Un impôt des sociétés à 20%, est-ce vraiment réalisable ?

Johan Van Overtveldt, ministre des finances. © Belga

Le ministre des Finances propose de ramener le taux de l’impôt des sociétés de 34 à 20 %. La disparition des intérêts notionnels et d’autres niches fiscales ne suffirait cependant pas à compenser budgétairement un tel choix.

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Après avoir entamé la baisse des cotisations patronales de 33 à 25 %, le gouvernement fédéral envisage de ramener le taux de base de l’impôt des sociétés de 33,99 à 20 ou 22 %. Rien que cela. Le taux actuel place la Belgique dans le trio de tête des Etats les plus taxateurs (après les Etats-Unis et la France). “Une telle position, peu enviable, nous empêche de faire le maximum pour attirer les investisseurs dont nous avons besoin”, estime l’administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), Pieter Timmermans.

La réalité est toutefois un peu plus complexe : tout comme les cotisations patronales étaient allégées par de nombreuses possibilités de réductions, le taux élevé de l’impôt des sociétés (Isoc) est complété par pas moins de 27 exonérations, déductions et réductions. Celles-ci ramènent le taux effectif d’imposition un peu au-dessus des 26 %, soit dans la moyenne des pays européens (en France et aus Etats-Unis, il existe de multiples voies pour diminuer l’imposition effective). L’addition de ces niches (parmi lesquelles les fameux intérêts notionnels) fait fondre le rendement de l’Isoc de 29,2 à 12,5 milliards. Plus qu’une division par deux ! Un tel écart ouvre des marges pour un élagage et une simplification et c’est là que le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) entend intervenir. Dans une interview au Tijd, il a annoncé le dépôt d’une proposition de réduction du taux de base de l’impôt des sociétés, lors du contrôle budgétaire de mars.

Sur le principe de réduire le taux de base de l’Isoc et de compenser par un élargissement de la base imposable en supprimant une série de déductions, à peu près tout le monde est d’accord. Le cdH, pourtant dans l’opposition, a ainsi applaudi l’idée et rappelé sa proposition de loi ramenant le taux à 25 % pour les grandes entreprises et à 20 % pour les PME. Les objections portent sur le timing et sur le financement de la mesure.

Sous la pression européenne

Commençons par le plus simple, le timing. Les réticences viennent ici du côté libéral. “Nous sommes bien entendu partisans d’une simplification des devoirs fiscaux et d’une baisse des taux, assure le député Benoît Piedboeuf (membre MR de la commission des Finances). Mais la mise en oeuvre du tax shift vient à peine de commencer. Ne brusquons donc pas les choses.” Johan Van Overtveldt estime au contraire que l’évolution des options européennes a bousculé les lignes. La Belgique peut oublier les excess profit rulings et les intérêts notionnels ne survivront peut-être pas aux velléités du commissaire Pierre Moscovici d’instaurer une taxation des multinationales sur les lieux où sont générés leurs revenus.

“Nous avions créé une série de mécanismes pour réduire les charges fiscales des entreprises, a expliqué le ministre des Finances au Parlement. L’Europe les a supprimés et la base de notre structure fiscale des sociétés n’est dès lors plus suffisamment compétitive. En tant que ministre, il est de mon devoir d’intervenir. Quand je parle d’une réforme, d’une baisse du taux de l’impôt des sociétés, ce n’est pas un ballon d’essai. C’est une nécessité impérieuse pour notre économie.” C’est pour cela, selon lui, que le débat doit être mené rapidement, quitte à s’inviter dans un contrôle budgétaire déjà passablement compliqué. Le calendrier européen constitue par ailleurs un bel argument pour dépasser les réticences des lobbys sectoriels en faveur de telle ou telle niche fiscale. “Le politique peut dire ‘je supprime ceci ou cela parce que je dois le faire’, c’est sans doute un bon moment pour avancer”, analyse Marcel Gérard, professeur d’économie et de fiscalité à l’UCL.

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Les intérêts notionnels ne suffisent pas…

Le timing pour initier une réforme aussi ambitieuse ne semble donc pas si incongru que cela. Venons-en maintenant aux remarques quant au coût budgétaire d’une baisse de l’impôt des sociétés. Le cdH la finançait par la suppression des intérêts notionnels. L’équation est-elle aussi simple que cela ? Hélas non. Le Conseil supérieur des finances (CSF) a analysé, en 2014, plusieurs pistes de réformes de l’impôt des sociétés. A cette occasion, il a notamment pointé l’écart entre le coût brut des intérêts notionnels (à l’époque 6,1 milliards, aujourd’hui un peu moins de 4 milliards, en raison de la baisse des taux) et leur coût net qui plafonnerait à 1,4 milliard. Beaucoup d’entreprises financières délocaliseraient en effet rapidement leurs activités si cet avantage devait disparaître. Leur départ ne serait pas en soi dramatique pour l’économie belge : le CSF constate que le mécanisme profite surtout à des sociétés financières qui génèrent peu d’emplois et de valeurs ajoutées, et donc peu d’effets-retours.

Quoi qu’il en soit, au vu de leur coût net, les intérêts notionnels ne peuvent compenser qu’au maximum 4 points de baisse de l’Isoc. Il faudra donc chercher ailleurs. L’autre gros poste à l’impôt des sociétés concerne la déduction des revenus définitivement taxés (7,7 milliards). “Ce régime est imposé par le droit européen pour éviter les doubles taxations, affirme Marc Bourgeois, professeur de droit et président du Tax institute de l’ULg. La Belgique ne peut pas y renoncer.”

…les autres niches fiscales non plus

Pour avancer, il faut donc se lancer dans l’élagage des petites niches de l’impôt des sociétés. Le conseil supérieur des finances les a passées en revue et préconise d’en conserver une bonne partie en raison de leur intérêt pour l’économie belge et la vie des entreprises : la déduction pour investissement (qui vient d’être augmentée pour les PME), la taxation étalée des plus-values, le crédit d’impôt en faveur de la R&D, la déduction pour revenus de brevets et le tax shelter sur l’audiovisuel (lui aussi élargi depuis). Bref, l’élagage ne rapporterait pas grand-chose. “L’idée de réduire les taux et d’élargir l’assiette est excellente et aurait dû être suivie il y a bien longtemps, commente Marcel Gérard, professeur d’économie et de fiscalité à l’UCL. Si on veut avancer franchement dans ce sens, on peut revoir de nombreux avantages actuels, y compris en faveur de la recherche et développement.” Certes, les investissements en recherche sont essentiels mais, selon lui, l’outil le plus efficace est l’exonération du précompte professionnel pour les chercheurs.

Plus on conserve de niches, moins on dégagera de marges pour réduire le taux de l’Isoc. La question devient alors : le jeu en vaut-il la chandelle ? Faut-il réduire radicalement le taux de base et le faire savoir (par exemple lors des futures tournées de Charles Michel en vue de redorer l’image internationale du pays) ou continuer à imaginer des niches fiscales susceptibles d’attirer des groupes internationaux ? Quelle sera la stratégie fiscale de la Belgique vis-à-vis des entreprises ? “Dans un contexte de concurrence fiscale assez aiguë entre les pays européens, une stratégie de niches offre certains avantages, convient le Conseil supérieur des finances. Elle permet de maximiser le gain en compétitivité, pour un effort budgétaire donné et n’est pas nécessairement moins efficace si elle est ciblée sur les investissements dont l’élasticité au taux de l’impôt des sociétés est particulièrement élevée.”

La solution : un système dual ?

Le ministre des Finances Johan Van Overtveldt est convaincu que la Belgique doit conserver certaines spécificités fiscales, pour se distinguer des grands pays, par nature plus attractifs pour les investisseurs internationaux. “Les plus petits pays, comme la Belgique, doivent pouvoir offrir quelque chose au niveau fiscal pour compenser leur désavantage d’échelle intrinsèque”, a-t-il expliqué au parlement. C’est pourquoi il défend – un peu seul contre tous – un système optionnel : chaque entreprise pourrait choisir entre un taux de 20 % à l’Isoc sans déductibilités ou un taux de 33,99 % en conservant le bénéfice des intérêts notionnels.

Cette liberté de choix paraît sympathique au premier abord mais elle risque de se révéler très coûteuse pour les finances publiques. Les PME qui ne maniaient pas l’ingénierie fiscale vont en effet se ruer sur le taux de 20 % tandis que les grands groupes qui parviennent à quasiment éluder légalement l’impôt en cumulant les niches vont garder leurs coûteuses habitudes. ” Ce système dual ne me semble pas une bonne idée, analyse Bart Van Craeynest, économiste en chef chez Econopolis. Les entreprises vont jouer avec le système. Une simplification serait à mon sens beaucoup plus efficace.” En 2014, dans un rapport sur les pistes de réforme fiscale, le Conseil supérieur des finances avait balayé sèchement cette solution duale jugée “impraticable”, en raison de son impact budgétaire. “Ce système est également ambigu en termes de politique fiscale, ajoutait le CSF. C’est refuser de choisir entre deux orientations politiques.”

Si la suppression d’avantages fiscaux ne suffit pas, si le système optionnel ne convient pas, que reste-t-il comme solution ? La majorité entend inclure dans son calcul les effets-retours d’une baisse des taux. “Une baisse de la fiscalité sur les entreprises peut entraîner des changements de comportements, qui généreront des recettes supplémentaires”, plaide ainsi le député Benoît Piedboeuf. Le ministre des Finances évoque, lui, l’exemple des droits de succession en Flandre, dont le rendement a augmenté après une diminution des taux. En l’occurrence, l’allègement fiscal a contribué à régulariser une série d’opérations qui, dans le cas contraire, n’auraient pas été déclarées. Le lien paraît a priori moins automatique en matière d’impôt des sociétés. “Cela fait une hypothèque supplémentaire sur le budget, s’inquiète le président de la commission des Finances, Eric Van Rompuy (CD&V). Vous n’êtes déjà pas certains du financement du tax shift. Nous devons veiller au sérieux du travail budgétaire.”

COUP DE POUCE AUX PME ?

L’architecture fiscale actuelle accorde une série d’avantages particuliers aux PME. Passeraient-ils à la trappe en cas de réforme de l’impôt des sociétés ? Vraisemblablement. En effet, les niches dont elles bénéficient aujourd’hui visent à compenser leur moindre capacité technique à utiliser les leviers d’ingénierie fiscale (moins de 5 % du “coût” des intérêts notionnels provient de PME). Si ces leviers disparaissent, une raison d’aider les petites entreprises disparaît aussi. Les PME, qui paient aujourd’hui proportionnellement plus d’impôts que les grandes entreprises, profiteraient à plein d’une baisse du taux de base de l’Isoc. “Si l’objectif de la réforme est la simplification et la transparence, il ne me semble pas nécessaire de prévoir des avantages spécifiques pour les PME”, estime Bart Van Craeynest (Econopolis) qui conçoit cependant que la réforme puisse poursuivre aussi d’autres buts. “Si vous regardez notre cadre fiscal, vous voyez toujours un petit ‘plus’ pour les PME, ajoute Marcel Gérard (UCL). Ce choix me paraît souvent plus politique que purement économique.”

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