Denis-Emmanuel Philippe

Un produit d’investissement luxembourgeois prisé par les riches familles belges dans la ligne de mire du fisc

Denis-Emmanuel Philippe Avocat-associé Bloom Law - Maître de conférences (ULg)

Beaucoup de familles belges possèdent des actions dans une SICAV-SIF luxembourgeoise. Ces dernières années, le législateur a lancé une attaque contre ce produit d’investissement, notamment par le biais d’une extension de la taxe sur l’épargne et de la taxe Caïman. L’accord gouvernemental de cet été durcit par ailleurs les dispositions fiscales applicables. C’est ce qu’affirme Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law et professeur à l’ULg.

Le Grand-Duché du Luxembourg a créé, au fil des années, une palette impressionnante de fonds d’investissement, lesquels ont drainé l’épargne des habitants du Royaume. A côté de la traditionnelle SICAV “grand public”, le Luxembourg s’est doté de fonds réservés à des investisseurs avertis, tels que le fonds d’investissement spécialisé (specialized investment funds, ci-après “SICAV SIF”) créé par la loi du 13 février 2007.

La SICAV-SIF est un type spécifique d’organisme de placement collectif alternatif (OPCA). Elle s’apparente à la SICAV institutionnelle belge. La SICAV-SIF tombe sous la surveillance de l’organe de contrôle luxembourgeois, la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF). Au 31 mai 2016, 1.135 SICAV-SIF se trouvaient inscrites auprès de la CSSF et avaient une valeur nette d’inventaire (VNI) de 227,416 milliards d’euros.

La SICAV-SIF bénéficie d’une réglementation flexible. Ainsi, une SICAV-SIF peut investir dans toutes sortes d’actifs ; elle est par ailleurs soumise à une politique d’investissement (règle de diversification des risques) relativement light.

Les titres de la SICAV-SIF sont réservés à des “investisseurs avertis”. Sont visés les catégories suivantes d’investisseurs : (i) les investisseurs institutionnels, (ii) les investisseurs professionnels ainsi que (iii) tout autre investisseur qui a déclaré par écrit son adhésion au statut d’investisseur averti et investit un minimum de 125.000 euros. Cette dernière catégorie permet notamment d’ouvrir la SICAV-SIF à une clientèle privée de personnes physiques “sophistiquées” (High Net Worth Individuals). Jusqu’il y a peu, la SICAV-SIF exerçait une importante force d’attraction sur les particuliers belges fortunés. Cela pouvait assurément s’expliquer par la proximité du Grand-Duché et son excellente réputation en tant que plateforme de fonds d’investissement à l’échelle européenne. Mais les considérations fiscales n’étaient pas non plus étrangères à ce succès…

Tentative d’illustration. Voici une famille belge aisée disposant d’une fortune confortable de plusieurs millions d’euros, placés auprès d’une banque privée luxembourgeoise. Le père, Monsieur Dupont, son épouse et ses enfants, investissent leurs avoirs dans un nouveau compartiment “dédié” d’une SICAV-SIF gérée par la banque dont la réputation fait référence sur la place.

Constatant l’excellence performance des investissements du compartiment au cours des dernières années, les membres de la famille Dupont décident de sortir de la SICAV-SIF et demandent le remboursement de leurs actions de capitalisation par la SICAV-SIF. Ils réalisent à cette occasion une plus-value considérable. A suivre plusieurs décisions anticipées rendues par le Service des Décisions Anticipées (SDA), pareille plus-value était en principe exonérée en application de l’article 21,§2 du CIR.

Un produit d’investissement prisé par les riches familles belges dans la ligne de mire du fisc

Mais ces dernières années, le législateur a attaqué ce produit d’investissement à plusieurs reprises, par le biais d’une extension de la taxe sur l’épargne (article 19bis du CIR) et de la taxe Caïman (ou taxation par transparence).

1. Extension de la taxe sur l’épargne

L’article 19bis du CIR prévoit un prélèvement de 25% sur certains organismes de placement collectif (OPC) qui investissent plus de 25% en créances, également dénommé “taxe sur l’épargne”. Jusqu’il y a peu, cette taxe frappait uniquement les plus-values réalisées par des investisseurs particuliers lors du rachat de parts de capitalisation d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) autorisés conformément à la Directive 2009/65/CE du 13 juillet 2009, c’est-à-dire les OPCVM disposant d’un “passeport européen”. Les SICAV-SIF n’ayant pas de passeport européen, elles passaient systématiquement à travers les mailles du filet. La loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses a modifié l’article 19bis du CIR, de manière à traiter les OPCVM sans passeport européen de la même façon que les OPCVM avec passeport européen. La nouvelle rédaction implique que les plus-values réalisées par des personnes physiques belges, lors du rachat de parts de capitalisation de certaines SICAV-SIF monétaires ou obligataires, sont désormais susceptibles d’être soumises à la taxe sur l’épargne.

Mais l’accord gouvernemental de cet été vient durcir les règles applicables. En effet, le seuil de 25% pour investissement dans des créances visé à l’article 19bis du CIR sera abrogé. Ceci signifie que les SICAV-SIF seront en principe “in scope” de l’article 19bis du CIR, même si elles investissent plus de 75% dans des actions. Cette nouvelle disposition s’appliquera aux droits de participation perçus par les investisseurs à compter du 1er janvier 2018. Ce durcissement de l’article 19bis du CIR devrait rapporter 75 millions dans les caisses de l’Etat, suivant les estimations du gouvernement.

2. Extension de la taxe Caïman

La liste des constructions juridiques établies dans l’Espace Economique Européen (“EEE”), qui tombent sous le coup de la taxe Caïman, a été adaptée fin 2015. Elle mentionne désormais les OPC détenues par une seule personne ou par plusieurs personnes liées entre elles. Qu’en est-il maintenant de la SICAV-SIF dédiée, une SICAV-SIF dont les actions sont détenues par une famille belge ? Le SDA a récemment confirmé que les OPC privés, tels que la SICAV-SIF, sont visés par la taxe Caïman (ruling n° 2017.037, 14 mars 2017).

Quelles sont les conséquences de l’application de la taxe Caïman ? Imaginons que le compartiment de la famille Dupont est composé d’actions et obligations d’une valeur de 20 millions d’euros. Le rendement s’élevait en 2016 à 5%, soit 1 million d’euros, répartis en 500.000 euros de plus-values sur actions et 500.000 euros de dividendes et intérêts.

Au Luxembourg, la SICAV-SIF est exemptée d’impôts sur ses revenus (dividendes, intérêts, plus-values…). La famille Dupont sera par contre taxée en Belgique par transparence à l’impôt des personnes physiques sur les dividendes et les intérêts recueillis par la SICAV-SIF, en principe au taux de 27% (taux applicable pour les revenus recueillis durant l’année 2016). Ils devront ainsi payer leur tribut au fisc belge à hauteur de 135.000 EUR (27%*500.000 EUR). Les plus-values sur actions seront en principe exonérées, dans la mesure où elles relèvent de la gestion normale du patrimoine privé (art. 90,9° du CIR).

Mais selon mon expérience, l’application de la taxe Caïman ne se déroule pas de manière aussi simple. Le plus souvent, de nombreux problèmes pratiques surgissent, par exemple si le contribuable et son gestionnaire de fortune ne connaissent pas la composition exacte de tous les investissements et/ou revenus mobiliers de la SICAV-SIF. De nombreuses questions théoriques se posent également, notamment l’application de la taxe caïman aux constructions juridiques détenues par la SICAV-SIF (par exemple, un fonds aux Bermudes détenu par la SICAV-SIF), les risques de double imposition (cumul de la taxe sur l’épargne avec la taxe Caïman), etc.

La détention de pareil investissement peut, dans certains cas, se transformer en un chemin de croix pour les contribuables et leurs conseillers.

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