‘Surévaluer délibérément les recettes fiscales ? Je ne suis pas masochiste’

Johan Van Overtveldt (N-VA), ministre des Finances et de la Lutte contre la fraude © Franky Verdickt

Après la signature de l’accord de Saint-Nicolas, le ministre des Finances remporte la partie: l’impôt des sociétés va diminuer. Johan Van Overtveldt répond à la critique selon laquelle la création d’emploi ne serait qu’une conséquence de la croissance économique. Et il se montre dur envers son propre budget: “Nous n’avons pas fait ce que nous avions promis.”

Sa transition vers la politique permet à Johan Van Overtveldt (N-VA) de traduire en actes les critiques acerbes qu’il exprimait du temps où il était rédacteur en chef du Trends néerlandophone. Mais entre rêve et réalité, des lois et des obstacles pratiques se trouvent, pour lui aussi, en travers de la route.

Le ministre des Finances a fait l’objet de critiques, car ses prévisions concernant les recettes n’étaient pas exactes. À la veille de l’accord de Saint-Nicolas, il a été critiqué par les membres de la coalition parce que les effets budgétaires de la diminution de l’impôt des sociétés auraient été évalués trop positivement. Sans succès. Sa proposition n’a quasiment pas été modifiée. Au cours de l’entretien, il signe le document concernant cette réforme. “Voilà, vous êtes témoin d’un moment historique.”

Selon une récente étude, un peu vague, de la Banque Nationale concernant les effets de la diminution de l’impôt des sociétés, celle-ci entraînerait un trou budgétaire de 1,2 milliardet de 4,8 milliards en 2020. La tempête au sein du gouvernement à cet égard est-elle définitivement apaisée ?

JOHAN VAN OVERTVELDT. Après une brève discussion au sein du gouvernement, un consensus a immédiatement été trouvé. La Banque Nationale étudie des scénarios macro-économiques. Ceux-ci ne sont pas capables de suffisamment évaluer le micro-effet d’une opération fiscale. La Banque se réfère à cet égard au Conseil supérieur des finances. En 2016, ce dernier a plaidé en faveur d’une diminution de l’impôt des sociétés et de moins de déductions, car cela conduit à davantage d’investissements, d’emplois et de croissance économique. Il estime les calculs du service public fédéral des Finances prudents, particulièrement si l’on tient compte des effets retour. Certaines mesures rapporteront moins ou coûteront davantage. D’autres rapporteront davantage ou coûteront moins. Le bilan final est positif.

Dans un livre récent, le collègue journaliste de Trends Alain Mouton prétend que vous avez délibérément surévalué les conséquences financières de cette réforme que vous considérez nécessaire. Via des économies des pouvoirs publics belges, de toute façon déjà trop gras, le déficit pourrait ensuite être corrigé plus tard. Êtes-vous un adepte de cette philosophie ‘starve the beast’ (que l’on pourrait traduire par ‘affamer la bête’, NdT) ?

Pendant toutes ces années où nous avons travaillé ensemble chez Trends, m’avez-vous jamais observé des tendances masochistes ?

Non, mais bien du reaganisme. L’ancien président américain Ronald Reagan pensait également sauver l’économie par une diminution des impôts sans compensations sérieuses.

Voyez-vous, on m’a cloué à tous les piloris possibles à cause de ce que l’on appelle des erreurs de calcul. Je n’ai vraiment pas trouvé cela plaisant et je ne veux pas que cela se reproduise.

L’essence du débat est le changement de comportement suite à une intervention fiscale. Si les accises sur un produit augmentent, on en consomme moins. La question est de savoir dans quelle proportion et à quel rythme cela se produit. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de donner une réponse exacte à cela.

Quid si vous vous trompez complètement dans vos calculs et qu’il y aura malgré tout un trou dans le budget ?

Dans ce cas, le gouvernement prendra des mesures. Mais j’ai confiance. En 2016, les recettes fiscales ont atteint le niveau que nous avions évalué. En 2017, nous obtiendrons même davantage.

Surtout grâce à la croissance économique, répond l’opposition.

C’est un peu court, car nous avions déjà inclus une croissance économique de 1,6% dans nos calculs. Certaines mesures, comme la taxe Caïman, commencent enfin à rapporter. Les gens commencent à démanteler des montages fiscaux à l’étranger et davantage d’argent afflue vers les pouvoirs publics.

Il y avait pourtant une grande différence entre les recettes budgétées de 460 millions d’euros pour la taxe Caïman et les 50 millions que la Cour des comptes avait calculés.

Concernant la taxe Caïman, un calcul relativement prudent avait été fait sur base des chiffres de la Banque Nationale. Calculer l’impact correct des mesures fiscales, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Aujourd’hui, la taxe Caïman rapporte de l’argent indirectement, parce que les gens ne veulent pas de discussions avec le fisc et paient leurs taxes plus correctement.

Ce qui est frappant dans l’accord de Saint-Nicolas, c’est que l’application de la “Anti-Tax Avoidance Directive”, la directive européenne sur la lutte contre l’évasion fiscale, entrera en vigueur en 2019 et non en 2020 comme convenu auparavant.

C’est exact. Nous voulions d’abord reporter l’application de cette directive d’un an, parce que dans le cas contraire, la pression fiscale pour les entreprises allait augmenter en 2019, après la diminution de l’impôt des sociétés en 2018. L’application anticipée est maintenant compensée par l’accélération de l’instauration de la consolidation fiscale, qui diminue la pression fiscale.

Le Johan Van Overtveldt d’avant aurait démoli le trou budgétaire de 1,5% en 2018 dans son éditorial.

J’aurais en tous les cas été critique. Et ça, je le suis encore. Nous n’avons pas fait ce que nous avions promis : éliminer le déficit budgétaire en 2018. Nous arriverons probablement à un déficit d’environ 1%.

La N-VA a pourtant gagné les élections notamment grâce au “Show me the money” de Bart De Wever.

I’ll show you the money.Nous venons d’un déficit de 3%. Nous avons épargné 9 à 10 milliards d’euros. Nous ne nous sommes pas facilité la vie, car l’assainissement s’accompagne d’une diminution de la pression fiscale de 1,6% et donc d’une diminution des recettes.

C’est insuffisant, mais ne dites pas que nous n’avons rien fait. Nos ministres fournissent un excellent travail en politique de sécurité et d’asile. Nous avons en outre réformé les pensions et l’impôt des sociétés, et nous avons mis en oeuvre le tax shift.

Ce tax shift n’est-il pas surtout une diminution de l’impôt des personnes physiques et un glissement vers les taxes sur la consommation ? Les revenus modestes, en particulier, le ressentent.

Mon expérience de la vie en entreprise m’enseigne que l’augmentation des taxes sur la consommation ne se répercute pas nécessairement dans les prix. Ce n’est que si une augmentation des charges se traduit effectivement par une augmentation des prix qu’il est question d’atteinte au pouvoir d’achat. Mais l’augmentation des prix se répercute à nouveau dans une augmentation du pouvoir d’achat via l’indexation. Les chiffres du Bureau du plan montrent en outre que le revenu net disponible réel augmente.

Grâce au tax shift, les salaires nets vont par ailleurs augmenter aux 1ers janvier 2018 et 2019 et les cotisations patronales vont encore diminuer. Cela aura aussi indubitablement un impact positif sur l’emploi.

N’exagérez-vous pas un peu cet impact ? Selon Marcia De Wachter de la Banque Nationale, le tax shift ne génère que 7.800 emplois supplémentaires. Les 100.000 emplois supplémentaires revendiqués par votre président de parti ne sont-ils pas simplement une conséquence de la croissance dans l’ensemble de l’Europe ?

Les chiffres d’Eurostat montrent que notre politique a toutefois un important impact sur la création d’emplois. Par pourcentage de croissance du PIB, la croissance de l’emploi a augmenté de 0,66% au cours de la période 2014-2017. C’est davantage que dans la zone euro et que dans nos pays voisins. Et c’est plus qu’au cours de la période 2002-2007.

L’économie belge croît toutefois plus lentement que celle d’autres pays européens. Comment expliquez-vous cela ?

Beaucoup de pays ont vu leur croissance économique diminuer davantage que la Belgique après la crise. Cela s’accompagne à présent d’une reprise plus forte. En outre, l’assainissement des finances publiques n’a commencé chez nous que sous ce gouvernement, alors que la plupart des pays l’ont désormais derrière eux. Eurostat prévoit que la consommation publique augmente de 2,2% dans notre pays et de 7,5% dans l’Union européenne au cours de la période 2014-2019. Cela explique aussi pourquoi l’ensemble de la croissance économique au cours de cette même période est inférieure – 8,8% – en Belgique par rapport à la croissance moyenne dans l’Union de plus de 10%.

C’était un choc pour vos électeurs qu’un gouvernement précisément composé de la N-VA augmente, une fois de plus, le précompte mobilier.

Cette augmentation est liée à une diminution de l’impôt des sociétés. Je comprends que cela pose un problème aux investisseurs. Je constate que l’OCDE, Eurostat et la Commission européenne placent de manière conséquente la Belgique dans le top cinq des pays avec l’impôt sur la fortune le plus élevé. Nous approchons vraiment des limites.

L’exonération des dividendes sur actions augmente de 627 à 800 euros afin de réactiver l’argent sur les livrets d’épargne. Une mesure un peu maigre, comme contrepoids aux 260 milliards sur les livrets d’épargne.

Il y avait un peu de latitude et toute mesure contribue. J’aimerais néanmoins combattre le mythe selon lequel l’épargne serait de l’argent mort. Les banques réinvestissent ces crédits comme carburant pour les particuliers et les entreprises. L’épargne est donc le carburant de l’économie.

Avec l’adoption de la taxe sur les comptes titres, une brèche est ouverte pour le prochain gouvernement pour une augmentation du taux. Vous avez brisé le tabou de l’impôt sur la fortune.

Un impôt de 0,15% sur un portefeuille de minimum un demi-million ne représente jamais que 750 euros. Ce n’est pas rien, mais toutefois relativement limité. Le tabou était déjà brisé depuis bien longtemps. Cela s’inscrit à présent dans un compromis plus large, je ne veux donc pas rouvrir l’ensemble de ce débat. Je comprends néanmoins la crainte des gens. Oui, le prochain gouvernement pourra augmenter le taux ou diminuer le seuil. L’alternance politique est la finalité d’une démocratie.

Pourquoi n’étiez-vous pas candidat à la succession de Jeroen Dijsselbloem à la présidence de l’Eurogroupe ?

Différents pays m’ont explicitement suggéré de me présenter, mais j’ai rapidement réalisé que les socialistes et les démocrates-chrétiens avaient un accord sur une alternative. C’était néanmoins un honneur, pour un ministre d’un parti sans couverture européenne sérieuse, d’avoir été sollicité.

Cette coalition pourra-t-elle faire un deuxième terme ou les cartes communautaires seront-elles mises sur la table ?

Tout est possible. Avec le niveau préoccupant des pronostics pour le PTB, tout peut arriver. Quand on voit comment les cartes sont rebattues en Wallonie, un round communautaire est peut-être bien possible.

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