoltés auprès des membres et sympathisants. ” Les partis sont alors stimulés à se tourner vers leur base et à entretenir un lien actif avec elle, dit-il. Cette façon de faire pourrait peut-être renforcer, en Belgique aussi, la relation entre le citoyen et la politique. ”

A l’heure actuelle, les partis qui perçoivent le plus de cotisations de leurs membres sont le PTB (1,3 million) et le PS (530.000). Si on ajoute les rétrocessions des élus, nous avons cinq partis où les recettes propres dépassent les 15 % de l’ensemble du budget : le PS (2,7 millions ! ), le sp.a, le PTB, Défi et Ecolo. Ne tirons toutefois pas de conclusion trop rapide : si l’importance des fonds propres devenait un critère d’obtention des subsides, tous les partis se montreraient sans doute plus actifs dans les levées de fonds.

“Etre capable de lever des fonds atteste de la dynamique d’une campagne”

Voici le montant des provisions de campagne accumulées par les partis politiques
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La liste menée par Georges-Louis Bouchez à Mons innove en lançant une opération de ” crowdfunding ” pour financer sa campagne pour les communales.

TRENDS-TENDANCES. A la mi-juillet, vous n’aviez récolté que 1.500 euros, via une dizaine de contributeurs. Les citoyens sont-ils prêts pour le crowdfunding politique ?

GEORGES-LOUIS BOUCHEZ. Nous allons seulement intensifier la promotion de cette initiative. Notre objectif de 5.000 euros est raisonnable et je suis convaincu que nous allons l’atteindre. Nous pourrions même lancer une autre opération ensuite. Les partis ont toujours reçu des dons de citoyens mais avec le crowdfunding, nous ouvrons les fenêtres. Ce n’est pas de l’argent donné dans une arrière-salle, c’est transparent, c’est public.

Etre capable de lever des fonds, d’attirer des donateurs alors que ce n’est pas dans les moeurs chez nous, cela atteste de la dynamique d’une campagne. L’élection d’Emmanuel Macron en fut un excellent exemple. Cela ouvre le jeu car dans notre système actuel de financement public, les nouveaux ou les plus petits partis sont clairement défavorisés.

Le financement public ne constitue-t-il pas, malgré tout, un rempart contre la corruption ou, à tout le moins, les discrets renvois d’ascenseur ?

Les règles actuelles permettent un relatif encadrement, c’est vrai. Mais elles ne bloquent pas tout le monde de la même manière. Les plus grands partis ont plus de moyens de les contourner. Notre système est hypocrite. Qui peut dire exactement combien j’ai dépensé lors de ma dernière campagne ? Qui peut vérifier si j’ai fait imprimer 8.000, 12.000 ou 14.000 affiches ? Je souhaite ouvrir plus largement au financement privé, mais avec une obligation de transparence et des contrôles renforcés. Si vous savez que l’entreprise X a donné telle somme à un candidat, vous pouvez vérifier après si elle infléchit les décisions de l’élu.

Souhaitez-vous le maintien du plafonnement des dépenses électorales ?

A nouveau, nous sommes dans l’hypocrisie. La plupart des candidats n’atteignent pas la moitié de ce plafond. Mais quelques-uns, parce qu’ils ont le financement de leur parti par exemple, dépassent de loin ce plafond et en parfaite légalité. L’argent est vraiment une grande injustice en politique, les gens l’ignorent souvent. Je plaide pour que chacun mène sa campagne comme il veut mais dans la transparence absolue. Il faut que les gens sachent, après, combien chacun a exactement dépensé. C’est une donnée politique qui mérite d’être connue.

Si l’on veut maintenir un financement public, on pourrait aussi le concevoir autrement : un budget de campagne est alloué à chacun, avec des moyens versés en remboursement de factures. Les moyens publics contribueraient ainsi à assurer une forme d’équité entre les candidats, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Encore des chiffres

297,12 euros

Un candidat aux élections communales dépense en moyenne 297,12 euros pour sa campagne, selon les calculs de Vives (centre d’études de la KU Leuven) sur la base des listes en présence en 2012 dans l’arrondissement de Louvain. Une moyenne très théorique puisque près de la moitié des candidats (43,4%) ne dépensent strictement rien pour faire campagne.

500 euros

Un citoyen peut accorder un don de maximum 500 euros à un parti. Mais il peut répéter l’opération quatre fois pour différents destinataires. ” L’individu qui souhaite offrir 2.000 euros à un parti déterminé peut le faire facilement en favorisant quatre instances différentes de ce parti “, souligne Jef Smulders. Les dons aux partis ne sont pas déductibles fiscalement et les noms des donateurs de plus de 125 euros doivent être communiqués à la Commission de contrôle parlementaire.

1.250 euros

Le plafond de dépenses électorales autorisées pour un candidat est de 1.250 euros dans les petites communes. Il peut monter jusqu’à 6.000 euros pour Liège et Charleroi (le montant précis est défini en fonction du nombre d’électeurs). Les partis peuvent, en outre, dépenser jusqu’à 100.000 euros (à nouveau selon le nombre d’électeurs) en faveur d’une liste communale ou de ” figures de proue ” sur cette liste.

754.806 euros

L’an dernier, les partis ont reçu 754.806 euros en dons et legs. Le chiffre devrait être divisé par 10 si l’on retire des actions exceptionnelles en faveur du PTB et, surtout, du CD&V. Globalement, on constate que ces partis, ainsi que le cdH et Ecolo, reçoivent un peu plus de dons que les autres. En 2017, socialistes et libéraux avaient même des compteurs à zéro ou presque. Explication : la comptabilité nationale n’intègre pas les dons aux sections locales, réceptacles les plus fréquents pour ces partis. Le Conseil de l’Europe recommande d’ailleurs à la Belgique de prendre en compte les instances locales des partis.

Placer son argent, un choix politique !

Les partis restent libres d’affecter leur argent comme bon leur semble. Ils semblent très prudents dans leurs placements. Pour Défi, c’est simple : ils sont tellement à l’étroit qu’à peu près tout le budget reste sur le compte courant, avec juste quelques dépôts à terme.

Les Verts placent, eux, leur argent sur des comptes-épargne éthiques de Triodos. ” Nous préférons investir dans des projets plutôt que placer notre argent “, confie Daniel Burnotte. Il cite l’exemple de l’espace Kegeljan à Namur, aménagé avec des associations proches du parti et où travaillent aujourd’hui une centaine de personnes ; ou l’exemple de la coopérative créée avec Groen pour acheter un local bruxellois commun aux deux partis. Les libéraux répartissent leur argent entre le compte courant, le compte-épargne classique et, ” pour diversifier un peu “, dans des placements socialement responsables (SRI). ” Nous ne cherchons pas la rentabilité absolue, nous évitons d’investir dans les matières premières ou les industries d’armement, par exemple, précise Jean-Philippe Rousseau, secrétaire général du MR. Nous gérons avec la prudence d’un bon père de famille car les moyens doivent toujours rester disponibles pour financer une campagne. ” Le cdH assume aussi une gestion financière “prudente”. Ses réserves sont placées pour l’essentiel sur des livrets d’épargne et le solde (10%) est investi dans des sicav de trésorerie.

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